Premier ministre : pourquoi l'hypothèse Bernard Cazeneuve ne plait pas à gauche
Pressenti pour être nommé à Matignon par Emmanuel Macron, Bernard Cazeneuve fait figure de repoussoir pour une partie du NFP et de ses électeurs.
Le moins que l'on puisse dire, c'est que son profil est loin de mettre tout le monde d'accord. Alors qu'Emmanuel Macron continue d'ajourner la nomination d'un nouveau Premier ministre, un nom revient avec de plus en plus d'insistance dans les rumeurs, celui de Bernard Cazeneuve.
Près de deux mois après les élections législatives anticipées qui ont débouché sur une courte victoire de la coalition de gauche Nouveau Front Populaire (NFP), le président de la République refuse toujours catégoriquement de nommer la candidate proposée par le NFP, Lucie Castets. À la place, le chef de l'État pourrait donc opter pour celui qui fut le dernier Premier ministre du quinquennat de François Hollande.
Cazeneuve à Matignon ? Les alliés du PS disent non
Membre historique du Parti Socialiste (PS), mais désormais à la tête de son propre parti, La Convention, Bernard Cazeneuve aurait d'ailleurs fait savoir à son entourage qu'il était intéressé par un retour à Matignon. Toutefois, si elle est soutenue par certains membres du PS comme Carole Delga, la candidature de l'ancien maire de Cherbourg ne satisfait pas du tout le reste du NFP.
Ces derniers jours, les autres partis composant la coalition (La France Insoumise, Les Ecologistes-EELV et le Parti Communiste Français) ont ainsi exprimé leurs réticences concernant une éventuelle nomination de Bernard Cazeneuve comme Premier ministre. "Il incarne une partie d'un parti du Nouveau Front Populaire", a notamment rappelé la députée écologiste Marine Tondelier sur le plateau de LCI.
🗣️ Nomination du Premier ministre : "Nous n'avons pas de meilleure solution que Lucie Castets. Bernard Cazeneuve incarne une partie d'un parti du NFP."
Marine Tondelier (@marinetondelier), Secrétaire nationale @EELV, invitée de Jean-Baptiste Boursier ⤵️ pic.twitter.com/H5Lz58H9NT— LCI (@LCI) August 28, 2024
Ministre de l'Intérieur au moment de la mort de Rémi Fraisse
Si ce positionnement marginal au sein de l'alliance de gauche explique en partie pourquoi sa candidature suscite la défiance dans le camp progressiste, ce sont aussi, et surtout, les états de service de Bernard Cazeneuve qui inquiètent les différentes composantes du NFP et leurs électeurs, en particulier son passage au ministère de l'Intérieur, entre avril 2014 et décembre 2016.
En réponse à la rumeur envoyant Bernard Cazeneuve à Matignon, de nombreux militants de gauche ont ainsi instantanément rappelé que ce dernier devait être considéré, en tant que ministre de l'Intérieur de l'époque, comme l'un des responsables de la mort de Rémi Fraisse, militant écologiste qui avait été tué par une grenade lancée par un gendarme lors d'une manifestation contre un projet de barrage à Sivens (Tarn) en octobre 2014.
Cazeneuve, c’est toujours non. pic.twitter.com/bbeyIB5hPs
— Marcel (@realmarcel1) August 28, 2024
L'affaire Adama Traoré et l'évacuation de la jungle de Calais
Plusieurs internautes ont également mentionné que Bernard Cazeneuve était toujours le locataire de la place Beauvau en août 2016, au moment de la mort d'Adama Traoré, un homme de 24 ans décédé quelques heures après son interpellation par les gendarmes. Quelques mois après ce drame, le ministre de l'Intérieur avait d'ailleurs provoqué la colère de la gauche en refusant d'adresser un mot à la famille de la victime et en affichant à la place son soutien inconditionnel aux gendarmes concernés.
Autre épisode que les militants et électeurs de gauche n'ont pas oublié : en octobre 2016, le ministre de l'Intérieur Cazeneuve a ordonné l'évacuation et la destruction, de la "jungle" de Calais, un bidonville où résidaient des milliers de migrants. Au total, comme l'indique L'Express, ce sont 6400 personnes selon le gouvernement (plus de 8000 selon les associations d'aide aux réfugiés) qui avaient été expulsées manu militari par les policiers et gendarmes.
S’il faut le rappeler, Bernard Cazeneuve a aussi été à l’initiative d’une des plus violentes opérations d’expulsion de bidonvilles de ces dernières années. En 2016 à Calais, quelques 10000 réfugiés étaient chassés de leurs abris de fortune sous la menace du gaz lacrymogène. https://t.co/6BEcue2FX2 pic.twitter.com/WAPZusEkaL
— Jérémie Rochas (@JeremieRochas) August 28, 2024
Un court passage à Matignon marqué par des controverses
Le court passage de Bernard Cazeneuve à Matignon (entre décembre 2016 et mai 2017) n'a ensuite pas redoré son blason auprès de la gauche. Le natif de Senlis a en effet poursuivi la politique menée par son prédécesseur Manuel Valls, entérinant des réformes jugées libérales au mépris de la grogne sociale.
Cazeneuve a déjà été premier ministre. Il n'a pas mené de politique de gauche. Il a réprimé le mouvement social et propulsé Macron à l'Élysée. Cazeneuve, c'est la continuité, pas la rupture. https://t.co/yuLfgJRhNw
— Cartographe encarté ✊ #NFP (@cartococo) August 29, 2024
Les détracteurs de Bernard Cazeneuve lui reprochent également la très controversée loi de février 2017 sur la sécurité publique, qui a notamment donné plus de latitude aux policiers ou gendarmes pour ouvrir le feu sur un automobiliste en cas de refus d'obtempérer lors d'un contrôle routier. Toujours en 2017, il a également eu à gérer le dossier de la fermeture de l'usine Whirlpool d'Amiens, qui s'est mal terminé pour les salariés malgré les promesses du Premier ministre.
Cazeneuve a enterré Whrirpool Amiens en se couchant devant l'actionnaire. Non merci https://t.co/5ktBzjPqLQ
— Team Ruffin (@RuffinTeam) August 29, 2024
En guerre contre "l'islamo-gauchisme" et "le wokisme"
S'il n'exerce plus aucune fonction politique depuis la fin du quinquennat de François Hollande, Bernard Cazeneuve s'est tout de même beaucoup exprimé dans les médias depuis 2017, bien souvent pour tacler la gauche, en utilisant des éléments de langage proche de ceux utilisés par le camp macroniste. Après l'assassinat de Samuel Paty en octobre 2020, il avait par exemple dénoncé, dans les colonnes du Parisien, les "lâchetés" de "l'islamo-gauchisme"
En décembre 2021, dans la revue Le Droit de Vivre, il avait par ailleurs appelé à rompre "avec la ligne de la cancel culture, du wokisme, de la complaisance à l’égard du communautarisme, qui gangrènent certaines mouvances et qui sont incompatibles avec la conception que je me fais de la laïcité, de l’unité et de l’indivisibilité de la République".
Plus proche de Macron que du NFP ?
L'année suivante, c'est d'ailleurs l'alliance électorale entre le PS et les autres principales formations de gauche (notamment LFI), dans le cadre de la NUPES, qui a poussé Bernard Cazeneuve à quitter le PS et à fonder son propre mouvement. Désirant incarner une "gauche anti-NUPES", comme il le claironnait en juin 2023 au moment de lancer La Convention, Bernard Cazeneuve a fort logiquement tenu des critiques similaires à l'endroit du NFP, cosignant même une tribune pour appeler à ne jamais voter pour un candidat insoumis.
Il serait pour le moins cocasse, voire irrationnel, que Cazeneuve soit nommé grâce au succès d’une coalition qu’il a dénoncée. Qui représenterait-il, à part lui-même et son ami Macron ? https://t.co/4Wvx7zQMPT
— Aymeric Caron (@CaronAymericoff) August 29, 2024
Ainsi, s'il se présente toujours comme un homme de gauche, Bernard Cazeneuve semble aujourd'hui, à bien des égards, bien plus proche de la ligne politique du parti présidentiel et de ses alliés que de celle du NFP. Elle aussi opposée à sa nomination à Matignon, la députée de Seine-Saint-Denis Clémentine Autain a d'ailleurs estimé, sur LCI, que s'il se retrouvait à la tête du prochain gouvernement, Bernard Cazeneuve ne ferait que poursuivre la politique menée par Emmanuel Macron depuis 2017. Une perspective évidemment rédhibitoire pour une grande partie du NFP et de ses électeurs...
Je suis une militante acharnée du Nouveau Front Populaire, arrivé en tête des élections. Lucie Castets doit être la première ministre.
La nomination de Bernard Cazeneuve ou de tout profil politique similaire mènera à la même politique que nous connaissons depuis 7 ans. Nous ne… pic.twitter.com/XesbpsWGbg— Clémentine Autain (@Clem_Autain) August 29, 2024