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Un premier débat chargé d'animosité, pas forcément payant pour Trump

UN PREMIER DÉBAT CHARGÉ D'ANIMOSITÉ, PAS FORCÉMENT PAYANT POUR TRUMP

par James Oliphant

WASHINGTON (Reuters) - Distancé dans les intentions de vote à cinq semaines de l'élection présidentielle du 3 novembre aux Etats-Unis, Donald Trump entendait profiter du premier débat télévisé mardi soir contre Joe Biden pour bousculer la campagne et revenir dans la course.

Interrompant sans cesse son adversaire démocrate pour l'entraîner dans un pugilat verbal, le président sortant a multiplié les tentatives de déstabilisation dans l'espoir d'inverser une dynamique défavorable depuis plusieurs mois.

Il est peu probable qu'il soit parvenu à ses fins. Non seulement en raison de sa propre attitude agressive et confuse mais aussi parce que cet affrontement dans lequel les insultes et les accusations gratuites ont fusé a certainement davantage dérouté que convaincu les électeurs indécis.

"On peut douter que ce débat épuisant mentalement ait fait changer quiconque d'avis", dit Ron Bonjean, stratège républicain à Washington ayant conseillé l'équipe de transition de Donald Trump en 2016. "Chaque camp peut en tirer quelque chose mais le choc des attaques personnelles échangées a probablement amené beaucoup de monde à éteindre sa télévision."

Si ses attaques frontales ont pu réjouir ses plus fidèles partisans, Donald Trump n'a pas paru se soucier de convaincre certaines catégories d'électeurs pourtant jugées décisives, notamment les femmes, souvent critiques de son style.

Ce débat s'est déroulé dans l'Ohio, l'un des Etats du Midwest où pourrait se jouer en partie l'élection, comme en 2016. Joe Biden y fera campagne ce mercredi.

BIDEN À LA LIMITE DU COUP DE SANG

Un sondage Reuters/Ipsos a montré ce mois-ci que, parmi les Blancs non diplômés, quatre électeurs probables sur 10 dans les Etats de Floride, du Michigan, de Pennsylvanie et du Wisconsin soutenaient Joe Biden cette année. En 2016, ils étaient environ trois sur 10 à soutenir Hillary Clinton, l'adversaire démocrate de Donald Trump à l'époque.

Si Joe Biden dispose d'une confortable avance dans les intentions de vote au niveau national, les sondages indiquent un écart plus serré dans ces "swing States".

"Les débats ont généralement très peu d'influence sur le vote des gens. Il est encore plus difficile de savoir comment celui-ci a pu convaincre des électeurs dans un sens ou dans l'autre tellement il nous a fourni si peu d'occasions d'en savoir plus sur les candidats et leurs programmes", souligne Christopher Devine, spécialiste des campagnes présidentielles à l'université de Dayton dans l'Ohio.

Donald Trump a parfois réussi à pousser Joe Biden à la limite du coup de sang, comme lorsque l'ancien vice-président de Barack Obama, qui avait promis de garder son sang-froid avant le débat, a demandé à son adversaire de "la fermer", ou l'a traité de "clown" et de "pire président" de l'histoire des Etats-Unis.

Joe Biden s'est aussi parfois retrouvé dans les cordes face à certaines attaques de Donald Trump au sujet de son soutien aux manifestations des derniers mois aux Etats-Unis contre le racisme et les violences policières, émaillées de violences.

Il a également refusé de répondre à l'interpellation directe de Donald Trump lui demandant si, en tant que président, il chercherait à augmenter le nombre de juges à la Cour suprême pour y limiter l'influence des conservateurs.

TEMPS PERDU

Le candidat démocrate est tout de même parvenu, entre deux invectives, à glisser quelques mots sur les principaux thèmes de sa campagne, affirmant que la gestion de l'épidémie due au coronavirus et le style clivant du président sortant prouvaient son inaptitude à exercer un second mandat.

Il s'est aussi adressé à l'un des électorats particulièrement visés par Donald Trump, celui des périphéries urbaines, en ironisant: "Pour qu'il sache à quoi ressemble une banlieue, il faudrait qu'il se trompe de chemin."

Face aux incessantes interventions du président lui coupant la parole, ainsi que celle du modérateur Chris Wallace de Fox News, Joe Biden s'est efforcé de s'adresser le plus possible directement à la caméra, et donc aux électeurs, sous l'oeil noir de son adversaire.

"C'était le plan de jeu de Biden et il l'a appliqué", dit Aaron Kall, spécialiste des débats présidentiels à l'Université du Michigan. "Trump n'a pas réussi à surmonter son propre dédain envers Biden."

Prié de rassurer les électeurs sur le fait qu'il accepterait le résultat du vote, Donald Trump s'en est pris une nouvelle fois au vote par correspondance, qu'il accuse de favoriser la fraude, puis, adoptant un ton inquiétant, a prévenu les téléspectateurs que ce scrutin "ne finira(it) pas bien".

S'il souhaite attirer des électeurs indécis, le président sortant va devoir proposer une vision plus optimiste et plus chaleureuse au cours des deux prochains débats, pense Aaron Kall.

Le temps joue contre lui. Les derniers débats sont généralement moins suivis et de nombreux Américains auront déjà voté d'ici là.

"C'était la seule opportunité pour faire une bonne première impression sur le petit segment des électeurs indécis", dit Aaron Kall. "Ce n'est pas ce à quoi nous avons assisté ce soir."

(version française Bertrand Boucey, édité par Jean-Stéphane Brosse)