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Premières solitudes - Claire Simon : "Leur désir d’écrire une nouvelle vie est ce qui me touche le plus"

AlloCiné : Premières Solitudes, le titre que vous avez choisi pour votre film est très beau, et à la fois il vise juste en donnant immédiatement le ton : celui d’aborder des formes de solitudes, rarement montrées au cinéma. En rencontrant ces jeunes, vous attendiez-vous justement à découvrir de telles solitudes?

Claire Simon, réalisatrice : Non je pensais aux histoires d’amitiés, mais pas à celles que les jeunes gens ont immédiatement mises en avant. J’étais surprise qu’ils fassent état de leurs familles souvent séparées et de la difficulté que cela représentait pour eux de voir l’amour défait et une certaine violence des rapports apparaître. Je savais bien sûr qu’ils aiment aussi être dans « leur bulle » avec de la musique, quand ils sont dans la rue ou en bus. Certains gardent leurs écouteurs à la cantine, c’est une manière de mettre tout l’extérieur à distance de le relativiser…


La parole de ces jeunes s’est-elle libérée facilement ? Pouvez-vous nous expliquer le dispositif que vous avez choisi pour ce documentaire ? La forme fait la part belle à des scènes d’échanges, de dialogues...

Le film est parti d’un dispositif qui a lieu chaque année au Lycée Romain Rolland d’Ivry en partenariat avec le cinéma le Luxy et la Mairie. Un-e cinéaste vient faire un court métrage de fiction avec les élèves qui jouent et l’aident à la technique. Pour écrire ce film, j’ai rencontré les élèves un à un avec deux autres élèves qui m’aidaient; et là d’une part chaque élève filmé était habité par un très grand désir de se raconter et ceux qui m’accompagnaient pour le son et l’image ne voulaient plus laisser la place aux autres qui devaient les remplacer.

Ils étaient très curieux les uns des autres, ce qui voulait dire qu’ils ne se connaissaient pas bien, ne se voyant qu’une fois par semaine en option cinéma. C’est ainsi que je leur ai proposé de se raconter leurs vies les uns les autres devant la caméra. De dire ce qu’ils avaient envie à l’autre et de l’écouter. Ces expériences étaient totalement inédites pour eux et on ne savait jamais où allait nous mener la séquence. Ils ont été sidérés de découvrir les histoires et les difficultés des autres, tout est devenu différent entre eux.




Y a-t-il un des jeunes que vous filmez dont le témoignage, le parcours vous a touchée particulièrement ?

Chacune en fait m’a touchée... J’ai filmé les dix élèves de l’option Cinéma. Il y a parmi ces jeunes gens de véritables héros(ïnes). Judith, Lisa ont des vies au destin tourmenté, mais Clément est resté chez lui seul pendant des années car il ne voulait pas aller au collège, il a eu son bac aujourd’hui, quelle ténacité et confiance ! Anaïs, Melodie , Tessa , Hugo , Manon , Elia dessinent leurs vies, en cherchent le sens, même si les conditions sont parfois très douloureuses ou parfois moins, et leur désir d’écrire une nouvelle vie est ce qui me touche le plus.

La scène de fin est très belle et lumineuse. Pouvez-vous nous en raconter les coulisses ?

Ces trois jeunes filles discutaient de diverses choses puis ce sujet est arrivé, et comme tant de jeunes filles elles se sont mises à voir le futur et elles ont pensé qu’elles pourraient avoir des enfants un jour, comme un acte héroïque plus que comme une convention, et puis une autre élève les a rejoint qui elle, n’en voulait pas. C’était une réponse à toutes les histoires racontées avant, malgré cet échec de l’amour les trois jeunes filles voulaient être mères, et « ne pas refaire les mêmes conneries que nos parents… »




Premières solitudes s’inscrit dans une trilogie, qui a commencé avec Récréations qui ressort par la même occasion en salles. Quel regard portez-vous aujourd’hui sur ce film ?

La chance du documentaire c’est qu’il vieillit moins que la fiction. Récréations tourne toujours depuis sa sortie en 97 et à l’occasion de la restauration qui a été miraculeuse, Sophie Dulac a souhaité lui donner une vraie visibilité en le programmant au Reflet Medicis et en province.

C’est un film que je trouve très drôle car on voit les enfants chercher le bon scénario en permanence, avec candeur et cruauté. Ils sont libres sur cette scène de théâtre qu’est la cour de Récréation, ils jouent enfin à la vraie vie, celle qu’ils vivront plus tard, et ils le savent. Cette métaphore partagée est un territoire extrêmement stimulant pour eux comme pour nous.


Le concours, précédent documentaire composant cette trilogie de Claire Simon, avec Récréations et Premières solitudes.

Au sein de cette trilogie, il y également le film Le concours, dans les coulisses du concours de La Femis. Savez-vous si certains des jeunes que vous avez filmé dans Premières solitudes aimeraient justement se tourner aujourd’hui vers un métier du cinéma suite à cette expérience que vous avez mené ensemble ?

Il y a trois élèves qui se sont dirigés vers le cinéma, Hugo apprend le son dans une école, Catia à Créteil fait une prépa pour présenter peut-être la Femis, et Clément est en musicologie et il veut faire de la musique de film.

Avez-vous un nouveau projet de long métrage en préparation ? Et si oui, pouvez-vous nous en dire plus ?

Oui j’ai fait pire, j’ai fait une série documentaire de 18 fois 30 minutes neuf heures donc de suspense autour du documentaire et de l’agriculture dans un petit village d’Ardèche. Vignerons ou diffuseur de documentaire sont confrontés aux lois du marché pour faire et vendre ce qu’ils aiment : des films, du vin, des fruits… Ce sera sur Ciné+ et TV5 Monde…

La bande-annonce de Premières solitudes :