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Présidentielle 2022: Gettr, la copie de Twitter qui s'invite à l'ultra-droite

Après un intense lobbying mené par son patron, Jason Miller, le réseau social a attiré plusieurs figures de l'extrême droite, et draine les mêmes théories qui ont conduit à l'invasion du Capitole.

POLITIQUE - “Débats. Technologie de pointe. Make social media fun again”. Tel est le slogan proposé durant la publicité aux téléspectateurs de CNews par le réseau social Gettr. Une copie quasi conforme de Twitter, mais sans ce qui gène les utilisateurs d’extrême droite chez l’oiseau bleu : la modération.

Du Trump dans le texte comme dans la conception du débat, sans (trop de) limite(s). Normal, l’ombre de l’ancien président des États-Unis, banni des réseaux sociaux pour ses outrances dangereuses, plane derrière cette plateforme, pilotée par Jason Miller, ancien conseiller et porte-parole du milliardaire.

Lancé à l’été 2021 aux États-Unis, le réseau social prisé de l’alt-right américaine a compris assez rapidement le rôle qu’il pouvait jouer en France, dans le cadre d’une élection présidentielle marquée par l’irruption du candidat Éric Zemmour, pourfendeur, comme l’ex-locataire de la Maison Blanche, du “politiquement correct”.

Barbe courte et lunettes carrées, le patron de Gettr a donné de sa personne pour convaincre les personnalités en vue dans l’extrême droite française, comme les responsables politiques du RN ou proches d’Éric Zemmour, à rejoindre son réseau.

“Je fais de la France une de mes priorités”

Courant décembre, Jason Miller a opéré une vaste opération séduction dans le milieu, multipliant les selfies avec des visages de la droite réactionnaire ou de l’extrême droite. Là avec cette figure de la Manif pour Tous ou ici avec Damien Rieu, communicant du RN fraîchement recruté par Éric Zemmour. L’équipe française du réseau trumpien s’affichait également tout sourire au meeting du polémiste à Villepinte, le 5 décembre dernier.

L’ancien porte-parole de Donald Trump a aussi donné un entretien à la chaîne YouTube “Les Incorrectibles”, prisée de l’extrême droite et porte-voix de plusieurs figures covidosceptiques, comme le professeur Christian Perronne. Le 13 décembre, une soirée a été organisée au très chic Hôtel Bourrienne à Paris, où tout un entre-soi d’extrême droite s’est réuni -sans masque- dans cet hôtel particulier racheté en 2015 par l’entrepreneur Charles Beigbeder, acquis à l’union des droites.

Sur une photo de la soirée partagée par Jason Miller sur Instagram, on aperçoit, entre autres, le jeune Érik Tegnér, ex-LR et fondateur de Livre Noir, média préféré des fans d’Éric Zemmour. “Je fais de la France une de mes priorités”, assurait récemment au magazine L’Incorrect le patron du réseau social, affirmant que l’Hexagone se situait juste derrière les États-Unis en termes de nombre quotidien de nouveaux utilisateurs. La gestion de la version française de la plateforme a été confiée un temps à Alister Rivière, avant que celui ait rejoint l’US Air Force.

De gauche à droite: Damien Rieu, Jérôme Rivière, Jason Miller et Alister Miller (Photo: Jason Miller/Gettr)
De gauche à droite: Damien Rieu, Jérôme Rivière, Jason Miller et Alister Miller (Photo: Jason Miller/Gettr)

Un choix malin, puisque ce jeune franco-américain n’est autre que le fils de Jérôme Rivière, ancien-chef des eurodéputés RN au Parlement européen et toute nouvelle recrue d’Éric Zemmour. Présenté comme “membre du crew Gettr” par Jason Miller en personne, Jérôme Rivière est à l’initiative de sa réception en grande pompe au Parlement européen par le groupe Identité et Démocratie, où siègent les élus RN.

Un lobbying efficace qui a permis à Gettr de s’attirer quelques figures de choix. Éric Zemmour y possède un compte, tout comme son parti “Reconquête!” et plusieurs membres de son équipe de campagne, comme Antoine Diers ou Stanislas Rigaud.

On retrouve également quelques élus de premier plan du Rassemblement national, comme Stéphane Ravier et Louis Aliot. À l’inverse de Marine Le Pen qui boude toujours le réseau, tout comme le parti à la flamme tricolore. On y croise aussi les médias conservateurs comme Valeurs actuelles ou TV Libertés et plusieurs influenceurs de la droite nationaliste, comme Papacito ou encore l’ex-porte-parole de Génération identitaire, Thaïs d’Escufon. Cette dernière est d’ailleurs “sponsorisée” par Gettr pour produire ses vidéos sur YouTube.

De gauche à droite: Jordan Florentin (Livre Noir), Alister Riviere, Florian Philippot et Jason Miller (Photo: Capture Gettr)
De gauche à droite: Jordan Florentin (Livre Noir), Alister Riviere, Florian Philippot et Jason Miller (Photo: Capture Gettr)

Y ont également trouvé refuge les visages de l’opposition à la politique sanitaire du gouvernement, de l’avocat Fabrice Di Vizio à Florian Philippot. Preuve des efforts consentis par la plateforme pour s’implanter plus durablement que Parler, autre réseau alternatif que tout le monde a quasiment oublié, y compris à l’extrême droite, un an et demi après son lancement.

Pour attirer - et surtout garder - ses nouveaux membres, Gettr promet des contenus “exclusifs”, produits par ses têtes affiches, ou alors par les médias qui ont accepté cette aventure avec la promesse de dire tout haut ce qu’ils ne pourraient pas murmurer sur YouTube et consorts sous peine de “censure”. Des partenariats financiers sur lesquels il n’est pas simple de lever le voile. Contacté par Le HuffPost, le réseau social n’a pas donné suite. De même que plusieurs créateurs de contenus officiant en “exclu” pour Gettr que nous avons tentés de joindre.

Côté contenu justement - et étant donné que l’expression y est presque totalement libre - l’utilisateur lambda navigue entre obsessions nationalistes, propos racistes et penchants conspirationnistes. Ce qui, dans le cadre d’une campagne présidentielle, n’est pas sans danger, de l’aveu même des habitués de la droite radicale.

"C’est le genre de plateforme communautariste, qui isole les gens dans leurs idées au lieu de les inviter à réfléchir.Une figure de la droite "hors les murs""

“Ce n’est pas mon truc. C’est le genre de plateforme communautariste qui isole les gens dans leurs idées au lieu de les inviter à réfléchir. C’est plus du business que de la conversation utile à la démocratie”, observe - sévère - une figure influente de la droite “hors les murs” présente à cette fameuse soirée mi-décembre qui tient à rester anonyme.“Au final, ça ne confronte pas les gens aux faits sur lesquels on peut débattre, mais ça les conforte dans leur connerie. Et au bout, ça donne des trucs du genre QAnon”, décrypte notre interlocuteur. Effectivement, et alors que l’exécutif planche sur les conditions de l’élection présidentielle, commence à monter la musique conspirationniste d’une instrumentalisation de la pandémie à des fins de fraude électorale.Le 20 décembre, Thaïs d’Escufon prévient ainsi ses 19.000 followers: “Préparez-vous à entendre parler du vote par correspondance comme ‘mesure sanitaire’ pour lutter contre le Covid (pour ne pas dire Zemmour). Ils préparent le terrain avec le pass vaccinal. Seuls les vaccinés pourront déposer leur bulletin dans leur bureau de vote”. Même avertissement formulé par Grégory Roose, chroniqueur à Valeurs actuelles: “Il faudra être vacciné pour voter autrement que par correspondance”. Une anticipation aux accents complotistes largement partagée sur Gettr, certains internautes important en France la suspicion partagée outre-Atlantique à l’égard de “Dominion Voting System”, entreprise qui a fourni les machines électorales lors des dernières élections américaines.

Capture Gettr (Photo: Capture Gettr)
Capture Gettr (Photo: Capture Gettr)

“Le fantasme autour de ‘Dominion’ vient de l’écosystème QAnon aux États-Unis, avec la théorie que le vote par correspondance a biaisé le résultat, et donc que Donald Trump s’est fait voler la victoire sur le prétexte de l’épidémie”, explique au HuffPost Anthony Mansuy, journaliste pour Society et auteur d’un livre à paraître en avril au sujet de ces mouvances conspirationnistes.

Pas franchement étonné que cette rhétorique “qui flotte dans l’air des réseaux sociaux” soit reprise à l’occasion de la campagne électorale française, le spécialiste souligne “l’intérêt qu’ont certains à s’en saisir comme arme politique”, à l’heure où la crise sanitaire a accentué la défiance envers les autorités.

Chouchou de la communauté Gettr française, Éric Zemmour reprend, face caméra cette fois, cette idée qui se répand sur le réseau social : “La présidentielle est l’élection reine de notre démocratie. Elle ne doit pas être entachée par cette épidémie. Je vois bien que certains auraient un intérêt à occulter cette échéance et à voler l’élection aux Français. Je serai vigilant”, a-t-il déclaré sur CNews.

Aux États-Unis, les supporters de Trump qui ont envahi le Capitole avaient un slogan pour exprimer cette idée : “Stop the steal”. Ou “arrêtez le vol”, en bon français.

À voir également sur Le HuffPost: Le déplacement de Zemmour à Calais ne s’est pas fini comme prévu

Cet article a été initialement publié sur Le HuffPost et a été actualisé.

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