"Pourquoi taire une scène de viol?": au procès des viols de Mazan, la diffusion des vidéos au cœur d'un débat tendu

Le président de la cour criminelle du Vaucluse a décidé unilatéralement que la diffusion des vidéos des viols subis par Gisèle Pelicot ne serait plus systématique. La presse doit également évacuer la salle d'audience au moment de la diffusion. Un débat doit se tenir ce vendredi devant la cour sur les conditions de ces diffusions.

Le 2 septembre, Gisèle Pelicot faisait le choix de ne pas demander le huis clos, comme c'est son droit, pour ce procès des viols de Mazan. Un choix assumé de celle qui a été droguée pendant des années par son mari avant d'être livrée à des inconnus, pour que la honte change de camp alors que 50 hommes comparaissent pour viol aux côtés de Dominique Pelicot. Pour Gisèle Pelicot, il s'agissait également de sensibiliser la société à la soumission chimique et aux violences sexuelles.

"Je veux leur dire aujourd'hui: 'Regardez autour de vous, vous n'êtes pas seules'", lançait Gisèle Pelicot aux victimes de violences sexuelles au lendemain de manifestation pour la soutenir.

Trois semaines après le début du procès, ce choix de publicité qui sonne comme une revendication est amoindri par une décision prise par le président de la cour criminelle du Vaucluse. Il a décidé que seules les parties présentes au procès, avocats de la partie civile, de la défense et le ministère public, pourraient assister au visionnage des vidéos filmées et consignées par Dominique Pelicot. Et cette diffusion se ferait après donc l'évacuation du public et des journalistes.

Les avocats de Gisèle Pelicot ont déposé lundi 30 septembre des conclusions pour contester une décision. Elle doit être débattue ce vendredi 4 octobre.

Alors que les incidents se sont multipliés à l'intérieur et à l'extérieur de la salle d'audience, Roger Arata, le président de la cour criminelle du Vaucluse a décidé, unilatéralement, le vendredi 20 septembre, que les vidéos de "scènes de sexe", comme il avait fait le choix de les qualifier, filmées par Dominique Pelicot, ne seraient plus systématiquement diffusées pour chaque accusé.

"Considérant que ces images sont indécentes et choquantes, cela se fera en présence des seules parties au procès et de la cour", avait ajouté Roger Arata, excluant en conséquence la présence du public et des journalistes.

Les avocats de Gisèle Pelicot et de ses enfants ont tenté vainement de le faire revenir sur cette décision deux jours plus tard. "Je pense avoir été très clair à ce sujet, dans le cadre de mesures de police d’audience, j'ai indiqué que des vidéos seront projetées si c’est nécessaire à la manifestation de la vérité et qu'à ce moment-là, la salle sera évacuée, la connexion avec la salle de retransmission coupée et les diffusions réservées aux parties et à la cour", a rétorqué le président.

"Ni public, ni journaliste, il n'y a pas de débat, on ne va pas y revenir", avait-il ajouté.

Le magistrat honoraire et ancien président de la cour d'assises de Paris, Dominique Coujard, interrogé par BFMTV.com dit être en accord avec cette décision. "Le public, les journalistes assistent aux débats devant une cour, ils ne peuvent avoir accès aux pièces du dossier, les vidéos sont des pièces du dossier", détaille-t-il, s'interrogeant toutefois sur le moment de cette décision.

Ce choix du magistrat est en effet intervenu au lendemain de la première diffusion d'une vidéo montrant l'un des hommes accusés abuser de Gisèle Pelicot, manifestement inconsciente, comme "morte", ont décrit ceux qui ont vu ces images. En ayant acté la décision de Gisèle Pelicot et de ses enfants de renoncer au huis clos, le président de la cour Roger Arata avait averti que ce visionnage ne serait pas totalement public. La retransmission dans la salle annexe avait été coupée, alors que des mineurs assistent aux débats. Les journalistes étaient toutefois autorisés à y assister pour relayer auprès du grand public.

Mais voilà, profitant d'une demande des avocats généraux réclamant que cette diffusion soit systématique, le président Roger Arata est revenu sur le refus du huis clos de Gisèle Pelicot. "Les débats nous conduiront longuement à examiner ces faits dans le détail, et, à notre sens, des vidéos seront nécessairement visionnées", avait estimé le ministère public. "Je n'ai pas besoin de voir un meurtre en direct pour savoir que c'est effroyable, j'ai du mal à voir ce que ça apporterait dans le débat", s'était étonné Me Carine Monzat, l'avocate de l'un des accusés, à la sortie de la salle d'audience. Ses collègues sur les bancs de la défense se sont engouffrés dans cette ligne, dénonçant un "déballage nauséabond".

Me Paul-Roger Gontard estimait que cette diffusion systématique était "pour toutes celles et ceux qui, en dehors, cherchent à s’abreuver du sang qui peut couler de cette justice".

Seule l'avocate de Dominique Pelicot était pour la diffusion des vidéos.

Pour l'accusation et les avocats de Gisèle Pelicot, ce dossier repose pourtant sur ces vidéos, précieusement consignées par Dominique Pelicot pendant 10 ans. Ce n'est que grâce à leur découverte par les policiers de Carpentras qui venaient d'interpeller le mari filmant sous la jupe des femmes que les atrocités subies par Gisèle Pelicot ont pris fin. "Il faut donner l’opportunité aux accusés d’expliquer comment, au moment de commettre ces actes, ils ne pensaient pas commettre un viol", avait réagi Me Stéphane Babonneau, l'un des conseils des parties civiles.

Car, depuis le premier jour de ce procès, 35 des 50 accusés nient leur intention d'avoir voulu violer Gisèle Pelicot et affirment avoir été "piégés" par Dominique Pelicot. "On cache le mode opératoire", déplore Me Isabelle Steyer, avocate spécialisée dans les dossiers de féminicides et de violences faites aux femmes. "Ces vidéos, c'est ce que le violeur demande à la violée. Pourquoi tairait-on une scène de viol? C'est de l'information car, plus largement, ces images détruisent l'image du bon père de famille. Toutes les images de bien-pensance, tous les stéréotypes, sont détruits."

"Il y a une volonté de cacher la banalité du mal", abonde la journaliste et militante féministe Anna Toumazoff.

Me Steyer intervient dans de nombreux dossiers de féminicides aux côtés des familles des victimes. "Il m'est arrivé en cour d'assises de faire visionner une vidéo des faits, on ne s'est pas posé la question de cette diffusion pour un meurtre?", interroge l'avocate. "Pourquoi pour des crimes juridiquement moins graves, le président va vers le huis clos?"

"Le droit pénal, c'est pour réparer le trouble à l'ordre public, on a le sentiment que c'est Gisèle Pelicot qui trouble l'ordre public", déplore à son tour Anna Toumazoff.

Au-delà du symbole, cette décision du président de la cour criminelle du Vaucluse, pour Me Isabelle Steyer, pose "un problème d'égalité entre les parties". Pourquoi des vidéos de certains accusés seront diffusées, et pour d'autres accusés, la cour -dont, à l'exception du président, les magistrats qui la composent n'ont pas eu accès à ces contenus- ne se contenterait que d'un descriptif des faits et de la parole de l'accusé? Sur cette question, la défense n'a pas réagi.

Article original publié sur BFMTV.com