Pourquoi la sortie du film d'animation "Look Back" est un événement
Une des histoires les plus bouleversantes du manga contemporain, enfin transposée sur grand écran. Une adaptation de Look Back de Tatsuki Fujimoto, qui avait fait sensation en 2021, sort ce week-end au cinéma en France. Mais il faudra se dépêcher pour découvrir ce film: il ne sera en salles que samedi 21 et dimanche 22 septembre.
Look Back, qui a été projeté en juin dernier au festival d'animation d'Annecy, raconte l'amitié entre deux jeunes femmes dont le rêve est de devenir autrices de mangas. Fujino est une adolescente surdouée, mais présomptueuse, tandis que Kyomoto, tout aussi géniale en dessin, vit cloîtrée chez elle.
Grâce à Fujino, Kyomoto va parvenir à surmonter son anxiété et sortir de chez elle. Et les deux jeunes femmes, éprises l'une de l'autre, vont se mettre à créer ensemble. Mais leur relation est rapidement brisée par un événement tragique, qui va forcer l'une des deux à se replonger dans son passé.
Sorti cet été au Japon, le film a été encensé par Hideo Kojima, le créateur de Metal Gear Solid. "Look Back est l'un des films d'animation les plus incroyables de la décennie. Ce film m'a bouleversé", a-t-il écrit sur X avant de saluer la qualité de l'animation des personnages.
Ambition visuelle
Avec Look Back, le réalisateur Kiyotaka Oshiyama a voulu "dépasser le langage standard du film d'animation commercial japonais", explique-t-il à BFMTV. Ce film d'une heure a été principalement animé par lui avec une équipe de dix d'animateurs pour "se différencier du tout-venant de la production commerciale."
"Quand on travaille dans le dessin animé commercial au Japon, il y a beaucoup de restrictions liées à la division collective du travail. Tout le monde doit travailler sur le même graphisme et on est donc très restreint d'un point de vue visuel. Je voulais que l'on représente toutes les nuances graphiques des personnages."
Et comme Look Back parle de la difficulté de créer, il a aussi tenu à ce que le travail graphique des animateurs clés, qui dessinent les étapes importantes d'un mouvement d'un personnage, apparaisse tel quel à l'écran. "Le résultat est souvent plus propre (dans les autres films) mais je voulais qu'on voie le dessin avec sa vie, son émotion."
Sacrifice
Une telle ambition est devenue impossible dans l'industrie cinématographique japonaise. "L'ensemble des équipes créatives travaillent sur un trop grand nombre de projets", précise Kiyotaka Oshiyama. "Les talents sont trop éparpillés sur trop de studios et travaillent dans un environnement et des conditions financières très dures."
"Face à ces difficultés structurelles, qui existent de longue date, ce qui fait la qualité des projets, c'est l'abnégation des équipes", poursuit-il. "Des gens qui se sacrifient pour une forme de qualité. C'est grâce à ça que ça tient. C'est vous dire à quel point c'est fragile. Il est très difficile d'établir une ambition claire et assumée."
Son plus grand défi, sur Look Back, a été de mettre en mouvement le dessin de Tatsuki Fujimoto, qui rythme son histoire avec l'image récurrente d'un personnage de dos en train de dessiner. Une image devenue iconique, mais qui est particulièrement difficile à retranscrire visuellement sans ennuyer le public, analyse Kiyotaka Oshiyama:
"L'adaptation posait un défi en termes de dynamisme de l'image. La couleur nous a permis de trouver une efficacité visuelle. Le film dure seulement 60 minutes. Pour que les spectateurs puissent suivre jusqu'au bout et ne se perdent pas en route, il a fallu trouver des procédés pour captiver son attention."
Erreurs dans le manga?
Le projet a toujours été pensé comme un moyen-métrage. Il n'a jamais été question d'adapter ce manga de 140 pages en long-métrage - ni donc d'ajouter des scènes inédites à ce récit poignant. Mais Kiyotaka Oshiyama a insisté pour rencontrer Tatsuki Fujimoto pour lui poser des questions sur plusieurs aspects peu clairs de son récit.
"J'ai pu effectuer un certain nombre de vérifications auprès de lui", détaille le réalisateur. "Dans son récit, beaucoup de détails de l'histoire peuvent être sujets à des interprétations divergentes et de nombreux éléments graphiques peuvent apparaître comme des erreurs de composition, sans que l'on puisse savoir si c'est fait exprès."
"Il peut arriver que l'on fasse des erreurs en manga", concède le réalisateur. "Mais le travail de l'animation étant plus précis (que celui du manga en termes de composition des plans, ndlr), j'avais besoin de savoir si c'était un hasard ou si c'était intentionnel, si on devait garder ces éléments ou les corriger."
Incendie criminel
Kiyotaka Oshiyama n'a cependant pas demandé à Tatsuki Fujimoto si Look Back était, comme le dit une rumeur persistante, un récit en partie autobiographique où il rend hommage à un proche mort dans l'incendie criminel du studio Kyoto Animation, qui a fait 36 morts et 32 blessés en 2019.
"Je ne lui ai pas demandé quelles étaient ses motivations personnelles pour raconter cette histoire", confie le réalisateur. "Pour l'adaptation, ce qui comptait pour moi était de dépasser l'évocation de l'affaire criminelle de Kyoto Animation et de trouver le moyen de porter un regard sur les victimes de ce genre d'événements."
Alors que l'autre best-seller de Tatsuki Fujimoto, Chainsaw Man, fait déjà l'objet d'une adaptation animée par le studio Mappa, Kiyotaka Oshiyama envisage-t-il de transposer au cinéma son autre one-shot, Adieu Eri? Pour l'heure, ce n'est pas d'actualité. Et pour une raison bien précise, insiste le réalisateur.
"C'est un projet qui poserait beaucoup de difficultés spécifiques et qui nécessiterait de trouver beaucoup de solutions complexes. Il y a dans ce manga beaucoup d'images subjectives. Et il est difficile avec l'animation à la main, en 2D, d'animer des plans en vue subjective. Peut-être en 3D. Mais je ne suis pas armé pour un tel projet."