Pourquoi les rodéos urbains sont si difficiles à gérer pour la police

Face aux rodéos urbains, phénomène dangereux pour les riverains et extrêmement difficile à juguler pour les forces de l’ordre, de plus en plus de voix se font entendre dans la police pour réclamer l’autorisation de « tamponner » les pilotes pour les faire tomber de leur véhicule (photo d’illustration prise à Jakarta, en Indonésie).

Andri Andri / EyeEm / Getty Images

Face aux rodéos urbains, phénomène dangereux pour les riverains et extrêmement difficile à juguler pour les forces de l’ordre, de plus en plus de voix se font entendre dans la police pour réclamer l’autorisation de « tamponner » les pilotes pour les faire tomber de leur véhicule (photo d’illustration prise à Jakarta, en Indonésie).

RODÉOS URBAINS - « Quand on entre dans la police, notre but est de faire appliquer la loi. Là, on ne nous donne pas les moyens, et quand on arrive sur place, on nous empêche d’intervenir. » Matthieu*, policier fort d’une vingtaine d’années passées dans un quartier sensible, fait avec les rodéos urbains depuis son début de carrière. Mais avec les réseaux sociaux qui, selon lui, poussent les jeunes à aller toujours plus loin dans leurs acrobaties, il assure comme une partie de sa corporation que de nouvelles mesures sont aujourd’hui nécessaires.

Car en ce milieu du mois d’août, le sujet revient avec force dans l’actualité. En juin, un adolescent fauché par un ami qui tentait une « roue arrière » à moto est mort à Rennes. Et le 6 août, à Pontoise près de Paris, c’est un jeune homme de 18 ans qui a renversé deux enfants, dont une fillette de dix ans toujours entre la vie et la mort.

Un enchaînement tragique qui intervient alors que le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin a fait de la lutte contre les rodéos urbains un axe de sa communication. Son ministère vient en effet d’annoncer que 8 000 contrôles avaient eu lieu entre juin et juillet, donnant lieu à 1 200 interpellations et à la saisie de 700 véhicules. Et depuis le drame de Pontoise, le locataire de la place Beauvau veut que les forces de l’ordre fassent encore mieux.

Dans une note adressée aux préfets, Gérald Darmanin demande une intensification des contrôles au mois d’août, visant le chiffre de 10 000, avec une attention toute particulière à apporter à certains secteurs sensibles, notamment dans le but de repérer où sont stockés les véhicules utilisés dans les rodéos. Le tout devant donner lieu à une importante communication, en direction du grand public comme des élus.

Mais à entendre les policiers, c’est insuffisant. Fabien Vanhemelryck, secrétaire général du syndicat Alliance, rappelle en effet la difficulté d’intervenir, même pour un simple contrôle : « À part interpeller le pilote quand il est à l’arrêt ou si sa moto cale, je ne vois pas bien comment on fait. Et si on arrive à repérer où il finit son trajet, je défie quiconque d’aller chercher une moto dans un quartier difficile : on ne va quand même pas mobiliser une compagnie de CRS pour ça... »

Et comme le rappelle Matthieu*, l’autre difficulté est de ne pas savoir à qui on a affaire. «  Quelqu’un qui fuit à moto, ça peut être plein de choses : il peut juste s’amuser ou vouloir éviter le contrôle parce qu’il roule sans permis. Mais il peut aussi être armé et avoir tout juste commis un braquage, il peut même fuir après avoir commis un attentat.  » Le policier insiste : «  Est-ce qu’un gars qui brûle quatre feux rouges et qui prend des risques insensés le fait vraiment sans n’avoir rien à se reprocher ? Tant qu’on n’a pas interpellé, on ne sait pas qui prend la fuite devant nous.  »

Les policiers veulent « tamponner »

Raison pour laquelle les syndicats réclament de nouveaux moyens d’action. Alliance demande depuis des années (comme Alternative police, la branche police de la CFDT plus récemment) de pouvoir recourir au « contact tactique » comme leurs collègues britanniques. C’est-à-dire de pouvoir « contacter  », «  tamponner  » le pilote de deux-roues qui refuserait d’obtempérer ou qui serait lancé dans un rodéo.

À condition de l’expérimenter localement et d’accompagner les policiers en les formant, ce « contact tactique » est la solution privilégiée des syndicats. D’autant que la méthode a fait ses preuves à Londres, où les vols à l’arraché commis par des motards représentent un problème important de sécurité publique. L’année de l’instauration de cette pratique, les délits à scooter ont ainsi reculé de 36 % dans la capitale britannique, rapporte LCI.

Reste, précise Denis Jacob, le secrétaire général d’Alternative police, à offrir une protection juridique aux policiers. Car pour l’heure, c’est une note de la Direction centrale de la sécurité publique qui fait foi, laquelle demande aux policiers de faire preuve de « discernement » et de ne pas intervenir sur un rodéo si cela présente des risques pour la population ou le pilote du véhicule. « Dans ce contexte, si l’on intercepte et que le conducteur est tué, on imagine bien quelles seront les réactions politiques et médiatiques... »

Jusqu’à présent, détaille encore Denis Jacob, son organisation prônait des méthodes moins radicales, telles que l’utilisation de drones pour suivre les conducteurs et les identifier, le recours accru à la vidéosurveillance et des sanctions très fortes contre la diffusion de vidéos de rodéos qui contribueraient à encourager le phénomène. Mais « aucune n’a été retenue » après une audition parlementaire à l’Assemblée nationale à l’été 2021. Et les rodéos n’ont pas cessé, bien au contraire, ce qui le conduit aujourd’hui à écrire à l’ensemble des sénateurs et des députés pour leur demander de considérer sa demande sur le « contact tactique ».

« À chaque fois qu’on le propose (le recours au contact tactique, NDLR), on passe pour des radicaux », s’agace Fabien Vanhemelryck. « Mais à un moment, il va falloir que les politiques s’emparent de la situation, qu’ils comprennent qu’on ne peut pas se contenter d’acheter une paix sociale et de laisser une situation dégradée continuer à se dégrader », regrette celui pour qui « la peur qu’un individu renversé vienne à décéder » préside à l’heure actuelle la manière de penser du législateur aux dépens de la sécurité de la population.

Le souvenir de Villiers-le-Bel

Un constat auquel Denis Jacob apporte un élément de compréhension, évoquant un « syndrome » autour du sujet des rodéos. « C’est comme les BRAV qui réveillent à chaque fois le souvenir des voltigeurs et la mort de Malik Oussekine : avec les rodéos, on met tout de suite en parallèle l’affaire de Villiers-le-Bel en 2007. » À l’époque, après qu’une voiture de police se rendant sur une intervention avait tué deux jeunes circulant à moto et qui venaient de griller la priorité à droite aux policiers, des émeutes urbaines de grande ampleur avaient suivi pendant plusieurs semaines. Jusqu’à empêcher aujourd’hui les politiques de se positionner fermement sur le sujet des rodéos, assurent nos différents interlocuteurs.

Pour l’heure, et depuis la loi du 3 août 2018, la « conduite d’un engin motorisé en compromettant délibérément la sécurité des usagers de la route ou la tranquillité publique » est un délit. En théorie, selon le Code de la route, les personnes qui le pratiquent encourent entre un et cinq ans d’emprisonnement ainsi qu’une amende allant de 15 000 à 75 000 euros en fonction de possibles circonstances aggravantes (rodéo commis en réunion, sous l’effet d’alcool ou de drogue, absence de permis...).

Mais à entendre les différents responsables policiers interrogés dans cet article, cela ne se traduit pas forcément dans la réponse pénale. « Augmenter les sanctions, c’est bien. Mais après il faut les appliquer », réclame notamment Matthieu*. C’est pour cela que Fabien Vanhemelryck veut aller plus loin que la simple possibilité pour les policiers d’avoir recours au « contact tactique ». « Car cela ne suffira pas : il faut cette méthode d’interpellation, et ensuite la confiscation du véhicule, la destruction du véhicule et que l’individu finisse en prison. » Pour le responsable d’Alliance, « aujourd’hui, on est dans le consensus mou : on nous demande plus de contrôles, on annonce plus d’interpellations, mais ce que l’on voudrait savoir, c’est ce qu’il en est des condamnations pénales. Est-ce que ces gens vont réellement en prison ? »

Et Denis Jacob d’Alternative police de renvoyer une dernière fois la balle dans le camp des parlementaires : « Est-ce que l’on fait le choix de dire que l’on interpelle en flagrant délit (ce qui implique forcément des risques pour les policiers et le conducteur) ou est-ce que l’on préfère traiter a posteriori avec le risque de laisser une fillette se retrouver dans le coma en étant percutée ? Ça revient à poser la question de la police que l’on souhaite, et ça, c’est un choix politique. »

*Le prénom a été modifié

À voir également sur le HuffPost : Didier Lallement, des gilets jaunes au Stade de France, un préfet de police polémique

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