Pourquoi les relations entre le Maroc et la France se sont détériorées ?

La proposition d’aide matérielle et logistique de la France au Maroc après le séisme de vendredi est restée lettre morte. Un signe que les relations diplomatiques ne sont pas au beau fixe ?

Emmanuel Macron et le roi Mohamed VI lors de l'inauguration de la gare Rabat Agdal le 15 novembre 2018 (Photo by FADEL SENNA / AFP)
Emmanuel Macron et le roi Mohamed VI lors de l'inauguration de la gare Rabat Agdal le 15 novembre 2018 (Photo by FADEL SENNA / AFP)

Après le séisme survenu au Maroc vendredi 8 septembre qui a fait plus de 2860 morts et de nombreux dégâts, la France a proposé son aide au royaume chérifien. “Les autorités marocaines savent exactement ce qu'on peut livrer, la nature et le timing. Maintenant, c'est à leur main car ce sont les autorités locales qui savent ce qui est utile et qui peuvent coordonner, a précisé Emmanuel Macron dimanche, en marge du sommet du G20 en Inde. (...) À la seconde où cette aide sera demandée, elle sera déployée.”

Pour l’instant, le Maroc a accepté l’aide de quatre pays : l’Espagne, la Grande-Bretagne, le Qatar et les Émirats arabes unis, mais pas encore celui de la France. Un choix fait “après une évaluation minutieuse des besoins sur le terrain” et justifié par le fait “qu’une absence de coordination pourrait être contre-productive”, précise un communiqué du pays. La journaliste marocaine Samira Sitaïl rappelle sur le plateau de BFM qu’il ne s'agit pas d'un "refus" et incite "à ne pas se formaliser".“Le Maroc veut insister sur le fait que c’est un pays souverain, en capacité de gérer ce type de situation et qu’il n’est pas dépendant de l’aide extérieure”, complète David Rigoulet-Roze, docteur en sciences politiques, chercheur associé à l’Iris et rédacteur en chef de la revue Orients Stratégiques, interrogé par Yahoo.

Mais cette non réponse est-elle un signe que Paris n’est plus un interlocuteur privilégié pour Rabat ? “Dans ce cas précis, je ne crois pas que les questions politiques soient déterminantes, mais c’est sûr qu’il y a des récriminations du Maroc vis-à-vis de la France”, nous explique Frédéric Encel, géopolitologue, maître de conférence à Science Po Paris et auteur de l’ouvrage “Petites leçons de diplomatie” (éd Autrement, 2023). Pour David Rigoulet-Roze, “c’est un peu une manière de 'snober' la France que de faire attendre sa réponse parce qu’il y a depuis plusieurs mois des contentieux à plusieurs niveaux.”. L’entourage du roi Mohamed VI avait déjà donné le ton en mars dernier : “Nos relations ne sont ni bonnes ni amicales.”

L’affaire des visas

Le premier grand point de tension remonte à novembre 2021, quand la France a annoncé sa volonté de diminuer drastiquement le nombre de visas aux voyageurs marocains. Cette décision, qui concernait aussi l’Algérie et, dans une moindre mesure, la Tunisie, a été prise après que ces pays ont limité la délivrance de "laissez-passer consulaires", nécessaires pour expulser du territoire français les ressortissants en situation irrégulière. De nombreuses procédures d’expulsions se sont alors retrouvées gelées.

“Cette politique a été considérée par le Maroc, très francophile et francophone, comme humiliante et injuste”, souligne Frédéric Encel, alors que près d’1,5 million de Marocains vivent en France, dont 670 000 binationaux, selon l’Observatoire de l’immigration et de la démographie, et plus de 50 000 Français vivent au Maroc. Les Français n’ont, par ailleurs, pas besoin de visa pour se rendre au Maroc.

La question du Sahara occidental

Le deuxième grand point de tension, plus diplomatique et géopolitique, concerne le Sahara occidental. Le Maroc revendique la souveraineté de cette ancienne colonie espagnole tandis que les Nations Unies l’ont inscrites sur la liste “des territoires non autonomes”. “Jusqu’aux années 2010, la France était plutôt en pointe dans le soutien au Maroc dans ses efforts diplomatiques pour organiser une consultation référendaire, rappelle Frédéric Encel. Mais en décembre 2020, Donald Trump est passé au-delà en reconnaissant la souveraineté chérifienne sur le Sahara occidental. Le Maroc a donc demandé à ses alliés d’en faire autant.”

En mars 2022, l’Espagne a franchi le cap en déclenchant au passage de vives réactions des indépendantistes sahraouis du Front Polisario et de leur allié algérien. “La France préfère de son côté maintenir sa position, mais elle est désormais considérée insuffisante aux yeux de Rabat”, ajoute le géopolitologue. Preuve ultime que les relations ne sont pas au bon fixe : le Maroc n’a plus d’ambassadeur à Paris depuis janvier dernier.

Les tentatives de rapprochement avec l’Algérie

“Aux yeux du Maroc, la position française est - à tort ou à raison - d’autant moins claire qu’il y a un rapprochement en cours avec Alger”, confirme David Rigoulet-Roze. Emmanuel Macron s’est en effet rendu à la fin du mois d’août dans le pays pour relancer la relation bilatérale, à la fois au niveau économique et pour des raisons mémorielles. “Mais alors que les relations entre Rabat et Alger sont catastrophiques, cette tentative a été perçue par le Maroc comme une forme de trahison”, précise Frédéric Encel.

“Quand Mohamed VI dit en 2022, lors de son discours du trône, que ‘le Sahara occidental est le prisme à travers lequel le Maroc considère son environnement international’, il considère qu’il va jauger de la qualité de ses relations avec les pays tiers en fonction de ce point”, note David Rigoulet-Roze. Signe des temps, le premier partenaire commercial du Maroc n’est plus la France, mais l’Espagne qui fait partie des quatre pays admis pour l'aide.

D’autres affaires sont venues ternir les relations entre la France et le Maroc, comme l’affaire Pegasus à l'été 2021, du nom du logiciel espion développé pour surveiller à distance quelque 50 000 personnes influentes à travers le monde. Des pays comme le Maroc ont alors été pointés du doigt. Plus tard, en janvier 2023, c'est un vote du Parlement européen qui a vivement fait réagir Rabat en votant un texte non contraignant demandant au royaume de garantir "la liberté d'expression et la liberté des médias" et de s'assurer que les "journalistes incarcérés" puissent bénéficier d'un "procès équitable".

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