Pourquoi la procédure de destitution d'Emmanuel Macron envisagée par LFI est "illusoire"

Coup de poker ou réelle menace? La France insoumise dit envisager d'engager une procédure de destitution contre Emmanuel Macron, accusé de "coup de force institutionnel contre la démocratie" pour son refus "de prendre acte" du résultat des législatives de juillet, dans un texte publié le 18 août dans La Tribune dimanche.

Emmanuel Macron "doit savoir que seront utilisés tous les moyens constitutionnels de le démettre plutôt que nous soumettre à son mauvais coup contre la règle de base de la démocratie: en France, le seul maître est le vote populaire", insistent Jean-Luc Mélenchon, Mathilde Panot et Manuel Bompard, signataires de la tribune.

Alors qu'Emmanuel Macron doit consulter vendredi 23 août les forces politiques en vue de former un gouvernement, près d'un mois et demi après les élections, les insoumis mettent en garde le président qui "serait sur le point de nommer un chef de gouvernement sans tenir compte du résultat politique" de ces législatives, qui ont placé en tête la gauche unie au sein du Nouveau Front populaire (193 députés), mais loin de la majorité absolue (289 députés).

"Manquement" aux "devoirs" du président

Les insoumis invoquent donc l'article 68 de la Constitution, qui permet au Parlement de destituer le président pour "manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l’exercice de son mandat".

"Il est évident que le refus de prendre acte d’une élection législative et la décision de passer outre constituent un manquement condamnable aux exigences élémentaires du mandat présidentiel", plaident les signataires du texte.

Les cadres de La France insoumise profitent d'une rédaction relativement floue de l'article 68 de la Constitution, explique à BFMTV.com la constitutionnaliste Anne-Charlène Bezzina. En effet, rien ne définit ce qu'est exactement le "manquement" qui serait "incompatible avec l'exercice" du mandat présidentiel.

"Quand en 2007 on crée cette notion (par une loi constitutionnelle, NDLR), on vient remplacer celle de 'haute trahison' qui avait cours en donnant plus de place à l'interprétation politique", explique la professeure de droit public de l'université de Rouen.

De nombreux obstacles

Une telle procédure doit cependant franchir plusieurs obstacles. Dans un premier temps, il faut convaincre Assemblée et Sénat de se constituer en "Haute cour". Ce qui passe par une proposition de résolution qui doit être successivement validée par le Bureau de l'Assemblée (le NFP y dispose d'au moins 12 voix sur 22), puis adoptée en commission des Lois, et dans l'hémicycle à une majorité des deux tiers. Un parcours similaire doit ensuite être effectué au Sénat.

Dans un deuxième temps, la Haute cour ainsi constituée dispose d'un mois pour statuer, à bulletins secrets, sur la destitution, là encore à une majorité des deux tiers.

"Si ce moyen d’action contre le coup de force de Macron devait être utilisé, il faudrait évidemment l’expliquer avec soin devant notre peuple et organiser méthodiquement son utilisation", font valoir les insoumis.

Si LFI, avec 72 députés, peut théoriquement déposer seul sa proposition de résolution (il faut un dixième des 577 députés pour le faire, soit plus de 57 élus), le parti de gauche radicale dit vouloir agir sur une "base aussi collective que possible".

"C’est pourquoi nous estimons que c’est aux chefs des partis de notre coalition et aux présidences de nos groupes parlementaires d’en débattre et de prendre respectivement leur décision", affirme-t-il.

LFI face à un manque de soutiens

Problème, les autres membres du NFP ont opposé une fin de non-recevoir au projet. "Cette tribune n’est signée que par les dirigeants de LFI. Elle n’engage que leur mouvement. La réponse à une nomination d’un Premier ministre qui ne serait pas conforme à la tradition républicaine, est la censure", a balayé le patron des socialistes Olivier Faure sur son compte X.

Ce n'est "ni la ligne, ni la priorité" des Écologistes, a affirmé de son côté Marine Tondelier sur BFMTV. Même prise de distance du côté du Parti communiste. "LFI choisit de se lancer dans la présidentielle dès maintenant. C'est leur choix", indique le PCF à l'AFP. "Pour nous, ce n'est pas la priorité."

Faute du soutien de ses propres alliés, La France insoumise n'a aucune chance de rassembler suffisamment de parlementaires pour enclencher le processus de destitution. "Quand bien même, par un coup de baguette magique, LFI arrive à réunir les deux tiers de l'Assemblée eu égard à toutes les inimitiés qu'Emmanuel Macron a soulevées, imaginer avoir les deux tiers du Sénat (dominé par la droite, NDLR) puis du Parlement réuni en Haute-Cour est illusoire", souligne Anne-Charlène Bezzina.

Pour la constitutionnaliste, le parti de Jean-Luc Mélenchon cherche davantage à "faire pression" sur Emmanuel Macron qu'à le destituer réellement. Manuel Bompard, coordinateur du parti, parle lui-même d'un "avertissement". "Nous préférons (qu'il) nomme Lucie Castets à la tête du gouvernement", a-t-il déclaré sur RTL ce lundi.

La menace de LFI n'est toutefois pas à prendre à la légère, nuance Anne-Charlène Bezzina: "Le simple fait que leur proposition soit déclarée recevable par le bureau de l'Assemblée nationale serait une première dans l'histoire de la Ve République".

Avant Emmanuel Macron, la menace de destitution n'avait été brandie qu'une seule fois, sous François Hollande, au moment de la parution de son livre d'échanges avec des journalistes Un président ne devrait pas dire ça… en 2016. À l'époque, le bureau de l'Assemblée nationale, aux mains des socialistes, avait jugé la proposition de résolution des députés Les Républicains irrecevable.

Article original publié sur BFMTV.com