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Pourquoi les prix des mangas vont augmenter, malgré une année record

Un détail de la couverture du premier tome de
Un détail de la couverture du premier tome de

Le communiqué, publié vendredi 3 décembre à 18h02, a eu l’effet d’une bombe. Panini Manga, éditeur notamment de Demon Slayer et Banana Fish, y annonce sa décision d’augmenter ses prix de vente à partir du 1er janvier 2022. L'addition est salée, avec une augmentation allant de 30 centimes pour une édition standard à 1 euro pour une édition double perfect. Un tome de Demon Slayer passe ainsi de 6.99 à 7,29 euros et un volume de Banana Fish de 16 à 16,99 euros. "Concernant les tomes doubles Perfect, 16,99 euros reste l'équivalent de 2 tomes à 8,50 euros mais en grand format", se justifie l'éditeur.

Les lecteurs abordent la nouvelle avec sérénité, à l'instar de l'internaute @Pierrickola, qui se définit comme un "gros lecteur", "ce n'est pas une surprise". Il se dit "même content" de la transparence de Panini et espère "que les autres éditeurs ne fassent pas des hausses plus élevées". La hausse des prix n'aura aucun impact sur les achats de celui qui "trouve déjà le manga très coûteux comme loisir": "à l'unité, les tomes ne sont pas très chers, mais il y a tellement de sorties et de longues séries que c'est un gouffre financier."

L'annonce en a surpris plus d’un, alors que le marché du manga affiche une santé insolente, avec près de 29 millions de tomes vendus entre janvier et août 2021 - et où les éditeurs ont presque doublé leur chiffre d'affaires. Les raisons invoquées sont connues: hausse des coûts d’impression et des matières premières nécessaires à la fabrication des livres (papier, carton, encre), menace de pénurie et problèmes liés aux transports. "Il nous était impossible de continuer avec la grille tarifaire actuelle en 2022", précise dans son communiqué Panini, qui n’a pas souhaité répondre aux questions de BFMTV.

2022, année de la hausse du prix du manga?

Longtemps en déshérence, Panini a redressé la pente il y a une poignée d'années grâce à Demon Slayer, écoulé à plus de 2 millions d'exemplaires. Après des années à négliger son catalogue, l'éditeur transalpin s'est également refait une réputation auprès des fans de mangas avec des rééditions soignées de classiques introuvables. La décision de Panini ne concerne d’ailleurs pas uniquement le manga. Le comics est aussi concerné - et les augmentations sont répercutées dans toutes les filiales du groupe (Espagne, Portugal, Grande-Bretagne, Allemagne, Autriche, Pays-Bas, Chili et Brésil).

Au-delà du seul cas de Panini, une autre question se pose. 2022 sera-t-elle l'année de la hausse généralisée du prix du manga? Des observateurs prédisent une augmentation graduelle des prix. Des hausses pourraient être à prévoir chez certains au plus tôt à l’été ou à la rentrée 2022. Les mangas de masse (les best-sellers) pourraient être dans la ligne de mire: les mangas vendus actuellement à 6,90 euros pourraient atteindre les 7,50 euros pour pallier les coûts de fabrication.

Mais rien n’est prévu dans l’immédiat. Chez Véga-Dupuis, nouvelle filiale manga de Média-Participations, les prix sont gelés jusqu'en juillet. Au-delà, tout peut arriver, confie-t-on chez l'éditeur: "On va voir comment la situation évolue. Si chacun augmente ses prix, ça peut forcer à la réflexion." Il faudra en tout cas plusieurs mois pour que les éditeurs trouvent la bonne stratégie à adopter - avec une petite pression supplémentaire: que faire lors des négociations de titres à venir?

"Seuil psychologique"

En attendant, aucun éditeur ne prévoit - officiellement - d'augmentation de prix. Contactés par BFMTV, Ki-oon (Jujutsu Kaisen, My Hero Academia), Kazé (Chainsaw Man, Kaiju 8), Delcourt/Tonkam (Spirale, JoJo's Bizarre Adventure), Kurokawa (One Punch Man), Kana (Naruto) et Mangetsu (Ao Ashi). précisent tous qu'il n'y a "rien de prévu". Même son de cloche chez les indépendants comme NaBan (Old Boy, Destination Terra), chattochatto (Endroll Back), Le Lézard Noir (La Cantine de Minuit). "Ce n'est pas encore à l’ordre du jour", assure de son côté Stéphane Duval, directeur du Lézard Noir, dont les prix "sont déjà élevés".

"C'est avant tout un choix personnel", précise Nicolas Galiano, fondateur de chattochatto, maison d'édition lancée en 2018. "Je ne voulais pas dépasser le seuil psychologique des 8 euros car dans un marché aussi concurrentiel, il ne faut surtout pas perdre la base solide de lecteurs que nous avons. Alors certes, on rogne encore plus sur le peu de marge que nous faisons, mais au moins j'ai toujours la satisfaction de me dire que nos prix resteront tes qu'ils l'ont toujours été jusqu'à présent. Je ne dis pas que les prix n'augmenteront jamais, mais tant que je peux éviter d'augmenter les prix de nos mangas, je le ferai."

Pika est pour l'instant le seul à avoir communiqué après Panini. La maison de L'Attaque des titans ne prévoit pas de hausse, mais "d'homogénéiser les prix des différents tomes sur les séries Happiness, NeuN, Origin, Pumpkin Scissors, To the Abandoned Sacred Beasts et Yozakura Quartet". Les tomes sont passés au 1er décembre de 7,75 à 7,95 euros, soit une augmentation de vingt centimes. "Nous n’augmenterons pas le prix des séries en 2022, ne répercutant pas pour le moment la hausse du prix du papier", nous précise encore Pika.

"Les mangas ont augmenté moins vite que l’inflation"

Lecteurs et lectrices de mangas sont peu coutumiers de ces augmentations. "Depuis l'euro, les prix des tomes ont augmenté moins vite que l’inflation", précise Christophe Geldron, patron de NaBan. "Comme le public du manga est principalement jeune, ce sont surtout les ventes de mangas jeunesse qui poussent le marché. Et les ados sont très sensibles aux augmentations de prix! Glénat est resté pendant dix ans à 6,50 euros le tome. Puis des rattrapages se sont faits au fur et à mesure."

Les indépendants devraient être les derniers à adopter cette hausse des prix - pour des raisons pratiques. Au Lézard Noir, ou chez Naban, Cornélius et IMHO, le prix est indiqué directement sur la jaquette ou la couverture, contrairement aux gros éditeurs, qui fonctionnent avec des codes prix, qui permettent d'augmenter le prix de toute une gamme en clin d'œil. Si NaBan est par exemple contraint d'augmenter ses tarifs, il devra rappeler ses titres pour changer la jaquette. Un processus qui ralentit de fait l'instauration d'une hausse des prix chez la moitié des acteurs du marché.

Modèle éditorial en péril?

Pour contourner l'inflation, certains éditeurs réfléchissent à des chemins de traverse. "Je vais plutôt rester dans les prix normaux et peut-être réfléchir à d’autres formats, à d’autres papiers", précise Christophe Geldron. Il réfléchit à des pistes comme "des collections annexes", pour faire découvrir à bas prix des pépites, et des volumes doubles, avec une qualité de papier un peu moindre, voire même pas de jaquette. "Il vaut mieux un livre en français sans jaquette, que pas de livre du tout", estime celui qui ne veut "pas pénaliser les lecteurs".

Avec les hausses de prix et les multiples pénuries, c'est pourtant le modèle éditorial de beaucoup de maisons qui est mis en péril. Comment se faire un nom et une place si les éditions se démarquent moins de la concurrence? C’est le risque de s'aliéner ses lecteurs. La hausse des prix ne devrait en tout cas pas remettre en cause les éditions prestige aux allures de pléiade qui voient de plus en plus le jour. Produit déjà très luxueux, l'intégrale en douze tomes de Lone Wolf & Cub ne sera pas victime de l'inflation et continuera à se vendre à 32 euros, a assuré Panini. Tout comme les intégrales de Junji Ito chez Mangetsu. Des projets spéciaux qui rapportent, mais sur lesquels les maisons d’édition ne fondent pas leur stratégie.

"Une catastrophe"

Cette hausse des prix est-elle inquiétante? "Ça sera inquiétant quand il y aura une offre numérique plus importante", répond Stéphane Duval. Lancée en septembre dernier en France, MangaPlus est cependant déjà l’application de référence pour découvrir gratuitement les derniers chapitres de One Piece ou Jujutsu Kaisen. Nicolas Galiano tient à relativiser l'augmentation annoncée par Panini et Pika "Le manga reste l'un des livres les moins chers, tout type de livre confondus, Donc pour le moment, il n'y a pas à s'inquiéter. Par contre, le jour où le manga passera la barre symbolique de 10 euros comme prix moyen, là on pourra commencer à s'inquiéter."

Christophe Geldron tient malgré tout à tirer la sonnette d’alarme. Pour les indépendants, la hausse des prix est une "catastrophe", assure-t-il: "J’ai subi de plein fouet l’augmentation de 20% du coût d’impression du papier. Je me retrouve avec un livre que je devais faire imprimer en octobre et qui en novembre me coûte 15 centimes de plus. Ça m'oblige à augmenter les quantités en stock [ndlr: pour réaliser des économies d'échelle], donc à prendre sur la trésorerie, pour ne pas avoir un prix délirant sur mon livre. Je vais avoir une marge moindre que celle que j’avais auparavant." De quoi relativiser le boom du secteur en 2021.

Article original publié sur BFMTV.com