Pourquoi ces parents mettent-ils un short sous la jupe de leur petite fille?
C'est une nouvelle tendance dans le vestiaire des petites filles: un short ou un legging sous la jupe ou la robe. "J'en fais systématiquement porter à ma fille de 4 ans", témoigne pour BFMTV.com cette mère qui évoque d'abord des raisons d'hygiène.
"Elle traîne par terre, s'assied partout, c'est plus propre pour sa peau et ses parties intimes." Elle met aussi en avant un souci d'éducation à ce qu'elle considère comme les bonnes mœurs: "Elle est à un âge où on apprend la pudeur". Mais son argument principal: pour que "l'intimité" de sa fille ne soit pas dévoilée.
"C'est pour la protéger."
Ce qui horripile cette mère d'une autre fillette de 6 ans. "Je refuse de dire à ma fille qu'elle doit se protéger des regards des autres", s'indigne-t-elle pour BFMTV.com. "C'est la porte ouverte à toutes les justifications et au fait d'imposer aux femmes et aux filles de ne porter que certains vêtements, d'en interdire d'autres ou de cacher leur corps."
Pas question donc pour cette mère d'expliquer à sa fille qu'elle doit veiller à sa pudeur ou à se tenir correctement lorsqu'elle porte une jupe ou une robe, contrairement à certains parents interrogés. Car l'autre grande inquiétude des familles: que la culotte soit aperçue.
C'est le cas de la fille de Pauline, âgée de 9 ans. Cette dernière lui a récemment demandé de lui acheter un shorty pour le mettre sous ses robes "pour ne pas que l'on voie sa culotte". "Je lui ai dit que j'étais d'accord, mais je lui ai bien précisé que ce n'était pas obligatoire", raconte cette mère auprès de BFMTV.com. Plusieurs parents évoquent également leurs craintes de regards masculins "déplacés" sur le corps de leur enfant, justifiant ainsi le port du short sous la jupe.
Cochon pendu et "culotte à l'air"
Face à ces considérations et inquiétudes, un modèle s'est même développé: la jupe-short, ou la jupe qui intègre un short, directement cousu au vêtement. Si Vertbaudet précise tout de même à BFMTV.com que "depuis plusieurs saisons, le pantalon a davantage le vent en poupe" que la jupe ou la robe et que "sur une saison été, la jupe est fortement concurrencée par le short", l'enseigne de vente à distance de vêtements pour enfants enregistre cependant une appétence particulière pour ce modèle.
La jupe-short -"qui combine l'esthétique d'une jupe avec la praticité et la pudeur d'un short"- est "en pleine expansion", confirme Monoprix à BFMTV.com. "C'est le modèle le plus prisé actuellement." Si le groupe ajoute que ce vêtement n'est pas totalement nouveau, "son introduction en tant que pièce incontournable s'est faite de manière plus marquée depuis 2024". Avec un doublement de la demande par rapport aux années précédentes.
Un vêtement plébiscité par les parents, notamment par la mère interrogée au début de l'article. "Pour une enfant qui n'a pas encore les réflexes d'une grande de fermer ses jambes lorsqu'elle est en jupe, c'est idéal", confie-t-elle. "Elle peut s'amuser plus tranquillement."
Marie, formatrice sportive de profession, ne se pose quant à elle pas ce genre de questions avec sa fille de 7 ans. La fillette, en classe de CE1, est "à fond" dans les robes -sauf les jours de sport à l'école. "Elle doit sans doute avoir la culotte à l'air, mais je m'en moque", assure-t-elle à BFMTV.com. Elle n'envisage pas une seconde de lui demander de croiser les jambes.
"Dans la cour de récréation ou au parc, elle fait le cochon pendu et ce n'est pas très grave si on voit sa culotte. Je préfère qu'elle s'amuse."
Trop de contraintes avec la jupe et la robe?
Si la jupe-short est jugée plus pratique, cela signifie-t-il donc que la jupe et la robe ne le sont pas assez? C'est ce que pointe la psychologue australienne Amanda Mergler, qui milite pour que les filles aient le droit de porter des shorts et des pantalons dans les écoles australiennes où l'uniforme est obligatoire même s'il est en perte de vitesse. Elle s'interroge sur les contraintes générées par le port de la jupe ou de la robe.
"Les jupes et les robes restreignent les mouvements", écrit Amanda Mergler sur le site The Conversation. "Celles qui les portent doivent gérer la façon dont elles s'assoient, comment elles jouent, et à quelle vitesse elles bougent."
"Le port de la jupe, consciemment et inconsciemment, impose des considérations de pudeur ou d'impudeur, contrairement au pantalon."
Une analyse que partage en partie Aude Buil, psychomotricienne et formatrice, bien qu'elle mette plus globalement en garde contre tous les vêtements trop peu adaptés aux mouvements des enfants. Concrètement, les plus jeunes ont besoin de prendre appui pour ramper, faire du quatre pattes, se mettre à genoux puis debout et explorer leurs mouvements...
"Le développement moteur peut être entravé par une robe, mais aussi par tout autre vêtement, notamment trop large, qui risquerait de faire glisser l'enfant", observe-t-elle pour BFMTV.com. Ce qui vaut également pour les plus grands, en particulier dans le cadre des parcours de motricité en maternelle.
Collants qui glissent, dentelle...
Autre argument: la jupe et la robe s'inscrivent souvent dans un "package", remarque Aude Buil, également docteure en psychologie du développement et chercheuse à l'Université Paris-Cité. Collants qui glissent, dentelle fragile qu'il ne faut pas abîmer, froufrous qui peuvent gêner la visibilité au niveau des pieds...
"Cela ne veut pas dire que toutes les jupes ou toutes les robes entravent la motricité", nuance la psychomotricienne, spécialiste de la petite enfance.
"Mais il y a une réflexion à mener sur les vêtements que portent les enfants pour qu'ils ne représentent pas, pour eux, une contrainte."
Elle formule ainsi une recommandation aux parents: éviter la superposition de vêtements. "Un short ou un legging sous une jupe, en plus du sous-vêtement, cela signifie plusieurs élastiques." Autant d'élastiques qui serrent le ventre "à un âge où l'enfant doit gérer les maux de ventre, les émotions ou encore les passages aux toilettes".
La meilleure solution, selon Aude Buil: opter pour les vêtements les moins contraignants et les plus confortables, c'est-à-dire "souples, extensibles et mous".
Les filles devaient "bien se tenir"
Il n'en reste pas moins que ces interrogations autour de la jupe, de la robe et du short en dessous seraient avant tout la preuve d'un "changement de perspective", note pour BFMTV.com Manuela Spinelli, maîtresse de conférences à l'Université Rennes 2 et spécialiste des études de genre.
"Les parents d'aujourd'hui veulent que leurs petites filles fassent les mêmes activités que les petits garçons. Et ça, c'est nouveau."
Cette universitaire, qui étudie en particulier la construction des masculinités et des féminités, rappelle qu'il n'y a pas si longtemps, "il était convenu que les petites filles devaient 'bien se tenir'." Un discours dorénavant "moins accepté", constate Manuela Spinelli.
"Ce qui montre un certain refus des diktats sexistes et de la différenciation des rôles genrés."
C'est d'ailleurs en substance ce qu'un père reconnaît sur les réseaux sociaux. "Les jupes c'est pas ouf avec les toboggans, le contact de la peau empêche de glisser." Et préfère ainsi que sa fille porte un legging "pour qu'elle puisse glisser comme les garçons", écrit-il.
La jupe, "un marqueur de genre"
Des parents qui veulent donc que leur fille s'amuse, coure et joue autant qu'un garçon mais qui souhaitent tout de même qu'elle garde l'apparence d'une fille, avec tous les codes et clichés associés au féminin. Un paradoxe puisque la jupe comme la robe "représentent souvent le moyen de rendre visible le genre de l'enfant", pointe encore Manuela Spinelli, également auteure de Éduquer sans préjugés, pour une éducation non-sexiste des filles et des garçons. En particulier chez les enfants en bas âge.
"C'est un marqueur de genre. C'est le vêtement par excellence qui permet aux parents de montrer que l'enfant est une fille."
Christine Bard, professeure d'histoire contemporaine à l'Université d'Angers, spécialiste de l'histoire politique, sociale et culturelle des femmes, du genre, du féminisme et de l'antiféminisme, dresse la même analyse et va même plus loin.
"Le vêtement, surtout à travers la différenciation vestimentaire genrée, participe au sexisme", considère-t-elle pour BFMTV.com.
Car dès le plus jeune âge, le sexisme n'épargne pas les petites filles. Selon un sondage CSA pour Milan presse réalisé en 2022, près d'un tiers des fillettes âgées de 7 à 10 ans déclarent avoir déjà été victimes ou témoins de moqueries sexistes. Et plus de sept petites filles sur dix disent se sentir obligées de se préoccuper de leur apparence.
"Les vêtements des filles conçus pour être vus"
Puisque les jupes et les robes sont jugées peu pratiques, restreignent les filles dans leurs mouvements et sont sources de sexisme, faudrait-il donc les bannir des cours de récréation? C'est ce que pense l'universitaire Christine Bard, également auteure de Ce que soulève la jupe. Identités, transgressions, résistances, bien qu'elle concède que le problème réside davantage dans le sexisme que le vêtement en lui-même.
"Je suis convaincue qu'il est préférable à l'école d'habiller les petites filles comme les petits garçons: c'est avec un pantalon ou un short que les activités sont rendues possibles pleinement et sans gêne."
Pour la chercheuse en études de genre Manuela Spinelli, "censurer" un vêtement ne peut être la solution. "Les filles devraient pouvoir porter une jupe, tout comme les garçons du rose sans que cela ne soit un sujet."
Mais elle admet que la jupe demeure à l'image du vestiaire féminin. "La plupart des vêtements pour filles sont contraignants." Et cite les pantalons pour filles plus moulants que ceux destinés aux garçons, les tee-shirts plus ajustés...
"Les vêtements des filles sont conçus pour être vus. Ceux des garçons pour résister et être portés. Il y a encore du travail."