Pourquoi il n'est pas si simple d'instaurer le pass sanitaire pour les élus de l'Assemblée nationale

La Défenseure des droits Claire Hédon demande
La Défenseure des droits Claire Hédon demande

On a tant parlé d'immunité sanitaire, d'immunité collective ces temps-ci que certains ont fini par oublier l'immunité parlementaire, fondement de notre démocratie libérale. C'est en substance ce que l'exécutif, notamment jeudi par la bouche du ministre de la Santé Olivier Véran à l'Assemblée nationale, a rappelé cette semaine aux députés soutenant l'idée de l'obligation de disposer d'un pass sanitaire pour accéder à l'Hémicycle du Palais-Bourbon, du Sénat ou même aux institutions locales.

À ces parlementaires inquiets de faillir à un devoir d'exemplarité, l'exécutif répond en effet que la constitution de la Ve République empêche une telle restriction à leur travail. Souci d'exemplarité qui souligne en creux l'enjeu souterrain du débat: la crainte de voir l'opinion considérer une exemption du pass sanitaire sur les bancs de la République comme un passe-droit.

Fausse bonne idée selon Richard Ferrand

C'est au cours d'une réunion de la majorité tenue mardi que le sujet a commencé à agiter les têtes. Tandis qu'une cinquantaine de députés LaREM, emmenée par Stéphanie Rist comme le note ici le Huffington Post, élue dans le Loiret, appuie un amendement visant à obliger les députés à se munir du pass sanitaire pour accéder à la chambre basse, au moment où celle-ci débat de l'extension de son application dans le pays, Richard Ferrand fait part de son opposition.

Le président de l'Assemblée nationale soulève l'impossibilité constitutionnelle d'un tel projet, ou du moins le risque de son inconstitutionnalité. Exiger des députés de présenter un pass sanitaire pour plancher en commission, échanger ou voter dans l'Hémicycle, exposerait à en empêcher certains de siéger, et donc d'exercer la mission de représentation que leur ont confiée leurs commettants.

Rappel de principes

Mercredi, son cabinet publie un communiqué. "Dès l’adoption de loi relative à la gestion de la crise sanitaire, celle-ci sera évidemment appliquée à l’Assemblée nationale, dans le respect des missions des parlementaires", introduit le texte qui borne aussitôt: "Le principe constitutionnel (...) du libre exercice du mandat parlementaire sera préservé."

Ce qui signifie en pratique que la contrainte pourra peser sur le contingent de fonctionnaires et de collaborateurs qui fréquente l'endroit mais pas sur les députés, et, surtout, que le pass sanitaire ne pourra entraver l'accès de ces derniers à l'Hémicycle ou aux commissions. Quant à l'amendement soutenu par les parlementaires de La République en marche, il a d'ailleurs été rejeté dans la nuit de mardi à mercredi.

Des députés qui ne désarment pas

Ceux-ci ne désarment pas cependant. Et jeudi, Sophie Beaudouin-Hubière, députée élue en Haute-Vienne, interpelle ses collègues et le gouvernement. "Comme nombre de mes collègues, je suis tout à fait favorable au pass sanitaire. Je pense que nous ne pouvons pas demander à nos concitoyens des choses que nous ne nous appliquerions pas en premier lieu à nous-mêmes", dit-elle d'abord avant de passer à sa plaidoirie:

"En 2017, nombre d'entre nous avons été élus en ayant chevillée au corps la volonté d'exemplarité. Alors montrons l'exemplarité en faisant en sorte que l'accès à l'Assemblée nationale, au Sénat, aux conseils départementaux et régionaux et ainsi de suite, soit soumis à un pass sanitaire." "Il y a aussi un nombre de gens qui travaillent dans ces instances et ont besoin d'être protégés et nous, élus, rencontrons énormément de monde, donc, obligeons-nous au pass sanitaire pour venir siéger dans ces instances", lance-t-elle encore.

Olivier Véran dénonce un risque de "censure démocratique"

C'est Olivier Véran qui lui a donné la réplique. "La question n'est pas de savoir si on est favorable, ou si je suis favorable ou non. Dans l'absolu, ça ne me choque pas. La question est de savoir si c'est constitutionnel ou pas", recadre-t-il en préambule. Puis, reprenant la ligne de Richard Ferrand:

"Et là, il y a une grande difficulté, c'est que nul ne peut empêcher, par exemple, des parlementaires de voter un budget, c'est le fondement même de cette immunité parlementaire qui fait qu'on ne peut pas vous empêcher d'aller dans hémicycle pour voter votre budget donc le risque d'inconstitutionnalité est élevé. C'est pour cette raison que le gouvernement est défavorable de manière à maintenir l'intégrité du texte."

Et de conclure: "Dans des décisions précédentes, le Conseil constitutionnel a relevé que les chambres parlementaires étaient exclues, et le voyait plutôt d'un bon œil dans la mesure où ça pouvait être considéré comme une censure démocratique".

Article original publié sur BFMTV.com