Evguéni Prigojine mort en Russie : la disparition de l’ancien allié de Poutine est un coup de tonnerre

INTERNATIONAL - L’annonce de sa mort a fait l’effet d’une bombe. Evguéni Prigojine, chef de la milice Wagner, a perdu la vie dans un crash d’avion mercredi 23 août. Difficile de ne pas y voir la main de Vladimir Poutine, contre qui le sulfureux homme d’affaires avait mené une mutinerie il y a deux mois avant de renoncer, au dernier moment, à entrer dans Moscou : c’est en tout cas ce que sous-entendent les premières réactions venues des Etats-Unis, ou même de France.

L’impétueux milliardaire au crâne rasé et aux traits durs avait en effet mené un début de coup d’Etat contre Poutine. En juin dernier, il s’était emparé « sans un coup de feu » du quartier général de l’armée russe à Rostov-sur-le-Don, centre névralgique des opérations en Ukraine, après avoir accusé la veille l’armée russe d’avoir bombardé des camps de son groupe.

Puis ses hommes, « prêts à mourir », ont roulé vers Moscou, abattant des avions de l’armée russe. Vladimir Poutine a dénoncé dans une allocution télévisée la « trahison » d’Evguéni Prigojine, « provoquée par les ambitions démesurées et les intérêts personnels ». Le monde retenait son souffle.

Finalement le chef mercenaire de 62 ans a renoncé au coup de force au bout de 24 heures, négociant un exil pour lui et ses fidèles en Biélorussie. Une clémence rare et surprenante de la part de Vladimir Poutine qui avait pourtant appelé à liquider le responsable de cette tentative de coup d’État.

Prigojine est resté très discret

Après sa mutinerie, Evguéni Prigojine est resté invisible, au point où les observateurs du monde entier imaginaient son élimination par le pouvoir. En effet, sa présence en Biélorussie a toujours été émaillée de doutes. S’il n’apparaissait plus en public, les blogs spécialisés le traquaient, lui et ses avions, mais impossible de savoir s’il se trouvait dans l’appareil à chaque fois qu’il décollait.

« Je ne suis même pas sûr où il est et quels contacts il a. Si j’étais lui, je ferais attention à ce que je mange. Je surveillerais le menu », avait même déclaré le 13 juillet le président américain Joe Biden. Une référence aux nombreux opposants de Vladimir Poutine victimes d’empoisonnements, même si la responsabilité du président russe n’a jamais été prouvée.

Finalement, la présidence russe a indiqué mi-juillet qu’Evguéni Prigojine avait été reçu au Kremlin fin juin, puis le chef de Wagner a été vu plusieurs fois à Saint-Pétersbourg. L’enterrement de la hache de guerre entre Evguéni Prigojine et Vladimir Poutine ?

Deux jours après une vidéo publiée semble-t-il d’Afrique, où Prigojine assurait agir pour la grandeur de la Russie sur ce continent, Prigojine est finalement mort dans le crash d’un avion entre Saint-Pétersbourg et Moscou.

Vladimir Poutine n’a pas encore réagi au décès de son allié devenu ennemi juré, mais le message envoyé est très clair pour ceux qui tenteraient de s’en prendre à lui et à son pouvoir. « Peut-être que la seule chose qui devrait nous surprendre, c’est que [sa mort] ait pris autant de temps », a estimé dans un éditorial le journaliste australien Rob Harris.

Wagner sort de l’ombre avec la guerre en Ukraine

Longtemps homme de l’ombre, Evguéni Prigojine s’est fait un nom avec son groupe Wagner, désigné comme le complice des régimes voulant se défaire de parrains occidentaux ou en quête de combattants discrets et impitoyables.

Mais le conflit en Ukraine offre une occasion en or à l’homme d’affaires pour se faire connaître du grand public. Son passage de l’ombre à la lumière a débuté en septembre 2022, au moment où l’armée russe subissait revers sur revers en Ukraine, une humiliation pour les va-t-en-guerre dont il fait partie.

Il sort alors du bois en admettant, pour la première fois, qu’il est bien le fondateur en 2014 du groupe paramilitaire Wagner. Et s’impose comme un meneur et un communiquant hors pair sur Telegram, avec ses vidéos et ses messages audios où il n’hésite pas à être vulgaire.

Contrairement aux plus hauts responsables russes, le chef mercenaire se montre sur le champ de bataille en Ukraine, et filme les cadavres de ses hommes pour réclamer toujours plus de munitions.

En mai 2023, après près d’un an de combats sanglants, Evguéni Prigojine atteint son but, en revendiquant la prise par Wagner de Bakhmout, dans l’est de l’Ukraine, célébrant une rare victoire russe, malgré son coût humain. Et malgré les affrontements qui continuent, aujourd’hui encore, en lisière de la ville ravagée.

Conflit ouvert avec l’état-major

Mais c’est aussi à l’occasion de cette bataille que les tensions s’aggravent avec l’état-major du général, Valéri Guérassimov, et le ministre de la Défense, Sergueï Choïgou : Prigojine les accuse de priver Wagner de munitions et multiplie les vidéos dans lesquelles il insulte les commandants russes. Impensable pour n’importe qui d’autre en Russie, dans un contexte de répression totale.

Evgueni Prigojine, patron de Wagner, ici photographié en 2016, est décédé dans un crash d’avion le 23 août 2023.
Evgueni Prigojine, patron de Wagner, ici photographié en 2016, est décédé dans un crash d’avion le 23 août 2023.

En octobre, il pousse sa logique de réclame plus loin encore, installant en grande pompe dans un immeuble de verre de Saint-Pétersbourg (nord-ouest) le siège de la « compagnie militaire privée Wagner ».

Maître de la provocation, il publie en février une vidéo le montrant à bord d’un avion de guerre où il propose au président ukrainien Volodymyr Zelensky de décider le sort de Bakhmout au cours d’un duel aérien.

Pour se doter d’une armée à la hauteur de ses ambitions, Prigojine, natif comme Vladimir Poutine de Saint-Pétersbourg, recrute ses détenus pour combattre en Ukraine, en échange d’une amnistie.

« Cuisinier de Poutine »

L’univers de la prison, Evguéni Prigojine le connaît bien, ayant lui-même passé neuf ans en détention à l’époque soviétique pour des délits de droit commun. Il sort en 1990, alors que l’URSS est en train de s’effondrer, et monte une affaire à succès de vente de hot-dogs.

Il monte ensuite en gamme, jusqu’à ouvrir un restaurant de luxe qui devient l’un des plus courus de Saint-Pétersbourg, où Vladimir Poutine connaît en parallèle sa propre ascension politique.

Après l’accession en 2000 de Vladimir Poutine à la présidence, son groupe de restauration officie au Kremlin, ce qui lui vaut le surnom de « cuisinier de Poutine » et la réputation d’être devenu milliardaire grâce aux contrats publics. C’est cet argent qu’il aurait donc utilisé pour fonder Wagner, armée privée d’abord composée de vétérans endurcis de l’armée et des services spéciaux russes.

À voir également sur Le HuffPost :

Mort d’Evguéni Prigojine : Olivier Véran évoque « des doutes raisonnables » sur « les conditions » du crash

L’Inde réussit l’exploit de poser sa sonde spatiale Chandrayaan-3 sur la Lune