Pourquoi le Prix Nobel porte-t-il le nom de l'inventeur de la dynamite ?
Alors que sa vie touchait à sa fin, au crépuscule du XIXe siècle, Alfred Nobel a tenté d'imaginer un moyen de compenser les conséquences mortifères de son invention.
Plus de 125 ans après la mort d'Alfred Nobel, son héritage continue de servir la science. L'annonce, ce lundi 7 octobre, de l'attribution du prix Nobel 2024 de médecine à Victor Ambros et Gary Ruvkun signe le coup d'envoi d'une séquence attendue fiévreusement chaque année par la communauté scientifique et culturelle.
Après celui de médecine, les Prix Nobel 2024 de physique, de chimie, de littérature, de la paix et d’économie vont ainsi être décernés dans les jours à venir, deux mois avant la cérémonie officielle. Celle-ci se déroulera en effet à Stockholm le 10 décembre, jour anniversaire du décès d'Alfred Nobel.
Alfred Nobel issu d'un milieu obsédé par le progrès scientifique
Comment le nom de ce scientifique et industriel du XIXe siècle, connu notamment pour avoir inventé la dynamite, s'est-il retrouvé associé à une récompense considérée aujourd'hui comme la plus prestigieuse au monde dans tous les domaines qu'elle concerne ? Pour le comprendre, il faut opérer un bref retour sur la vie de l'inventeur suédois.
Comme le raconte notamment France Culture, Alfred Nobel, né en 1833, est le fils d'un industriel ayant fait fortune dans le secteur de l'armement. Baignant dans un milieu obsédé par le progrès scientifique, il s'est intéressé très jeune à la chimie et plus précisément au domaine des réactions explosives.
La recherche sur les explosifs, grande œuvre de sa vie
Le grand objectif de ses recherches va ainsi être de trouver une alternative plus efficace à la poudre à canon, qui restait à l'époque la substance principalement utilisée pour provoquer des détonations. Il s'intéresse ainsi particulièrement à la nitroglycérine, découverte en 1847 par l'Italien Ascanio Sobrero.
Alfred Nobel en est convaincu : s'il parvient à maîtriser l'instabilité de cette substance, il pourra utiliser industriellement son incroyable potentiel explosif. Au début des années 1860, il entame ainsi des recherches intensives sur la nitroglycérine dans l'usine familiale, transformée en laboratoire.
La dynamite lui fait toucher le jackpot
Ces expérimentations ne sont évidemment pas sans danger et en 1864, une terrible explosion se produit dans l'usine des Nobel, tuant cinq personnes, dont le frère cadet d'Alfred. Ce dernier poursuit toutefois ses recherches et finit par trouver trois ans plus tard un moyen d'isoler la nitroglycérine et de déclencher son explosion sur commande.
Baptisée dynamite, l'invention du chercheur suédois est rapidement industrialisée et commercialisée. Elle rencontre immédiatement un immense succès, dans les secteurs de l'extraction et de la construction, mais aussi dans le secteur militaire, donnant à la fortune personnelle d'Alfred Nobel des dimensions colossales.
Une image ternie
Ce dernier poursuit ensuite ses recherches dans divers domaines (il déposera au total plus de 350 brevets dans sa vie) et multiplie les voyages et les rencontres dans un contexte d'ébullition scientifique et culturelle. Il noue notamment une amitié avec l'écrivain français Victor Hugo, qui le qualifiera de "plus riche vagabond d'Europe".
L'âge avançant, Alfred Nobel est toutefois de plus en plus inquiet des conséquences dévastatrices de sa grande découverte. De plus en plus utilisée dans les conflits armés tout autour du monde, la dynamite n'en finit plus de faire des victimes, ce qui ne manque pas de ternir l'image publique de l'inventeur.
"Un homme qu'on pourra très difficilement faire passer pour un bienfaiteur de l'humanité"
Rapporté par Futura, un épisode survenu en 1888 illustre parfaitement cette sinistre réputation. Le Figaro publie ainsi par erreur une nécrologie d'Alfred Nobel, décrit comme "un homme qu'on pourra très difficilement faire passer pour un bienfaiteur de l'humanité". "Le marchand de la mort est mort, résume le quotidien français. Le Dr Alfred Nobel, qui fit fortune en trouvant le moyen de tuer plus de personnes plus rapidement que jamais auparavant, est mort hier."
Bien vivant, le polyglotte inventeur suédois ne tarde pas à prendre connaissance de cet article à charge, qui l'aurait profondément bouleversé selon plusieurs sources. Dans les années suivantes, Nobel entreprend ainsi d'imaginer un moyen de léguer autre chose à l'humanité que sa contribution scientifique aux funestes répercussions.
Dédier sa fortune au bien de l'humanité
L'idée prend alors forme d'utiliser sa fortune personnelle pour promouvoir une vision progressiste et pacifiste du monde. Sans enfant, Alfred Nobel décide dans son dernier testament, rédigé en 1895 selon Les Échos, de dédier la plus grande partie de son héritage pécuniaire à la création d'une institution qui sera chargée de récompenser chaque année des "personnes ayant apporté le plus grand bénéfice à l’humanité".
Alfred Nobel prévoit ainsi l'attribution d'un prix honorifique, accompagné d'une importante somme d'argent prélevée sur sa fortune, qui devra être placée à sa mort afin de pérenniser l'édifice. Cinq domaines de récompense sont désignés arbitrairement par le scientifique : la physique, la chimie, la physiologie (médecine), la littérature et la diplomatie (paix).
Les premiers prix Nobel décernés en 1901
L'année suivante, en 1896, Alfred Nobel décède d'un accident vasculaire cérébral, ce qui déclenche l'exécution de son testament. Il faudra toutefois attendre 1901 pour que les premiers prix Nobel soient décernés dans les cinq catégories définies, avec à la clé pour chacun des lauréats une récompense financière équivalent à plusieurs années de salaire.
Le prix Nobel, organisé et remis par la fondation du même nom, va ensuite gagner en notoriété et en prestige tout au long du XXe siècle, s'imposant comme un aboutissement ultime dans la plupart des disciplines concernées. En 1968, la Banque de Suède a par ailleurs obtenu l'autorisation de créer un prix Nobel d'économie, qui fonctionne toutefois en marge des autres, puisqu'il n'est pas financé par la fondation Nobel.
Les récompenses toujours financées indirectement par l'héritage d'Alfred Nobel
Depuis plus d'un siècle, cette dernière s'est d'ailleurs attachée à respecter les dernières volontés d'Alfred Nobel, en faisant fructifier l'héritage de l'inventeur dans le seul but de récompenser chaque année les lauréats. Ce mode de financement a parfois généré des difficultés. France Culture rappelle ainsi qu'à la suite de la crise économique de 1929, "faute de crédits, il n'y (eut) pas de Nobel de la paix en 1932, ni de chimie en 1933, ni de physique l'année suivante".
Plus récemment, les conséquences de la crise financière mondiale de 2007-2008 ont forcé les organisateurs à revoir la dotation du Nobel à la baisse en 2012. "La valeur est avant tout dans le fait qu'il s'agit d'un prix absolument unique", relativisait à l'époque le président de la fondation Nobel, Lars Heikensten, cité par Le Figaro. Depuis cette décote, la récompense pécuniaire a toutefois retrouvé son niveau antérieur et même été augmentée en 2023. Cette année, les lauréats devraient ainsi toucher chacun 11 millions de couronnes suédoises, soit environ 970 000 euros.