Pourquoi l'attestation de sortie va-t-elle être maintenue lors du déconfinement progressif

Contrôle d'attestation de sortie place de la Concorde à Paris le 13 novembre 2020 - Anne-Christine POUJOULAT © 2019 AFP
Contrôle d'attestation de sortie place de la Concorde à Paris le 13 novembre 2020 - Anne-Christine POUJOULAT © 2019 AFP

Alors que les indicateurs sanitaires s'améliorent, après un mois de confinement, l'exécutif a annoncé plusieurs adoucissements des restrictions dans les jours et semaines à venir. Le premier interviendra d'ailleurs ce samedi, avec la réouverture des commerces. En revanche, les attestations de déplacement resteront en vigueur, ont déjà fait savoir Emmanuel Macron et Jean Castex.

Le Premier ministre a fait des précisions sur ce point jeudi matin, en expliquant qu'à partir du 15 décembre, les attestations de déplacement ne seraient plus obligatoires en journée. Mais le chef du gouvernement a néanmoins précisé que ces dernières resteraient nécessaires pour les déplacements réalisés entre 21 et 7 heures, soit pendant le couvre-feu.

L'attestation de sortie a été mise en place dans assez peu de pays dans le monde. En Europe, la France a ainsi suivi l'exemple de l'Italie sur ce sujet, mais ce document n'existe pas chez nos autres voisins. Mi-novembre, l'hebdomadaire allemand Die Zeit publiait d'ailleurs un article très critique sur la gestion de la crise sanitaire par la France, renommée pour l'occasion "Absurdistan", taclant au passage le système de l'attestation.

"La limite d'un kilomètre de déplacement imposée aux gens, les auto-attestations pour acheter une baguette ou aller chercher ses enfants à l'école, on ne voit ça nulle part ailleurs. Des décisions sont prises sans consulter les citoyens", écrit la journaliste.

"L'attestation en soi n'a pas de sens"

"L'attestation en soi n'a pas de sens, ce sont les types d'interaction entre les gens qui comptent", explique à BFMTV.com Martin Blachier médecin de santé publique et fondateur de Public health expertise. Il explique qu'aller chercher son pain à 1 ou 10 km a le même résultat, "car l'interaction entre les personnes au final est la même, l'effet distance ne joue alors pas sur l'épidémie".

"Il est évident que l'exercice du sport (marche, course à pieds, vélo) non seulement ne présente absolument aucun danger pour la santé publique mais est même au contraire un élément de la bonne santé physique et mentale d'une large partie de la population", explique à BFMTV.com Laurent Mucchielli, sociologue, directeur de recherche au CNRS. "Que ce soit pendant 1 ou 3h et sur 1 ou 20km alentours n'y change absolument rien."

Or, avec l'attestation "au lieu d'être contraints de rester chez eux, les gens sont cantonnés à 1 kilomètre", une limite qui sera étendue à 20km dès ce samedi, développe Martin Blachier. Il rappelle également que la diminution des déplacements en France pendant ce deuxième confinement a été bien moins forte que lors du premier, mais que la circulation du coronavirus a tout de même diminué.

Pour Martin Blachier, il serait plus intéressant, et efficace, de se focaliser sur les lieux particuliers dans lesquels la diffusion du coronavirus se fait plus facilement qu'ailleurs.

Et bien entendu, il faut conserver des interactions respectant les gestes barrières et la distanciation sociale, car évidemment, chaque contact reste risqué.

"Prendre en compte la circonstance exceptionnelle"

L'attestation jouerait plus un rôle de barrière mentale, obligeant l'individu à réfléchir à son propre comportement, "à prendre en compte la circonstance exceptionnelle au fait que l'on sorte", déclare Martin Blachier. Au début du confinement mi-mars, alors que l'attestation était faite par écrit, le ministre de l'Intérieur d'alors, Christophe Castaner, avait avancé, parmi d'autres, cette explication pour ne pas passer la signature de ce document au numérique.

"Je vais vous dire le fond de notre philosophie et de ma pensée: il ne s'agit pas de faciliter la vie des Français qui veulent sortir le plus librement possible", expliquait-il sur TF1, arguant que l'on pourrait, en cas de numérisation, "prendre son téléphone voyant le policier, et vite télécharger l'application".

Le système avait toutefois été numérisé quelques jours plus tard, mais les mêmes arguments avaient été rappelés: "Remplir ce fichier, c'est un réel engagement pour le citoyen. Cela lui permet de comprendre les règles du confinement et la dimension dérogatoire de sa sortie", assurait alors la place Beauvau au Parisien. "Et le fait qu'on ait mis en place une version numérique pour smartphone prouve bien qu'on ne doute pas du civisme des Français. Au contraire, on vient de simplifier leur démarche."

Une contrainte nécessaire?

"Le confinement aurait été peu suivi sans contrainte. Il fallait en formaliser le contrôle pour nous amener à réduire au maximum nos interactions sociales. L’attestation était un moyen de garder l’épidémie gérable", estime dans Ouest-France Antoine Jardin, ingénieur de recherche au Centre de recherche sociologique sur le droit et les institutions pénales.

Cette attestation est actuellement une preuve documentée en cas de contrôle par les forces de l'ordre, qui permet de faire exister dans le droit l'obligation de confinement et de sanctionner - parfois lourdement - en cas de non-respect de cette règle. Un homme de 22 ans a par exemple été condamné à deux mois de prison ferme et incarcéré mi-novembre, après avoir été contrôlé quatre fois sans attestation de déplacement, rapportait alors la police Nationale.

Mais invasif dans la vie privée, et dans un contexte de défiance vis à vis du gouvernement, ce document pourrait renforcer la méfiance d'une partie de la population envers le gouvernement, qui peut surveiller les allées et venues des citoyens.

Une mesure jugée "infantilisante"

"On essaie ainsi de discipliner les comportements et de maintenir la pression. Au risque d’infantiliser les gens, voire de les rendre méfiants sur le but poursuivi", explique par exemple dans La Croix Olivier Borraz, directeur de recherche au CNRS et responsable du Centre de sociologie des organisations (CSO) de Sciences-Po Paris. "Dans d’autres pays, ils font plus facilement appel à la responsabilité, à l’intelligence et au bon sens des individus".

"Les attestations sont la queue de comète de la crise de confiance absolue et ancienne des administrés par rapport à la parole publique, y compris en période de crise" expliquait en mai à Slate Marc-Olivier Baruch, spécialiste de l'État et de l'administration à l'époque contemporaine. "À partir du moment où il n'y a pas moyen de faire percevoir la gravité de la crise et de lutter contre la pandémie par une adhésion spontanée, où la parole publique n'est pas crue sur le sujet, on passe à des contraintes imposées."

Dans un sondage Elabe pour BFMTV ce mercredi, si 79% des Français expliquent approuver le déconfinement progressif proposé par l'exécutif, dans le détail deux mesures ne rencontrent pas l'assentiment des Français: le maintien de la fermeture des bars et restaurants est à 61% d'opinions défavorables, et juste derrière, c'est la perpétuation du système d'attestation qui est la moins appréciée, avec 52% d'opinions défavorables.

Article original publié sur BFMTV.com