Pourquoi l'armée libanaise ne s'implique-t-elle pas dans le conflit entre Israël et le Hezbollah ?

Alors que le conflit entre Israël et le Hezbollah au Liban menace de dégénérer en guerre ouverte, nombreux sont ceux qui s'étonnent du manque d'implication de l'armée nationale libanaise dans les affrontements.

Cependant, son rôle et sa place dans le conflit sont beaucoup plus compliqués qu'on ne le pense.

Khalil Helou, général en congé de l'armée libanaise et professeur de géopolitique à l'université Saint-Joseph de Beyrouth, explique à Euronews que le rôle de l'armée libanaise ne se limite pas à défendre les frontières du pays.

"Il ne s'agit pas d'une armée classique comme les armées occidentales", explique-t-il. "L'armée libanaise est soumise aux instructions du gouvernement du pays".

Si l'armée israélienne lance des opérations sur le terrain, comme elle l'a fait en 2006, et que la violence s'étend du Sud-Liban et de la vallée de la Bekaa au reste du pays, c'est l'ensemble du Moyen-Orient qui sera menacé.

Un F-15 de l'armée de l'air israélienne
Un F-15 de l'armée de l'air israélienne - JOE CAVARETTA/AP2002

Le Sud-Liban et la vallée de la Bekaa sont officiellement sous la protection juridique de la résolution 1701 du Conseil de sécurité des Nations unies.

Celle-ci donne également un rôle actif à l'armée régulière libanaise et demande au gouvernement libanais et à la Force intérimaire des Nations unies au Liban (FINUL) de "déployer leurs forces ensemble" dans le sud du pays, afin de s'assurer qu'"aucune arme n'entre sans le consentement du gouvernement libanais".

En cas d'attaque militaire majeure, les forces armées libanaises seront confrontées à un dilemme : affronter l'armée israélienne ou désarmer le Hezbollah par la force.

Un équilibre fragile et des voisins belliqueux

Entre 1975 et 1990, le Liban a été ravagé par une guerre civile et est devenu un terrain de jeu militaire pour les acteurs régionaux et les grandes puissances.

Le régime politique actuel du pays est un équilibre délicat entre les représentants des différentes communautés religieuses, et l'armée est subordonnée aux institutions politiques dont les membres sont divisés sur la crise en cours.

"En cas d'attaque terrestre, les unités déployées dans le sud devront se défendre et défendre le territoire libanais avec les moyens dont elles disposent", explique Khalil Helou.

"Mais fondamentalement, la mission des brigades déployées dans le sud est de collaborer avec la FINUL et non de recourir à la violence. Ce n'est donc pas une force de frappe qui va s'opposer à Israël. L'équilibre des forces n'est pas du tout en notre faveur".

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Selon la résolution 1701, le Hezbollah aurait dû retirer ses groupes armés du Sud-Liban, et en particulier ses systèmes de missiles capables de viser Israël, mais il n'a pas respecté ses engagements.

Les relations compliquées entre le Hezbollah et l'armée libanaise

Officiellement, le Hezbollah est avant tout une force politique libanaise légitime composée essentiellement de musulmans chiites libanais. Ses forces armées opèrent en contingents en tant que mandataires de l'Iran.

Lorsque le Hezbollah prend l'initiative unilatérale de cibler Israël, les autres forces politiques libanaises et l'armée sont complètement paralysées, explique Khalil Helou.

"Mais un affrontement de l'armée avec le Hezbollah résulterait immédiatement en une guerre civile au Liban. Et le commandement militaire sait que la priorité absolue est la stabilité interne, plutôt qu'une guerre qui pourrait s'éterniser entre l'armée et le Hezbollah", ajoute-t-il.

Des combattants du Hezbollah se tiennent debout sur un camion équipé de fusées factices, tandis que des partisans scandent des slogans lors d'un rassemblement.
Des combattants du Hezbollah se tiennent debout sur un camion équipé de fusées factices, tandis que des partisans scandent des slogans lors d'un rassemblement. - Mohammed Zaatari/AP

Les relations entre le Hezbollah et les forces nationales libanaises ont cependant été marquées par des moments de coopération cruciale :

" Il suffit de penser à la collaboration entre le Hezbollah et l'armée libanaise pendant la période d'expansion maximale de l'État islamique en Syrie et en Irak, lorsque des membres du groupe État islamique et d'Al-Nusra étaient présents au Liban", déclare Claudio Bortolotti, chercheur à l'Institut de recherche en politique internationale de Milan.

La branche armée du Hezbollah dispose d'une capacité balistique importante, mais utilise des unités de guérilla comme infanterie et ne dispose ni d'une force aérienne ni de régiments de chars.

L'armée régulière libanaise, en revanche, dispose d'une structure militaire typique mais d'un armement insuffisant.

Le rôle de l'Europe

"L'Union européenne a toujours essayé de renforcer les capacités des forces armées libanaises. Et ce n'est pas nouveau. Elle a déjà aidé l'armée libanaise", explique Agnès Helou, correspondante libanaise pour les questions de sécurité.

"Principalement, l'Allemagne a aidé l'armée libanaise à entretenir les tours de surveillance le long des frontières terrestres avec la Syrie et des sites navals sur la Méditerranée".

Le ministre libanais des Affaires étrangères Abdallah Bouhabib et Josep Borrell participent à une conférence de presse à Beyrouth, au Liban, le jeudi 12 septembre 2024
Le ministre libanais des Affaires étrangères Abdallah Bouhabib et Josep Borrell participent à une conférence de presse à Beyrouth, au Liban, le jeudi 12 septembre 2024 - Hussein Malla/Copyright 2024 The AP. All right reserved

L'ambassadeur libanais auprès de l'UE, Fadi Ajali, salue la contribution de l'Union.

"La Facilité européenne de soutien à la paix fournit des fonds à l'armée libanaise pour qu'elle puisse jouer son rôle central et vital dans la promotion de la résolution 1701, qui apporterait la paix et la sécurité au pays et à la région", déclare-t-il à Euronews.

Cependant, il souligne que "l'armée libanaise est débordée parce qu'elle doit s'occuper des affaires de sécurité interne du Liban et essayer de contrôler l'afflux de migrants vers l'UE".

Qu'en est-il de l'armée à Bekaa ?

L'armée libanaise ne peut pas s'impliquer dans une confrontation directe entre les forces israéliennes et le Hezbollah sans compromettre ses relations avec ses soutiens financiers en Occident, en Arabie saoudite et dans les États du Golfe.

Par ailleurs, l'armée nationale du Liban ne possède pas de défense anti-aérienne, explique Khalil Helou.

"Le Hezbollah n'en a pas non plus. Les Syriens ont des S-300, qui n'ont pas du tout fonctionné. Si d'énormes puissances régionales sont incapables d'abattre des missiles, nous ne pouvons donc pas demander à l'armée libanaise de le faire".

Casques bleus italiens de la FINUL du régiment de San Marco
Casques bleus italiens de la FINUL du régiment de San Marco - FRANCOIS MORI/AP

La vallée de la Bekaa est contrôlée par une brigade opérationnelle dotée d'un personnel standard, explique Claudio Bortolotti.

"La question est de savoir si cette brigade dispose aujourd'hui d'un effectif complet et si elle est prête à faire face à une menace qui n'est pas seulement extérieure, mais qui pourrait aussi être intérieure", ajoute-t-il.

"En cas d'invasion terrestre par Israël, nous pourrions assister à un désengagement des unités de l'armée régulière, laissant ainsi la vallée de la Bekaa comme champ de bataille entre Israël et le Hezbollah".

Lors de l'invasion israélienne de 2006, l'armée régulière libanaise a évité toute confrontation avec l'armée israélienne, malgré le bombardement de certaines de ses bases militaires.

Par ailleurs, après la fin de la guerre, l'armée libanaise n'a pas désarmé le Hezbollah malgré les dispositions contraignantes de la résolution 1701.