Pourquoi la tentation d'acheter un climatiseur pour chez soi est une mauvaise idée

Cooling Fan Air Conditioner on wall background

Selon une étude, les climatiseurs entraînent une augmentation de la température entre 0,25 et 1 degré en ville.

Plus de 30 degrés à la mi-mai, des vagues de chaleur de plus en plus précoces au fil des années et de plus en plus intenses. Face à ce constat, la tentation est grande de s'équiper en climatiseur pour rafraichir son intérieur et éviter les nuits difficiles.

Une tentation à laquelle cèdent de plus en plus de Français. De 350 000 climatiseurs vendus par an en 2014 2015, le nombre a bondi pour atteindre plus de 800 000 en 2020. L’augmentation est notamment élevée chez les particuliers : le taux d’équipement est passé de 14% en 2016-2017 à 25% en 2020. Un profil type se dégage : propriétaire d’une maison individuelle, habitant plutôt dans le Sud-Est ou en Corse et de profession libérale ou de statut cadre supérieur.

"S'il y a deux fois plus de climatiseurs, l'augmentation serait de 0,5 à 3 degrés en 2030"

Pourtant, si l'idée d'acheter une clim' est séduisante, elle est mauvaise et ne fait qu'aggraver la situation. Selon une étude menée par le CNRS et Météo France, les climatiseurs augmentent la température extérieure en ville : "L'augmentation de la température à cause des climatiseurs, c'est entre 0,25 et 1 degré. En 2030, s'il y a deux fois plus de climatiseurs, l'augmentation serait de 0,5 à 3 degrés supplémentaires à Paris", expliquait Stéphane Merlaud, conseiller info et énergie à l'agence parisienne pour le climat, à France Info.

Pourquoi ? Car le principe, d'un climatiseur, c'est de rejeter dans la rue la chaleur qu'il a pompée pour rafraîchir l'intérieur d'une pièce. Pour refroidir la pièce, les climatiseurs utilisent un gaz frigorigène qui a un potentiel de réchauffement global largement supérieur au CO2 lorsqu'il est relâché dans l'atmosphère et dont certains composés sont jusqu’à plusieurs milliers de fois plus "réchauffants" que le CO2.

1 degré de plus, c'est une consommation électrique équivalente à celle de la ville de Bordeaux

"En théorie, ces gaz ne doivent pas sortir des climatiseurs, mais dans la pratique, sur la durée de vie d’un équipement, il y a presque toujours des fuites, que ce soit au cours de la fabrication, de la maintenance, ou lors de pannes", explique au Temps Blaise Horisberger, spécialiste des fluides réfrigérants à l’Office fédéral de l’environnement (OFEV).

Pour fonctionner, les climatiseurs utilisent de l'énergie, au point de mettre le système à rude épreuve. Lors de la canicule de juin 2019, RTE indiquait que chaque degré au-dessus des normales de saison correspondait à une consommation additionnelle électrique équivalente à celle de la ville de Bordeaux.

En France, plus de 70% de l'électricité en France provient du nucléaire. Or, avec des étés de plus en plus chauds, et une sécheresse qui s'accentue, certaines centrales doivent être mises à l'arrêt, en raison de la température des fleuves, comme celle de Blaye, le 10 mai dernier.

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"La puissance coupée lors de ces aléas climatiques peut toutefois être ponctuellement conséquente", écrit RTE, illustrant avec la canicule de 2019 "ces indisponibilités simultanées ont atteint près de 6 GW (soit environ 10% de la capacité installée)".

En Chine, la climatisation représente jusqu’à la moitié de la demande d’électricité

"C'est une certitude, ces interruptions seront de plus en plus nombreuses. D'un côté, l'eau captée sera de plus en plus chaude avec le réchauffement, et donc nécessitera des arrêts plus fréquents. De l'autre, avec des niveaux d'eau plus faibles dans les fleuves, la température maximale sera atteinte plus rapidement", nous expliquait Tristan Kamin, ingénieur en sûreté nucléaire.

La climatisation entraine une hausse de 3% des émissions de CO2 par degré supplémentaire

En Chine, où 60% des ménages ont un climatiseur, ce qui représente un tiers des appareils dans le monde, la climatisation représente lors de ses journées les plus chaudes jusqu’à la moitié de la demande de pointe d’électricité du pays. Or, l'électricité est dans de nombreux pays produite à base de charbon, dont l'exploitation émet énormément de CO2.

En mai 2017, une étude américaine avait quantifié l'impact de la surconsommation de climatiseurs sur les émissions outre-Atlantique de polluants. Et le résultat montrait que la climatisation est responsable d'une hausse de 3 à 4% des émissions de CO2 par degré Celsius supplémentaire, par rapport aux normales saisonnières, rapporte Sciences et Avenir.

La climatisation représente également une part de plus en plus importante de la consommation électrique du secteur du bâtiment. Au niveau mondial, elle est responsable de 12 % des émissions de CO2 émises dans ce secteur.

En Suisse, l'installation de climatiseurs strictement encadrée

Pour limiter la consommation d'énergie pour les climatiseurs, la Suisse encadre strictement leur installation, sauf lorsqu'il s'agit d'une nécessite pour le fonctionnement d'une maison de retraite par exemple. Le propriétaire du bâtiment doit par exemple prouver qu'il a pris certaines mesures architecturales destinées à lutter contre la chaleur, valoriser les rejets de chaleur, ou encore démontrer le besoin de climatiser, comme un certificat médical, rappelle le site du canton de Genève. Ainsi, des restaurants ne sont pas systématiquement dotés de climatisation, rapporte France Inter.

Dans le canton de Vaud, "la consommation d'électricité pour alimenter une nouvelle installation de confort, pour des besoins de refroidissement et/ou d'humidification doit être couverte au moins pour moitié par une énergie renouvelable", décrit le site, qui précise que les climatisation des hôtels sont concernées.

En France, "une température de 26°C au plus bas"

En France, "la réglementation impose que la pièce soit à une température de 26°C au plus bas et qu’il n’y ait pas plus de 5 à 7 °C de différence entre intérieur et extérieur", écrit l'Ademe (Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie) afin de limiter la consommation électrique.

Selon l’Agence internationale de l’énergie, le nombre de climatiseurs dans le monde devrait passer de 1,6 milliard à 5,6 milliards d’ici 2050, notamment en Inde où la climatisation pourrait représenter 45 % de la demande de pointe en électricité en 2050, contre 10 % aujourd’hui. Selon l'Agence internationale de l'énergie, les émissions de dioxyde de carbone liées à la climatisation devraient presque doubler entre 2016 et 2050.

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