Publicité

Pourquoi l’exécutif organise encore un débat sur l’immigration

ÉElisabeth Borne à l’Assemblée nationale le 23 octobre avant le vote de deux motions de censure déposées par l’opposition.
JULIEN DE ROSA / AFP ÉElisabeth Borne à l’Assemblée nationale le 23 octobre avant le vote de deux motions de censure déposées par l’opposition.

POLITIQUE - Cinq ans et huit mois de présidence et deux projets de loi sur l’immigration. Le premier a été voté en 2018, le deuxième est dans les tuyaux pour 2023. Les députés en auront un premier aperçu dès ce mardi 6 décembre, à l’occasion d’un débat sans vote à l’Assemblée nationale.

À 17h, les députés accueilleront Élisabeth Borne pour une déclaration du gouvernement, selon la formule consacrée. La Première ministre va présenter les grandes orientations du texte, épaulée par les ministres concernés : le Garde des Sceaux Éric Dupond-Moretti, le ministre du Travail et de l’Emploi Olivier Dussopt, la ministre des Affaires Étrangères Catherine Colonna, et bien sûr Gérald Darmanin à l’Intérieur. Les députés pourront ensuite débattre, avec un orateur en charge de faire valoir la position de chaque groupe. L’examen n’ira pas beaucoup plus loin car aucun vote n’est prévu.

Un air de déjà-vu plane dans l’hémicycle. Il y a trois ans, le 7 octobre 2019, Édouard Philippe se trouvait à la place d’Élisabeth Borne à la tribune. Pour le même exercice, sur le même thème, dans le même but. Matignon assume : le débat de ce mardi, et celui à venir au Sénat la semaine prochaine, est une « réplique » de celui de l’ancien Premier ministre.

Loin derrière le pouvoir d’achat dans l’opinion

Fin 2019, l’épidémie de coronavirus bouleverse les plans du gouvernement. Impossible de parler d’immigration, alors que les hôpitaux sont débordés, des centaines de décès annoncés chaque semaine et que la population confinée. Qu’en sera-t-il trois ans plus tard ? L’intérêt des Français pour le sujet reste limité. Selon le baromètre YouGov pour Le HuffPost réalisé fin novembre 2022, l’immigration est certes le deuxième sujet de préoccupation, mais avec un score à 12%. C’est trois fois moins que le pouvoir d’achat, qui rassemble 35% des sondés.

Il n’empêche : une réélection plus tard, Emmanuel Macron relance la bataille. Le président de la République a personnellement abordé le sujet en Conseil de défense, avant de refiler le dossier à Matignon et à Beauvau, principaux porteurs du projet de loi.

Gérald Darmanin n’attend que ça. Le 26 juillet dernier, le ministre de l’Intérieur s’est avancé en annonçant une loi pour septembre. Avant de rétropédaler une semaine plus tard, pour annoncer une concertation « à la demande de la Première ministre (...) avec tous les partis, les partenaires sociaux, les associations et les représentants de la société civile ».

In fine, le texte ne sera examiné par les parlementaires qu’au printemps prochain. Il doit d’abord être soumis au Conseil d’État, avant de revenir sur la table du Conseil des ministres « fin janvier ou début février », selon un calendrier encore flou évoqué par Matignon. Alors pourquoi débattre, des mois à l’avance, sur un texte qui à ce jour n’est pas encore finalisé, de l’aveu même du gouvernement ?

« Il faut voir ce débat comme une concertation de plus »

« On refait un débat parce qu’on considère que le sujet n’est pas épuisé », justifie Matignon. L’objectif est de « débroussailler l’ensemble des problématiques » pour « déboucher sur un projet de loi qui vise à l’efficacité », ajoute-t-on chez Élisabeth Borne tandis que Beauvau présente l’exercice comme « une sorte de concertation de plus ».

Il faut dire qu’entre 2019 et 2022, les interlocuteurs ont changé. L’Assemblée nationale renouvelée ne ressemble plus du tout à celle des débuts d’Emmanuel Macron, où le président disposait d’une large majorité. De surcroît, l’entrée en force de 89 élus du RN au Palais Bourbon incite l’exécutif à se saisir de ce sujet, dont le parti de Marine Le Pen « fait commerce », selon les mots d’Éric Dupond-Moretti.

Plus de succès que les Dialogues de Bercy ?

Pour être adopté, le projet de loi du gouvernement aura besoin du soutien d’une partie des oppositions. Que ce soit à droite, sur le volet « fermeté » du texte, comme sur l’application des Obligations de quitter le territoire français (OQTF). Ou, à gauche, sur les titres de séjour « métiers en tension », mesure à laquelle ne sont pas insensibles certains élus de la NUPES.

C’est donc presque avec un intérêt diplomatique que Matignon présente ce débat comme une marque de « respect vis-à-vis du Parlement ». Cela témoigne aussi du « souhait de l’exécutif de travailler pleinement » avec les élus, à l’image des Dialogues de Bercy.

Pour la même efficacité ? Pour rappel, ces rencontres entre Bercy et les oppositions pour travailler en amont les textes budgétaires ont abouti à ... sept 49.3 en deux mois. « L’objectif avec ces débats et les concertations menées avant est évidemment de trouver un compromis », indique une source gouvernementale.

La tâche s’annonce ardue, surtout sur un sujet aussi inflammable. À peine dévoilée, la proposition sur les titres de séjour « métiers en tension » a fait hurler droite et extrême droite qui y voient un « appel d’air migratoire » pour reprendre les termes du LR Éric Ciotti. Le gouvernement pourrait laisser au Parlement le soin de débattre de la durabilité de la mesure.

D’une façon générale, « évidemment, il y a une prise en compte des échanges » avec les partenaires consultés, politiques ou non, assure le ministère de l’Intérieur. Ce qui ne garantit pas de la réussite du projet, si l’on se fie aux précédents. Matignon se veut optimiste : jusqu’à présent, « tous les textes adoptés l’ont été sans 49.3, à l’exception des textes budgétaires ». Aucun cependant n’était aussi sensible que celui-ci.

À voir également sur Le HuffPost :

Lire aussi