Pourquoi Kamala Harris a eu tort de miser autant sur les stars américaines pour battre Donald Trump
Face à Donald Trump, la démocrate avait le soutien du tout Hollywood ou presque. D’après Alexis Pichard, expert en civilisation américaine, cela l’a desservie.
PEOPLE - Beyoncé, Jennifer Lopez, Lady Gaga, Katy Perry, Taylor Swift, Stephen Curry, Oprah Winfrey, Eminem, George Clooney… La liste est longue mais elle n’a pas suffi à faire pencher la balance en faveur de Kamala Harris. La candidate démocrate s’est inclinée face à Donald Trump qui va faire son retour à la Maison Blanche. Le camp républicain l’a en effet emporté largement malgré les appels aux votes des people fortement relayés sur les réseaux sociaux, leurs prises de parole et leurs tours de chant lors des meetings de l’actuelle vice-présidente.
Après l’appel au vote de Taylor Swift, environ 35 000 votants s’étaient enregistrés sur les listes. Après celui de Sabrina Carpenter, près de 36 000. Au total, comme le rappelle le Hollywood Reporter, le site de recensement au vote HeadCount a comptabilisé plus de 450 000 nouveaux votants après avoir noué des partenariat avec l’interprète d’Espresso, Ariana Grande ou Green Day. À chacun de ses meetings, Kamala Harris avait à ses côtés sur scène une star, ou plus, et parmi les plus influentes du monde du cinéma, de la télé, du sport, ou encore de la musique.
Une surmobilisation des célébrités qui a probablement eu un effet inverse à celui escompté, analyse dans un entretien au HuffPost Alexis Pichard, docteur en civilisation américaine et chercheur au Centre de recherches anglophones de Nanterre.
Le HuffPost. La défaite de Kamala Harris est-elle la démonstration que l’appel au vote des célébrités est inutile ?
Alexis Pichard. Le résultat du scrutin prouve que ça n’a pas eu un grand impact. Par ailleurs, les primo votants qui se sont inscrits, ceux ciblés par Taylor Swift par exemple, n’ont pas voté pour Kamala Harris. Au contraire et c’est une grosse différence avec 2020. Les primo votants avaient alors voté à plus de 64 % pour Joe Biden, contre seulement 45 % pour Kamala Harris en 2024.
Est-ce à dire que cette accumulation de stars était une mauvaise stratégie pour Kamala Harris ?
C’est un écueil, car il y avait un précédent. Hillary Clinton avait fait la même chose en 2016, un peu malgré elle. Les stars avaient rallié à sa candidature, alors que le populisme gagnait déjà le pays. Cela avait été perçu comme le signe d’un parti démocrate vendu au système. Elle était LA candidate du système : membre d’une dynastie Clinton, ex-Secrétaire d’État, sénatrice, First Lady. En plus de cela, elle était soutenue par l’industrie hollywoodienne, très loin du peuple.
Kamala Harris a réitéré cette erreur de campagne avec cet amassement de célébrités qui font partie de la gauche morale. Beaucoup sont des millionnaires, loin des préoccupations des Américains moyens, mais qui vont donner des injonctions sur la manière dont ils doivent se comporter, être antiracistes, antimisogynes, prôner l’intégration. Ce sont des messages perçus comme très hypocrites par une partie des Américains et notamment des trumpistes.
On pourrait penser au contraire que les stars ont de l’influence…
On est toujours dans une Amérique populiste, qui plus est aujourd’hui à tendance fascisante, et tout ce qui est identifié comme appartenant au « système » est assimilé au « diable » et considéré comme profondément hostile aux intérêts américains. Ces stars incarnent la déconnexion. Et elles ont renforcé l’image de déconnexion de Kamala Harris elle-même. C’est une femme qui a réussi, en Californie. C’est un État à part, en avance sur le progrès social, avec une situation économique très favorable, et qui est de fait perçu par une majorité des 49 autres États comme déconnecté. Surtout par les États ruraux et post-industriels où la situation est très compliquée notamment pour les ouvriers et les employés peu qualifiés.
La surmobilisation des stars dans le camp Harris en fin de campagne traduisait-elle un sentiment d’urgence ?
Dans les derniers jours de la campagne, les candidats ne sont plus dans une posture d’élargissement de leur socle électoral mais dans une mobilisation de leurs électeurs acquis. Avec évidemment pour Kamala Harris toujours le même message de défense des droits des femmes et des minorités, additionné au message d’un Donald Trump qui a perdu sa santé mentale et n’est pas apte à diriger. Quand elle apparaît dans le Saturday Night Live ou qu’elle invite des superstars démocrates à ses meetings, c’est pour galvaniser sa base électorale, appeler le peuple de gauche élitiste à se déplacer en masse aux urnes.
Mais voir une telle complaisance de l’industrie du divertissement, cette impression d’un système qui s’entretient et qui se soutient lui-même, ça dégoûte les électeurs trumpistes et visiblement au-delà.
Donald Trump, lui à l’inverse, a timidement joué cette carte du soutien des célébrités. Pourquoi ?
Il l’a joué dans une moindre mesure surtout à la fin, lors de son meeting au Madison Square Garden où beaucoup de stars de la droite et de l’extrême droite se sont mobilisées. Contrairement à 2016, il y avait vraiment cette fois-ci une industrie du divertissement avec Hulk Hogan, Dr. Phil, et même Elon Musk qui est un homme d’affaires qui a réussi. Ces personnalités-là viennent crédibiliser Donald Trump comme Président à nouveau, notamment en certifiant sa virilité. Ce sont tous des archétypes du mâle alpha et de la virilité toxique, et c’est sur ça qu’il a surfé aussi durant sa campagne. Cela a sans doute été un élément décisif dans le choix des électeurs car la question de la masculinité de la fonction était très importante dans ce scrutin.
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