Pourquoi Jean-Marie Le Pen et son fantôme continueront de planer sur le Rassemblement national
POLITIQUE - Le menhir vacillait, il a fini par tomber. Jean-Marie Le Pen est mort ce mardi 7 janvier à l’âge de 96 ans. « Je pense aujourd’hui avec tristesse à sa famille, à ses proches, et bien sûr à Marine dont le deuil doit être respecté », a réagi dans un tweet Jordan Bardella, son lointain successeur à la tête du parti lepéniste, qui dépeint l’homme du « détail de l’histoire » comme un responsable politique ayant « toujours servi la France ».
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Car si Marine Le Pen avait politiquement rompu avec son père, qui avait été exclu du parti à la suite de la réitération de ses propos sur les chambres à gaz en 2015, elle n’a jamais pu complètement effacer l’empreinte indélébile que le fondateur du Front national – devenu Rassemblement national en 2018 – laisse sur la formation d’extrême droite. Ce qui a souvent agacé la députée du Pas-de-Calais. Au point de régulièrement sommer les journalistes d’arrêter de la présenter comme la fille de Jean-Marie Le Pen ou de convoquer son legs politique.
Reste que cet héritage est toujours implicitement mentionné dès le premier article des statuts de la formation lepéniste, puisqu’il est écrit noir sur blanc qu’elle a été fondée « en 1972 ». C’est effectivement au mois d’octobre de cette année que Jean-Marie Le Pen s’est rendu, documents sous le bras, à la préfecture de Paris, en compagnie de Pierre Bousquet (ancien Waffen SS de la Division Charlemagne), pour déposer les statuts du parti aujourd’hui présidé par Jordan Bardella.
Ses compagnons de route de l’époque ? Un ancien de l’OAS, comme Roger Holeindre, ou alors François Brigneau, ex-membre de la milice sous Vichy. Au-delà de cette transmission d’appareil, le père de Marine Le Pen (qui a façonné plusieurs poids lourds de l’actuel RN comme Louis Aliot et Philippe Olivier) n’a jamais complètement disparu des esprits en interne.
Y compris publiquement. Encore au mois de novembre 2022, lorsque Bruno Gollnisch (alors membre du Conseil national du RN) n’hésitait pas à le citer nommément pour s’indigner d’un incident en marge d’une réunion publique du député RN Laurent Jacobelli, assumant ainsi une filiation politique que beaucoup préfèrent dissimuler pour ne pas réveiller les démons du passé.
Ce que le 50e anniversaire du RN a mis en lumière
Quelques semaines plus tôt, alors que le Rassemblement national marchait sur des œufs pour célébrer son 50e anniversaire, c’est Marine Le Pen qui rendait un modeste hommage à ce père qu’elle a souvent jugé encombrant, en reconnaissant qu’il avait « ouvert la voie ». Une sorte de service minimum révélant une réalité : Jean-Marie Le Pen est une statue que l’on peut camoufler, déplacer à la rigueur, mais pas complètement déboulonner au RN, où nombre de militants historiques le nomment encore « président » avec nostalgie.
Car malgré l’entreprise de « dédiabolisation », puis de « normalisation », le parti d’extrême droite conserve le logiciel installé par son fondateur, s’obstinant à percevoir le monde à travers le prisme de la « préférence nationale ». Soit le concept lepéniste par excellence qui n’a jamais quitté la formation à la flamme tricolore. Quand Marine Le Pen souligne la « constance » du Rassemblement national sur l’immigration, que fait-elle d’autre à part revendiquer cet héritage politique légué par son père ?
« Je préfère mes filles à mes nièces, mes nièces à mes cousines, mes cousines à mes voisines, mes voisines à des inconnus », disait Jean-Marie Le Pen pour expliquer la matrice de son programme. Ce qui, passé par le vocabulaire de sa fille, donne : « Notre pays passe avant tout, nos familles passent avant tout, notre peuple passe avant tout ! » Soit exactement la même chose, mais dite autrement. Absent physiquement, mais toujours présent dans les idées ? Durant les élections législatives de 2024, la cohorte de « brebis galeuses » épinglées pour des propos racistes et antisémites a montré qu’il ne suffisait pas de planquer la figure tutélaire pour solder définitivement les années Jean-Marie Le Pen.
Les liens familiaux et d’argent toujours présents
Au moment de souffler la 50e bougie du mouvement, même la vitrine de la nouvelle ère du RN était obligée de convenir de la place centrale du patriarche dans l’œuvre lepéniste. « Avec le recul, Jean-Marie Le Pen a eu raison sur un certain nombre de sujets, comme l’immigration. Il a par ailleurs des qualités de ténacités incroyables », reconnaissait en octobre 2022 auprès du Figaro Sébastien Chenu, alors que l’intéressé n’était même pas invité aux festivités.
Ce qui inspire une forme de fascination en interne. Chaque année, à la date du 20 juin, certains élus RN ne se cachaient pas pour souhaiter publiquement un « joyeux anniversaire » au fondateur du FN. « Quel panache », applaudissait en 2023 le député RN du Gard, Nicolas Meizonnet, pour célébrer les « 95 printemps » du patriarche. Émoji bouteille de champagne à l’appui.
On l’appelle le Menhir et ce n’est pas un hasard.
Joyeux anniversaire @lepenjm pour ces 95 printemps ! Quel panache ! 👏🏻 🍾 pic.twitter.com/uG5tRd3E1e— Nicolas Meizonnet (@NMeizonnet) June 20, 2023
Sans surprise, les députés RN se pressent ce mardi pour saluer la mémoire de ce « tribun hors pair », décrit comme un « combattant » ou un « grand patriote ». Même l’appareil, qui l’avait pourtant mis à la porte, se fend d’un vibrant hommage. « Pour le Rassemblement National, il restera celui qui, dans les tempêtes, tint entre ses mains la petite flamme vacillante de la Nation française et qui, par une volonté et une ténacité sans limite, fit du mouvement national une famille politique autonome, puissante et libre », salue le RN dans un communiqué.
Il faut dire que, même exclu, Jean-Marie Le Pen a souvent su se montrer arrangeant avec Marine Le Pen et sa boutique politique. Comme lorsque son micro parti, Cotelec, a financé pour 6 millions d’euros sa campagne de 2017, alors que sa fille éprouvait des difficultés à trouver des prêts. Un coup de pouce qui montre que l’intéressé ne s’est jamais trop éloignés des affaires du parti. Et même si l’actuel président du RN, Jordan Bardella, répète qu’il n’est pas de sa génération et qu’il ne l’a pas vraiment connu, jusqu’à assurer dans son livre qu’il ignorait l’existence du fondateur du FN au moment où il a pris sa carte au parti en 2012, difficile de l’extraire totalement de l’influence du « Menhir ».
Car au-delà des photos le montrant en compagnie du patriarche, le dauphin a été un temps en couple avec Nolwenn Olivier, fille de Marie-Caroline Le Pen et de Philippe Olivier (conseiller spécial de l’ex-présidente du RN) et petite-fille de Jean-Marie Le Pen, qui, en 2022, vivait encore à la propriété familiale de Montretout. Est-ce en raison de cette sorte d’emprise morale exercée sur le parti que Jordan Bardella relativisait il y a un an l’antisémitisme de Jean-Maire Le Pen ? Si l’intéressé a rapidement fait machine arrière, il demeure cette étrange impression : comme si, éternellement, tout au Rassemblement national finissait par revenir, d’une façon ou d’une autre, au fondateur du Front national.
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