Pourquoi le flou demeure autour de la santé mentale de Britney Spears
Des années de bataille judiciaire et de mobilisation de fans arriveront - peut-être - à leur terme ce vendredi. C'est ce 12 novembre que se tiendra l'audience durant laquelle une juge de Los Angeles devrait décider ou non de lever la tutelle de Britney Spears. Si la décision est prise, elle mettra fin à une mesure vieille de 13 ans, mise en place après la forte médiatisation des troubles psychologiques de la chanteuse en 2007. Des troubles dont on sait, encore aujourd'hui, très peu de choses.
L'histoire de la culture people se rappelle des images de la chanteuse, âgée de 26 ans à l'époque, s'emparant d'une tondeuse dans un salon de coiffure pour raser son crâne avant de s'armer d'un parapluie pour attaquer les paparazzi. Mais on ne sait rien des évaluations psychiatriques qui ont suivi et ont mené la justice à la placer sous la tutelle de son père Jamie, faisant de lui le responsable (puis co-responsable depuis 2019) de ses affaires financières et de sa santé. Un traitement réservé aux personnes qui ne sont pas capables de s'occuper seules d'elles-mêmes, comme le rappelle le New York Times.
"Britney Spears n’a jamais vraiment évoqué de diagnostic psychique, ni parlé de ce qui s’était passé du point de vue psychiatrique dans cette période", rappelle le psychiatre Jean-Victor Blanc. "Elle n'a jamais utilisé que des termes flous, en parlant de détresse ou de mal-être. C’est son droit le plus strict de pas vouloir en parler; elle ne doit pas à l’opinion publique la révélation de son dossier médical."
Ce psychiatre de l'AP-HP s'est intéressé à ce que la pop-culture et ses égéries nous apprennent de la santé mentale, dans les ouvrages Pop & Psy (Plon, 2019) et Addicts (Arkhe, 2021). Il revient pour BFMTV.com sur l'année de la pop star, marquée par ses prises de parole inédites au sujet de ce régime dont elle souhaite s'émanciper.
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13 ans de silence
L'année 2021 a été déterminante dans le combat de la chanteuse pour recouvrer sa liberté. Portée par ses fans regroupés sous le hashtag #FreeBritney ("Libérez Britney"), la chanteuse a brisé le silence qui entourait sa tutelle en juin dernier. Devant un tribunal de Los Angeles, l'interprète de Toxic s'est dite "traumatisée" et a dénoncé une mesure "abusive", assurant notamment ne pas être autorisée à se marier ou à retirer son stérilet malgré son désir d'avoir un troisième enfant.
"Les personnes qu m'ont fait ça ne devraient pas s'en sortir comme ça", avait-elle ajouté en s'adressant directement à la juge, comme le rapporte le New Yorker. "Mon père, et toutes les personnes impliquées dans cette tutelle, ainsi que mon management (...), leur place est en prison."
Une première victoire a été obtenue en septembre dernier, lorsque la justice américaine a retiré la tutelle de Britney à Jamie Spears. Accusé de manœuvres pour s'enrichir sur le dos de sa fille et de surveillance illégale, le père de la chanteuse (qui s'est toujours défendu de ces accusations) a été remplacé par des professionnels; "Britney Spears a été très claire sur le fait qu'elle voulait absolument que son père ne soit plus tuteur", rappelle Jean-Victor Blanc. "Quand une personne sous tutelle dit qu'elle ne s'entend pas avec son tuteur, il n'y a pas besoin de beaucoup plus de détails pour comprendre que la situation est délétère pour son équilibre." La chanteuse, ainsi que ses fans, réclament désormais la levée définitive de la tutelle.
"Britney Spears a un trouble psychique"
Le professionnel rappelle cependant que le placement sous tutelle d'un adulte n'est pas anodin et que la santé mentale de Britney Spears reste, pour l'opinion publique, un mystère:
"Lorsqu'une tutelle est mise en place, c’est en général pour des troubles chroniques. Pas après une unique dépression ou une unique consommation de substances. C’est une mesure qui est prise lorsqu’on sait que l'avenir d'une personne risque d’être handicapé par des troubles psychiatriques. Seules Britney et les personnes qui la prennent en charge sont à même de juger ce qui est bon pour elle. Personne d'autre ne le sait: ni un médecin qui suit la situation de loin comme moi, ni ses fans (...) Il ne s'agit pas d'inverser les choses: jusqu’à preuve du contraire, Britney Spears a un trouble psychique. C'est un élément de réalité." 876450610001_6274877811001
Le stress de la liberté
D'autant qu'un tel chamboulement dans le quotidien de la chanteuse "peut être un facteur de stress": "Il faut que la levée de la tutelle se fasse dans des conditions de sécurité et de bienveillance, de manière progressive, afin qu'elle récupère ses droits mais qu'elle soit aussi en capacité de les exercer."
La chanteuse a elle-même évoqué cette angoisse paradoxale au détour de l'une de ses - nombreuses - publications sur Instagram: "J'ai attendu si longtemps d'être libérée de la situation dans laquelle je me trouve... et maintenant que c'est le cas j'ai peur de tout, car je crains de faire une erreur!", écrivait-elle le 16 octobre. "J'ai commencé à ressentir ça quand j'ai obtenu les clés de ma voiture il y a quatre mois, pour la première fois depuis 13 ans!"
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Ce jour-là, elle annonçait qu'elle publierait moins fréquemment sur les réseaux, "par peur de faire une erreur". Une promesse qu'elle n'a pas tenue: la chanteuse multiplie les messages corrosifs à l'adresse de sa famille, qu'elle accuse de lui avoir fait "plus de mal (qu'ils) ne le (sauront) jamais", et réclamant "que justice soit faite".
Les années 2000, décennie impitoyable
À ce stress s'ajoute la pression médiatique, redoublée ces derniers mois par ce nouveau coup de projecteur sur les déboires de la star. Les documentaires sur sa crise de 2007 et la tutelle qui en a découlé se sont multipliés, au grand dam de la chanteuse elle-même: "Ces documentaires sont tellement hypocrites..." déclarait Britney Spears en mai. "Ils critiquent les médias et font exactement la même chose."
"Le risque, c'est de rejouer ce qui s’est passé en 2007, avec une pression qui peut la dépasser", décrypte Jean-Victor Blanc. Même si la perception des troubles psychiques a énormément évolué depuis sa descente aux enfers des années 2000, de même que le discours des stars américaines sur la santé mentale:
"Britney Spears s'est retrouvée entre deux ères. D'un côté, elle a été la première célébrité dont les troubles psychiques ont été autant documentés, à une époque où les paparazzades et les sites people comme TMZ se développaient. D'un autre, elle a été la dernière à traverser ça de manière complètement passive: lorsqu'elle était la proie des photographes, elle n’avait pas les réseaux sociaux qui permettent de s'exprimer directement, contrairement à Selena Gomez ou Justin Bieber aujourd’hui."
"À l’époque, personne ne parlait de santé mentale, de troubles bipolaires, de dépression, d’hospitalisation, de manière aussi simple et positive qu’aujourd’hui dans le milieu des stars américaines", ajoute-t-il. "Celles qui en parlent aujourd’hui le font de manière volontaire, leurs paroles sont réfléchies et maîtrisées. À l’époque, Britney Spears, Amy Winehouse ou Whitney Houston n'en parlaient pas, elles étaient prises en photo malgré elles."
Vers un après
Que la tutelle de Britney Spears soit levée ou non vendredi, Jean-Victor Blanc voit dans sa médiatisation une "évolution des perceptions", avec des retombées déjà concrètes: en juillet dernier, deux membres du Congrès américain ont proposé une loi, le FREE Act, pour lutter contre les abus tutélaires.
Une démarche inspirée par l'affaire Britney Spears: "Environ 1,3 million de personnes en Amérique sont sous tutelle, et cette législation permettra à ces personnes de demander un tuteur public à la justice, qui n'a aucun conflit d'intérêt, financier ou autre, s'ils pensent être victimes d'abus et ne sont pas satisfaits de la personne qui gère leur tutelle", avait expliqué Nancy Mace, l'une des deux membres du Congrès à l'origine de cette proposition, lors d'une interview sur la chaîne américaine MSNBC. Ce jour-là, elle portait un t-shirt au slogan "Free Britney".