Pourquoi la fiction imagine-t-elle toujours le pire de l’IA, dans les livres et au cinéma ? On a demandé à un expert
CULTURE - Quand l’IA fait son cinéma, c’est bien plus souvent pour le pire que pour le meilleur. Bien avant que Chat GPT ne soit sur toutes les lèvres, la fiction s’était déjà emparée du sujet de l’intelligence artificielle. Du Terminator de James Cameron sorti en 1984 au dernier Mission Impossible, cette technologie n’en finit pas de nous fasciner.
Mais si les livres et les films lui font la part belle, c’est rarement pour vanter ses mérites. Ce sont surtout les dangers et dérives de l’intelligence artificielle qui intéressent les auteurs et réalisateurs, qui inventent des dystopies de plus en plus réalistes. Est-ce pour nous divertir ou nous alarmer ? Un peu des deux selon l’historien Pierre-Antoine Marti.
« La fiction a un rôle de catharsis, elle joue avec nos peurs et c’est plutôt sain », explique le doctorant à l’EHESS, spécialiste des représentations du futur dans la littérature d’anticipation, « car si l’on n’a pas la science-fiction pour penser au futur et nous prévenir des enjeux possibles de demain, qui le fera ? Sûrement pas Elon Musk, qui est là pour nous vendre le truc ».
Dans l’imaginaire collectif, la grande peur est que l’IA se retourne contre l’homme qui perdrait le contrôle sur sa propre invention censée le servir. « Il y a un côté un peu hubris » dans cette représentation, estime Pierre-Antoine Marti. « C’est le syndrome Oppenheimer, ou le fait de se dire qu’on a créé quelque chose de surpuissant qui a la capacité de nous porter vers de nouvelles possibilités pour l’humanité, mais qui peut aussi nous détruire », développe-t-il.
Pour l’historien, il est important de noter que le mythe de la créature qui prend le dessus sur son créateur est « très occidental ». « Si vous allez en Asie, ce ne sont pas du tout les mêmes questions qui se posent ni les mêmes angoisses », précise-t-il.
Des robots à notre image
Même si dans la vraie vie, l’IA ressemble plus souvent à un logiciel qu’à un robot assoiffé de vengeance, la fiction la représente presque systématiquement sous forme humanoïde. Parfois, le robot a l’apparence d’une machine très métallique, comme dans I, Robot, Wall-E ou encore R2-D2 dans Star Wars. Ou alors, et c’est souvent encore plus terrifiant, il prend une forme quasi-humaine, comme les poupées du film d’horreur M3GAN ou du livre Klara et le Soleil de Kazuo Ishiguro. Même dans Ex Machina, l’androïde joué par Alicia Vikander finit par se recouvrir de peau.
Pour l’historien, notre besoin de donner un visage humain à l’IA a deux explications. « La première, c’est vraiment “Et Dieu créa l’homme à son image”. On veut créer une créature qui nous ressemble, comme si l’aboutissement ultime du robot était de devenir humain. » La seconde est l’anthropomorphisme : « c’est le fait d’appliquer des raisonnements humains à des entités qui ne sont pas humaines, parce que ça facilite nos interactions avec elles », détaille-t-il.
Quand les émotions font buguer la machine
Lorsqu’elle n’est pas représentée comme un robot humanoïde, l’IA est réduite à une voix. Mais contrairement à Siri ou Alexa, la fiction aime lui donner des émotions. « C’est un peu l’intelligence pure », nous dit Pierre-Antoine Marti. L’IA devient alors « une sorte d’alter ego, un ange gardien, un compagnon bienveillant qui est un reflet de notre propre âme ».
À l’image de Jarvis pour Iron Man ou Samantha pour Theodore dans Her, cette IA nous connaît sur le bout des doigts et se fait l’extension de notre pensée. « C’est vraiment l’intelligence artificielle qui est faite pour vous aimer et pour que vous l’aimiez. Et ça cartonne », ajoute Pierre-Antoine Marti, citant le succès de l’application Replika.
Selon le doctorant, « Chat GPT s’oriente un peu vers ça. Plus vous interagissez avec lui, puis il vous connaît et sera adapté à votre personnalité ». Va-t-on voir fleurir sur nos écrans et dans les rayons des librairies plus d’histoires sur ces agents conversationnels qui pensent comme et pour nous ? « Il y aura clairement un avant et après chaque GPT », affirme Pierre-Antoine Marti.
Vers une inversion des rôles ?
Mais l’IA ne sera plus forcément du même côté de la fiction. « Je pense qu’on va leur déléguer la créativité qu’on veut avoir, c’est-à-dire que ces intelligences artificielles ne seront non pas le sujet de l’histoire, mais les créateurs, les conteurs », présume l’historien. « Ce n’est pas pour rien qu’il y a la grève des scénaristes à Hollywood. Il y a toute une partie de la narration qui pourrait être autonomisée », s’inquiète-t-il.
Selon lui, nous pourrions devenir « les personnages des histoires racontées, ou en tout cas supervisées, par ces machines ». Et avec l’IA générative, il n’y aura bientôt même plus besoin d’acteurs pour jouer notre propre rôle, comme l’a montré le premier épisode de la dernière saison de Black Mirror ou le film Le Congrès avec Robin Wright.
Dans 1984, George Orwell avait déjà imaginé un « versificateur » capable de créer des romans, des films ou de la musique, sans l’aide de l’humain. 74 ans après la sortie du livre culte, la réalité a déjà rattrapé la fiction. Et la fin de ce film n’est pas forcément heureuse.
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