Pourquoi les clubs français brillent en Ligue Europa et Ligue Europa Conférence cette saison
La gueule de bois. Celle qui cogne le visage au réveil et qui semble ne jamais vouloir partir. C'est avec ce sentiment que la France du foot se réveille le 21 avril dernier. La veille, l'OGC Nice a piteusement été éjecté en quarts de finale de la Ligue Europa Conférence par le FC Bâle de Jean-Kevin Augustin, sixième d'un championnat qui ne compte que dix équipes, au bout d'un match aussi "affligeant" que "lamentable", dixit Daniel Riolo.
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Au lieu d'entretenir le rêve d'une folle épopée, les Aiglons de Didier Digard tirent ce soir-là le rideau d'une saison européenne calamiteuse pour les clubs de l'Hexagone. Avec la quatrième place de l'OM dans son groupe de Ligue des champions, l'élimination sans gloire du PSG dès les huitièmes face au Bayern, et les sorties de route en barrages des trois représentants tricolores en Ligue Europa: Rennes, incapable d'éliminer un Shakhtar Donetsk affaibli par la guerre en Ukraine et son exil forcé, mais aussi Monaco, renversé par le Bayer Leverkusen, et enfin le FC Nantes, plus logiquement éteint par la Juventus avant les huitièmes.
Un démarrage prometteur
Après avoir repoussé les limites de la lose, le foot français est pourtant en train de retrouver le sourire. Si Paris devra sortir les muscles pour passer les poules en C1 alors que Lens est déjà éliminé de la Ligue des champions mais peut encore espérer accrocher un billet pour les barrages de la C3, la situation paraît bien plus confortable pour Rennes, l'OM, Toulouse et Lille. Avant d'attaquer la cinquième journée de Ligue Europa, Rennais et Marseillais caracolent en tête de leur groupe et sont virtuellement qualifiés pour les huitièmes.
Malgré un début de saison chaotique (crise interne, changement de coach...) et un Gennaro Gattuso en panne de solution en L1, l'OM a déjà pris huit points sur douze au moment de recevoir un Ajax en pleine crise ce jeudi au Vélodrome. Également à la peine en championnat, au point d'avoir été battus chez eux par l'OL avant de réagir contre Reims pour la première de Julien Stéphan, les Rouge et Noir de Nemanja Matic affichent le même bilan positif les jeudis soir.
Bourreaux de Liverpool dans une ambiance de feu au Stadium, et sans doute portés par l'esprit de Jean-Claude Dusse, les Toulousains sont une autre bonne surprise. À l'heure d'accueillir les Belges de l'Union Saint-Gilloise, ils pointent sereinement à la deuxième place de leur poule. Une dynamique qui contraste là encore avec celle observée en championnat (15e place et seulement un point d'avance sur le barragiste Lorient).
"On a le droit de s'emballer"
À l'échelon inférieur, Lille n'emballe pas toujours ses supporters, mais se rapproche tout de même des huitièmes de la Ligue Europa Conférence malgré des nuls sans saveur contre Klaksvik ou Bratislava. Autrement dit, et sans vouloir porter l'œil, un 4/4 pour la France sur ces premiers tours de C3 et C4 est plus qu'envisageable. Et pourquoi pas regarder beaucoup plus loin? "Il faut être optimiste. Peut-être qu'on sera encore déçu en février et en mars, mais en attendant il ne faut pas minimiser ces résultats", clame notre consultant Jérôme Rothen, pour qui "on a le droit de s'emballer sur ce qu'on voit".
"Je me dis qu'on peut quasiment faire un sans-faute sur ces phases de groupes. On va me dire que le groupe de Lille n'est pas flamboyant, et c'est vrai. Mais on s'est déjà tapé la honte par le passé contre des équipes qui étaient largement à notre portée", jugeait l'ancien milieu des Bleus il y a trois semaines après la belle soirée de Coupe d'Europe.
"Au moins, on a pour une fois des clubs qui ne passent pas à côté de ce genre de matchs", insiste-t-il.
Alors comment expliquer un tel enthousiasme? Pourquoi nos pensionnaires de Ligue 1, si souvent habitués à se planter lors des joutes continentales, donnent cette saison envie de les accompagner?
Un calendrier allégé en L1
Première hypothèse: le passage à 18 clubs dans l'élite. Une réforme adoptée avec l'idée de renforcer la compétitivité du championnat, offrir un meilleur partage des recettes en enlevant deux bouches à nourrir, et en même temps alléger le calendrier des formations engagées en Coupe d'Europe. Un dernier point souvent mis en avant par les défenseurs du projet. "Nous, les Marseillais, jouons tous les trois jours. Et c'est encore le cas en février et mars. Il y a un sentiment grandissant qu'avoir des championnats à vingt clubs, c'est trop. C'est préjudiciable pour les joueurs et ce n'est plus soutenable", estimait ainsi Jacques-Henri Eyraud, alors président de l'OM, en 2021.
Même analyse du côté de Jean-Michel Aulas, qui poussait même il y a trois ans pour un resserrement à 16 clubs. "On se rend compte qu’il faut aujourd’hui réduire le nombre d'équipes de l'élite, aussi parce que l'UEFA le demande. On sait que les fédérations le souhaitent car le nombre de matchs des sélections nationales est de plus en plus important." Cette saison, une seule journée de Ligue 1 sera programmée en semaine: le multiplex d'avant-Noël le mercredi 20 décembre. A titre de comparaison, il y en avait eu quatre en 2022-2023 (J5/J16/J18/J21), quatre en 2021-2022 (J7/J16/J19/J33), cinq en 2020-2021 (J15/J17/J18/J23/J28), deux en 2018-2019 avant le Covid (J7/J16), et encore quatre en 2017-2018 (J15/J19/J21/J31)...
Moins de calculs?
Alors que les joueurs sont soumis depuis plusieurs années à des rythmes effrénés, en particulier les internationaux, la Ligue 1 a choisi d'alléger son calendrier. De quoi garder des forces pour l'Europe? Joint par RMC Sport, Alexandre Dellal, ancien préparateur physique de l’AS Monaco ou de l’OGC Nice, reconnaît que "le championnat à 18 équipes, c’est très très positif pour les joueurs. C’est un changement énorme par rapport aux autres saisons avec quatre matchs de moins, c’est capital pour le physique." Une donnée qui pousse peut-être les entraîneurs à aligner leur meilleur onze sur ces rendez-vous européens, avec des changements à la marge, au lieu de faire souffler leurs cadres.
Une nuance toutefois: cela fait longtemps que les clubs français n'alignent plus d'équipe B en Coupe d'Europe et cela ne les a pas empêchés d'empiler les échecs. "Ce qui change, c'est qu'il y a moins d'appréhension, expose Jérôme Rothen. J'ai l'impression que nos clubs français respectent enfin ces compétitions. Avant, le discours, c'était: 'C'est pas la Ligue des champions donc on va pouvoir faire tourner parce que l'objectif premier ça reste le championnat.' C'est ce que certains dirigeants français pensaient il y a encore deux ou trois ans. Ils étaient dans la gestion le jeudi... Là on montre enfin notre vrai visage."
"Ce qui est paradoxal, c'est qu'on se fait chier cette année la plupart du temps en Ligue 1. C'est la réalité. Il y a trop de calculs. Personne ne se lâche... alors qu'on voit l'inverse en Coupe d'Europe", observe-t-il.
Avant de quitter le navire et d'être remplacé par Julien Stéphan, Bruno Genesio dressait le même constat pour expliquer les deux visages du Stade Rennais cette saison: "On est dans une compétition où l’on a tout à gagner puisque l’on a l’objectif de sortir des poules et de faire du mieux possible ensuite. Entre guillemets, on n’a pas d’obligation de gagner la Ligue Europa mais si on peut le faire, tant mieux. Des équipes ont été en difficulté en championnat la saison dernière et ont brillé en Europe, à l’image de West Ham (vainqueur de la Ligue Europa Conférence et 14e de Premier League) et Séville (vainqueur de la Ligue Europa et 12e de Liga). C’est peut-être ça qui fait que l’on joue de manière plus relâchée dans cette compétition. En championnat, comme on a affiché des ambitions très élevées, notre groupe reste assez jeune et peut-être que l’on joue avec une pression négative qui ne nous permet pas d’être pleinement en confiance dans les zones de vérité."
Ce "relâchement" européen se voit aussi à Toulouse. Incapable de gagner en championnat depuis le 1er octobre, le TFC vit une saison pleine de paradoxe, avec la possibilité de se qualifier pour les barrages en cas de succès ce jeudi contre l'Union Saint-Gilloise. "C'est vrai qu'au niveau européen, tout ce qu'on fait nous réussit, constate l'entraîneur toulousain Carles Martinez Novell. Nos résultats nous placent dans une spirale positive. En plus, il n'y a pas forcément la même pression. Si on se qualifie pour le prochain tour en Ligue Europa, c'est merveilleux, mais comme on ne joue pas cette compétition très souvent, il n'y a pas nécessairement la pression de se qualifier. Au niveau mental, c'est peut-être plus facile. On est peut-être un peu plus relâchés, un peu plus frais mentalement. En championnat, on sent qu'on n'est pas loin et les résultats peuvent avoir des conséquences sur le plan mental."
Emmanuel Petit note "un changement d'attitude"
Emmanuel Petit veut également croire à "un changement d'attitude". "J'ai rarement vu cette situation où l'on a autant de clubs français en mesure de passer les phases de groupes, souligne-t-il. Généralement, quand on arrive en février, c'est le désert, on se retrouve frustrés et déçus. Là il y a de très bons résultats, mais pas seulement. Il faut s'attarder sur le contenu et l'attitude. On voit des choses qu'on n'avait pas l'habitude de voir." Le champion du monde 1998 prend pour exemple l'exploit du Téfécé devant Liverpool (3-2), la victoire de Rennes à 10 contre 11 face aux Grecs de Panathinaïkos (3-1) ou encore le premier succès de l'OM à l'extérieur obtenu à Athènes sur le terrain de l'AEK (2-0). Pas des exploits, mais des performances prometteuses.
"Je vois enfin un côté conquérant en Europe, se réjouit Emmanuel Petit. Nos clubs se réveillent et il y a une émulation. Des soirées comme Lens-Arsenal (2-1) et Toulouse-Liverpool marquent les esprits. On a dézingué nos clubs français ces dernières saisons, à juste titre, mais pour l'instant on peut être satisfait. On a des émotions!" Et un sacré suspense. Lancée dans un intense mano à mano avec les Pays-Bas pour l’indice UEFA, la France est pour le moment derrière les Néerlandais avec un retard de 0,236 point. Et l’enjeu est colossal: l'heureux cinquième disposera de quatre tickets pour l'édition 2025-2026 de la Ligue des champions (trois places directes plus une place en barrages).