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Pourquoi les adultes de 2022 sont-ils accros aux jouets ?

Plus grande collection de jouets au monde. Philippines, April 20, 2021. Picture taken April 20, 2021. REUTERS/Eloisa Lopez - RC2QZM95ZN3J

Longtemps considérés comme réservés aux enfants, les jouets font désormais partie intégrante de l’univers des adultes. Récupérée par les industriels, cette tendance profonde s’inscrit pourtant dans un sentiment de nostalgie bien plus complexe qu'une simple pulsion consommatrice.

Une figurine perchée sur un ordinateur de boulot, un véhicule LEGO® sur une étagère du salon ou une peluche se prélassant au pied du lit, les jouets sont présents dans la vie de nombreux adultes. Au point qu’en décembre 2021, la chaîne de magasins JouéClub s’est fendue d’un catalogue à leur unique destination. “C’est un marché qui existait déjà mais depuis 2020, avec les différents confinements et la fermeture des lieux de loisirs, nous avons constaté une progression des achats de jouets par des adultes pour eux-mêmes qui représente maintenant 20% du marché global et progresse trois fois plus vite que le marché des enfants. Cela représente environ 700 millions d'euros, pour un marché total de 3,6 milliards d’euros”, analyse Franck Mathais, porte-parole de l’enseigne.

Une manne financière qui pousse les acteurs du secteur à adapter leurs produits pour séduire, encore un peu plus, les adultes ludophiles. Car si les Mythologies de Roland Barthes décrivaient les jouets des années 1950 comme des “reproductions amoindries d'objets humains” qui “préfigurent littéralement l'univers des fonctions adultes”, les choses ont bien changé. Exit les jouets qui préparent les enfants aux tâches qui leur seront dévolues quelques années plus tard (armée, transport, coiffure, science, médecine, tâches ménagères, etc.), place à ceux qui reposent sur la nostalgie de l’enfance, pensés et marketés pour leur cible. “Une importante partie du marché se compose des figurines issues d’univers comme Pokemon, Star Wars, Roblox ou Among Us, mais elles sont désormais dessinées pour être exposées. Elles sont plus grandes, installées sur des piédestaux, elles ont des finitions de meilleure qualité ou elles n’ont pas les bras qui se plient. Quant aux packaging, ils sont souvent plus noirs, plus élégants”, détaille Franck Mathais.

Avec plus de 68 000 personnes abonnées à sa chaîne Youtube dédiée à l’histoire des jouets Arkeo Toys, Romain connaît bien cette communauté d’adultes passionnés : “Je n'ai pas encore eu le plaisir de rencontrer chaque abonné mais ce que me disent les statistiques YouTube c'est que ce sont à 80% des hommes et qu'ils ont massivement entre 25 et 40 ans.” Et d’ajouter : “A ma grande surprise, un bon quart d'entre eux disent ne pas collectionner du tout. Ils suivent la chaîne pour le côté 'Histoire du 20e siècle'. La moitié est constituée d'amateurs et de nostalgiques au sens large, qui vont collectionner aussi bien les figurines que les comics ou les jeux vidéo. Et le dernier quart réunit les collectionneurs de jouets, qui eux-mêmes se regroupent en micro-communauté”.

Le moteur de la nostalgie

Pour Stéphane Hugon, sociologue de l’imaginaire, ce moteur nostalgique s’explique par un chamboulement des périodes dites traditionnelles de la vie : “Avant les années 1960, le concept de jeunesse n’existait pas vraiment. On passait directement de l’enfance - où on était improductif et occupé à des activités récréatives - à l’âge adulte, en abandonnant tous les items de la première au passage. Notre société a ensuite créé la jeunesse, avec ses codes, ses activités, et lui a donné tellement de place que plus personne ne veut en sortir. Si bien que les adultes portent désormais les attributs de la jeunesse et de l’enfance.

À 34 ans, Auric fait partie de celles et ceux qui assument leur passion des jouets. “J'y vois une façon de s'accrocher aux souvenirs, à la jeunesse, mais aussi une manière de conserver un peu de patrimoine culturel. D’ailleurs, quand je compare les jouets anciens avec les actuels, je les trouve de moins bonne qualité. Les fabricants ont bien senti le filon, c'est bien pour ça qu'on trouve des figurines de collection ou des ressorties de figurines vintages", explique ce médiateur numérique qui courait déjà les brocantes à cinq ans et qui dit avoir toujours été “branché rétro”.

Dans un autre registre, Guy, directeur de recherche au CNRS de 58 ans, s’offre régulièrement des petites voitures dont les prix vont de 75 à 350 euros : “En fait, je recherche des souvenirs d'enfance. Les voitures qui m'intéressent sont toutes situées dans une période de temps assez réduite : en gros 1967-1974, soit jusqu'à mes onze ans. J'en ai 25 et celle qui a ma préférence est la Ferrari 330 P4 de Willy Mairesse et Jean Blaton, arrivée 3ème aux 24h du Mans 1967 !” Une précision surprenante qui contraste avec les interrogations de Reggie, 26 ans, qui accumule jouets, jeux de société, peluches et goodies des années 1990 et du début des années 2000. “J'essaie sans aucun doute de recréer une ambiance 90, mais le but profond est trop inconscient pour moi. Par exemple, je ne m’explique pas pourquoi j’ai récemment acheté le jeu de société Chair de Poule. Parce que j'ai grandi avec les livres ? Parce que la marque est indissociable de ces années ? Pour ses dessins ? Pour l'originalité de l'objet ? Un peu de tout ça pour chaque objet, j’imagine.”

Contrôler et écrire l’histoire

Au-delà de la nostalgie, la passion des jouets peut s’expliquer par l’envie de s’approprier un univers que nous aimons, de le contrôler, de réécrire l’histoire. “Dans un monde un peu désenchanté où les grands récits qui tenaient la société - le religieux, le politique, l’humanisme - se sont affaiblis, la fiction autorisée par le jeu permet de retrouver une narration, un début, un milieu et une fin. Elle donne de l’emphase, des attributs aux personnages, de la surprise. On ne peut pas vivre sans récit, sinon la vie est absurde”, affirme Stéphane Hugon.

Ce jeu de la fiction, Johan A.K.A. Damonx s’y livre avec ses figurines issues des univers de Star Wars, Marvel ou Les Tortues Ninjas, qu’il met en scène et photographie sur son compte Instagram. “Il y a quelque chose de fascinant dans le fait d’avoir une réplique miniature de héros ou de méchants d’univers que j’apprécie. Ils m’appartiennent un peu. Comme un réalisateur, je peux moi aussi leur faire vivre des choses. Je peux les observer, les faire bouger, les faire vivre en les mettant en scène. Y’a une forme de présence rassurante, d’idolâtrie presque religieuse”, confie ce passionné de 44 ans.

"Quand je rentre du travail et que je les vois, je me sens vraiment chez moi, ça m'apaise"

Pour Coralie, office manager de 31 ans qui collectionne les peluches, cet art de la mise en scène revêt une importance plus grande encore. “Elles m'apportent beaucoup de réconfort et une véritable présence au quotidien : quand je rentre du travail et que je les vois, je me sens vraiment chez moi, ça m'apaise ! Il y a une partie de jeu aussi, elles ont toutes des noms et chacune a sa propre personnalité, son histoire, et certaines sont liées entre elles”. Elle poursuit : “C'est extrêmement rassurant de les avoir, surtout face à la situation actuelle qui est difficile et incertaine, c'est un petit repère bienvenu. En 2020, j'ai eu un passage extrêmement à vide, précipité par le Covid, et c'est littéralement ce qui m'a maintenue en vie, je me disais que je ne pouvais pas partir et les abandonner”.

Du partage et de la transmission

Si cette façon de faire vivre ces jouets aux pelages synthétiques peut apparaître comme une activité solitaire, ce n’est pas le cas pour Coralie : “C'est aussi un lien avec un de mes ami.e.s, on a "adopté" des peluches ensemble, qui sont chez lui, et il connaît les miennes, ça nous arrive de nous envoyer des blagues qui mettent en scène certaines des peluches, ça nous permet de garder un lien à distance ! C'est tout un univers très positif, ça me donne l'impression de retrouver une bande de potes après une dure journée.”

Pour nombre d’autres ludophiles ayant quitté l’enfance, la fin de la journée est surtout le moment des retrouvailles avec leurs enfants. Et là encore, les jouets jouent un rôle bien particulier. Comme chez Renaud et Bénédicte, respectivement âgés de 37 et 36 ans : “Dans le genre achat compulsif, j’ai fait l’acquisition d’une multitude de Bakugan. À la base, c’était un de mes gamins qui avait réclamé ça pour un Noël et c’est moi qui ai fait la collection. J’ai les 260 figurines de la saison 1 du dessin animé qui va avec le jeu et deux espèces de mégazords combinant plusieurs figurines d’une autre saison”, se souvient le père de famille.

Une anecdote qui ne surprend pas Romain, le producteur audiovisuel qui anime la chaîne YouTube Arkéo Toys : “D'un point de vue général, j'ai pu voir que l'aspect transmission générationnelle prend une grande importance depuis quelques années. Les derniers enfants du 20e siècle ont maintenant l'âge d'être parents et ce sont eux qui mettent les paquets sous le sapin.” La collection de jouets est d’ailleurs loin d'être un phénomène nouveau : “Les poupées en porcelaine, les petits trains ou les voitures Dinky Toys ont connu leur heure de gloire, sans parvenir à toucher les générations suivantes. Il est d’ailleurs probable que, d’ici quelques décennies, nos petits-enfants regarderont les vitrines remplies de Funko Pop ou de robots japonais avec le même dédain que celui que nous avions pour les horribles chatons en cristal et autres bibelots ramenés de Lourdes que nos grands-mères entassaient sur le buffet du salon !”

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