Poupée masquée, peluche contaminée: quand le Covid s'invite dans les jeux des enfants

Des enfants se lavent les mains avant d'entrer en classe dans une école de Lille le 1er septembre 2020 (photo d'illustration) - Denis Charlet-AFP
Des enfants se lavent les mains avant d'entrer en classe dans une école de Lille le 1er septembre 2020 (photo d'illustration) - Denis Charlet-AFP

Des peluches placées à l'isolement, des poupées qui portent des masques, des dessins de coronavirus et des Pokémon-Covid: la pandémie et le nouveau contexte sanitaire ont infiltré les jeux des enfants.

Le masque pour jouer à la maison

Marina*, une agente de voyages qui réside dans les Hauts-de-Seine, en témoigne. D'ailleurs ses deux garçons de 4 et 7 ans ont intégré à leur quotidien aussi bien les gestes barrières que les nouvelles restrictions.

"Quand on sort se promener, ils me demandent à quelle heure on est parti, si on n'a pas dépassé le temps réglementaire, si on a bien l'attestation et le grand regarde tout le temps sa montre", raconte-t-elle pour BFMTV.com.

Ce sont même ses enfants qui insistent pour porter le masque lorsqu'ils jouent tous les deux, que ce soit en extérieur comme à la maison. Ce qu'elle refuse. "Ils me disent que c'est marrant de porter le masque mais les enfants ne devraient pas se limiter dans leurs jeux et perdre de leur insouciance. Cela m'attriste beaucoup."

Pokémon-Covid et Mikado-test PCR

La Covid-19 teinte désormais les jeux des deux frères: ils ont notamment séparé leurs doudous afin que ceux de l'un n'entrent pas en contact avec ceux de l'autre. Quant aux cartes Pokémon - l'un des deux obsessions des deux garçons - l'un des personnages a été baptisé Pokémon-Covid, "sans doute parce qu'il a une forme qui pourrait faire penser à un virus", observe leur mère.

Marina se réjouit que l'autre domaine de jeux Star Wars - leur seconde obsession - ait été préservé de la pandémie et du vocabulaire sanitaire. "Ça me plaît bien que le Covid n'ait pas pénétré toutes leurs aires de jeux, Star Wars résiste". Ce qui n'est pas le cas du goûter.

"Il y a quelques jours, on avait une boîte de Mikado (des biscuits enrobés de chocolat en forme de bâtonnet, NDLR), le plus jeune m'a dit que c'était pour faire des tests PCR".

Le virus en cours d'arts plastiques

Cécile*, professeure d'arts plastiques dans un collège d'Île-de-France, a elle aussi observé un changement dans le comportement de ses élèves. Dans le cadre d'un travail en classe de 6e, la consigne était de proposer un journal en papier et en 3D d'une graine de courge.

L'une des élèves a bien dessiné des courges, entière et en morceaux, des graines de courge, réelles et représentées, mais a aussi ajouté un personnage féminin qui jardine, plante une graine dans la terre, tout en portant un masque.

"Je ne m'y attendais pas, raconte l'enseignante pour BFMTV.com. Ça m'a vraiment surprise, d'autant que je ne pensais pas que le sujet puisse être raccroché au contexte sanitaire. Et j'ai aussi été étonnée que le personnage soit seul, portant son masque tout en étant en extérieur. Cela m'inquiète un peu."

Des dessins du "vilain virus"

Mais pour la pédopsychiatre Agnès Pargade, ce serait plutôt une bonne chose. Cette spécialiste de la psychologie des enfants a ainsi constaté que plusieurs de ses jeunes patients avaient en effet dessiné, à plusieurs reprises, le "vilain virus". Ce qui ne doit pas être source d'inquiétudes. Car "il faut que le Covid s'invite dans les jeux des enfants", selon elle.

"Cela permet de dédramatiser, de banaliser mais aussi d'expliquer si des choses ont été mal comprises, assure-t-elle à BFMTV.com. Le jeu peut servir de canal. De toute façon, les enfants ont bien compris que le contexte était différent, qu'on ne pouvait plus embrasser les grands-parents ou aller sur les genoux du Père Noël. Cela permet aussi aux enfants de s'approprier cette nouvelle situation et d'y prendre leur rôle."

Cette pédopsychiatre invite ainsi les parents à dire la vérité, "sans exagérer ni faire peur", tout en se montrant rassurant. Car selon Agnès Pargade, "tout passe par la parole des parents".

"Plutôt que de dire: 'Oh non, c'est affreux, ne dessine pas ce virus' et sans non plus doter les enfants d'une mallette spéciale Covid, un dessin ou des accessoires pour jouer au docteur peuvent être l'occasion d'aborder plus simplement le sujet."

Un seul client au jeu du restaurant

Carole*, une professeure de danse de 43 ans qui habite un petit village de Seine-et-Marne, constate elle aussi que la pandémie s'est infiltrée dans l'imaginaire de ses deux garçons de 3 et 5 ans. "Leurs peluches attrapent quand même souvent la Covid, s'en amuse-t-elle pour BFMTV.com. Mais heureusement, ils s'en sortent à chaque fois!" Chats, chiens et autres animaux à fausse fourrure sont ainsi régulièrement disséminés aux quatre coins du salon.

"Mes fils me disent qu'ils sont tous malades et qu'ils vont à l'hôpital. Le grand d'ailleurs porte son masque à ce moment-là pour ne pas que sa peluche lui transmette la maladie. Je les entends leur dire: 'Ah bah c'est malin, toi aussi tu l'as attrapée.' Tous les animaux ont droit à des piqûres et des pansements mais ça finit toujours bien."

Son aîné a aussi récemment jouer "au restaurant" avec elle. Mais l'établissement fictif n'avait le droit de recevoir qu'un seul client à la fois. "Je lui ai demandé si papa pouvait venir nous rejoindre pour manger avec nous mais il m'a dit que non, qu'il fallait qu'il y ait des distances entre les personnes et que le restaurant ne pouvait recevoir qu'une personne."

Il refuse une balade avec ses grands-parents

Des scénarios qui ne l'inquiètent pas. "Je vois bien que tout ce qu'il se passe dans leur quotidien se traduit dans leurs jeux. Du coup, j'en profite pour me poser avec eux, essayer de comprendre ce qu'ils ont eux-mêmes compris et en parler." Mais pour l'aîné, qui ne cesse de se laver les mains, la pandémie semble avoir déjà modifié ses relations avec ses proches.

"Quand on va faire des courses, il n'arrête pas de se mettre du gel hydroalcoolique. Il veut mettre son masque dès qu'il sort de la maison alors que je lui ai dit qu'il y n'était pas obligé. Quand il sort de l'école, il me dit qu'il ne peut retirer son masque qu'une fois dans la voiture. Je fais attention à ce que tout ça ne devienne pas une source d'angoisse mais il a déjà refusé d'aller se balader une heure en forêt avec ses grands-parents."

Quant au cadet, du haut de ses presque trois ans, il a récemment fait une réflexion à une dame devant la sortie de l'école au sujet de son masque glissé sous le menton. "Il lui a dit: 'mal mis' en pointant le masque", se souvient Carole.

Des poupées masquées

Pour la psychologue et psychanalyste Armêl Mattmann-Jacques, que le Covid s'immisce dans les jeux symboliques n'est que l'expression de la vie psychique de l'enfant. "C'est plutôt positif qu'ils en jouent", note-t-elle pour BFMTV.com. Elle cite l'exemple de ces enfants qui demandent des petits masques pour leurs poupées ou leurs doudous. "C'est une façon pour eux de s'identifier aux adultes, comme un enfant qui joue à la dinette."

Armêl Mattmann-Jacques, qui a récemment publié une tribune dans Libération sur la résilience des enfants, s'inquiète davantage des répercussions à long terme de la distanciation, des gestes barrière et de ce nouveau rapport à l'autre. Elle cite ces enfants qui se lavent très souvent les mains ou portent le masque "alors qu'ils n'y sont pas obligés et sans injonction parentale".

"C'est évidemment difficile de pronostiquer ce qui va leur advenir, mais je pense aux bébés en crèche avec le personnel masqué. On sait que les bébés ont besoin d'avoir accès aux visages de l'adulte pour lire les émotions, cela contribue à leur développement psychique. Les enfants vont grandir dans un monde où il est établi que l'extérieur est une source de dangers et qu'ils peuvent eux-mêmes potientiellement en être une. Ajouté au terrorisme, cela transmet l'idée d'un monde dangereux avec une porosité de tous les instants. Or ce n'est pas l'autre qu'il faut mettre à distance, c'est le virus."

Les témoins marqués d'une * ont souhaité n'être présentés que par leur prénom.

Article original publié sur BFMTV.com