“Portraits fantômes” : il était une fois Recife, ville de cinémas
Qui se rend en salle pour découvrir Portraits fantômes en s’attendant, comme indiqué dans le synopsis, à voir un film sur les anciens cinémas du centre-ville de Recife, sera peut-être étonné, au moins dans un premier temps, de voir Kleber Mendonça Filho faire débuter son long-métrage dans l’appartement où il a lui-même vécu durant quarante ans, à Setúbal, dans les quartiers sud de la ville [capitale de l’État du Pernambouc, sur la côte nord-est du pays]. Ce choix s’éclaire cependant lorsqu’on considère l’ensemble du film, qui dès ses toutes premières scènes affirme sa volonté de déjouer les attentes.
Un symbolisme fort marque la première partie de Portraits fantômes, dont le narrateur à la première personne n’est autre, de bout en bout, que le réalisateur lui-même. C’est la voix du cinéaste pernamboucain, ainsi que ses souvenirs, ses émotions et ses perceptions, qui guide le spectateur dans ce voyage à la fois extrêmement personnel et éminemment collectif, à travers l’évocation d’un temps où aller au cinéma était un événement, et où les salles obscures, pleines à craquer, étaient le baromètre de cette passion.
En faisant débuter son récit à l’intérieur de l’immeuble qu’a occupé sa famille plusieurs décennies durant, Kleber Mendonça Filho choisit de mener la discussion cinématographique au cœur de l’intime.
L’appartement familial, entre docu et fictions
Là, il nous présente sa mère, l’historienne Joselice Jucá, des images de sa propre jeunesse, mais aussi des moments avec ses enfants et son épouse. Cet espace familial est aussi profondément lié au septième art, puisque l’appartement a servi de cadre à ses premiers films, y compris celui qui l’a révélé, Les Bruits de Recife (2012).
Le réalisateur et son monteur, Matheus Farias, ont eu l’idée brillante, entre cette première partie et la suite du film, d’unir, par une coupe sans transition, une image brute des Bruits de Recife et un plan réalisé depuis la terrasse d’un immeuble de l’Avenida Guararapes. Quittant la zone sud, le regard du spectateur est ainsi conduit vers cette avenue qui a jadis été le symbole de la modernité de Recife [conçue dans les années 1930, cette artère a été inséparable de l’image de la ville jusque dans les années 1970] et qui est aujourd’hui l’incarnation de la décadence du centre-ville de la capitale pernamboucaine [qui a été peu à peu déserté par ses populations aisées et s’est délabré au fur et à mesure du temps].
[...] Lire la suite sur Courrier international