Port du burkini : que dit la loi ?
L'arrêté anti-burkini d'une commune corse a été suspendu par le tribunal administratif, alors que celui d'une commune des Alpes-Maritimes a été validé par la même juridiction.
C'est l'une des polémiques récurrentes du mois d'août, alimentée le plus souvent par l'extrême droite. Depuis 2016, la question de l'interdiction du port du burkini sur les plages revient certains étés, au gré des arrêtés municipaux pris par certaines communes, et mis sur le devant de l'actualité par l'extrême droite.
Cette année, c'est la commune de Lecci, en Corse-du-Sud, qui a pris un arrêté le 7 août pour interdire l’accès des plages aux personnes vêtues de "tenues manifestant une appartenance religieuse", alors que quelques jours plus tôt, quatre femmes s’étaient baignées en burkini sur une plage de la commune, rapporte Corse Matin.
Pour Marine Le Pen le burkini "doit être interdit dans les piscines municipales comme sur les plages"
L'arrêté a été suspendu par le tribunal administratif de Bastia quelques jours plus tard, arguant dans un communiqué que l'interdiction devait être justifiée "par un risque actuel et avéré pour l’ordre public". De fait, "la commune n’ayant pas démontré l’existence d’un tel risque, le tribunal estime que cette interdiction porte atteinte de manière grave et illégale à la liberté d’aller et venir, à la liberté de conscience et à la liberté personnelle", résume un communiqué du tribunal.
Plein et entier soutien au maire de Lecci. Le burkini qui est un marqueur de la propagation de l’idéologie islamiste doit être interdit dans les piscines municipales comme sur les plages. https://t.co/Y6DdrwKLR5
— Marine Le Pen (@MLP_officiel) August 20, 2024
Une décision commentée par la présidente du groupe RN à l'assemblée Marine Le Pen, qui remet donc la question du burkini sur le devant de l'actualité. "Plein et entier soutien au maire de Lecci. Le burkini qui est un marqueur de la propagation de l’idéologie islamiste doit être interdit dans les piscines municipales comme sur les plages", a écrit l'ancienne candidate à la présidentielle sur X.
Des arrêtés quasi-systématiquement annulés par la justice
Comme Lecci, Mandelieu-La-Napoule (Alpes-Maritimes) a pris un arrêté anti-burkini sur les plages cet été, qui vise à interdire l'accès aux plages et à la baignade des personnes vêtues d'une tenue "non-respectueuse des règles d'hygiène et de sécurité". L'arrêté a été visé par un recours de la Ligue des droits de l'Homme, qui vient d'être rejeté par le tribunal administratif ce mardi. La LDH a annoncé vouloir se pourvoir devant le Conseil d'État, rapporte France Bleu. Un scénario identique à l'année dernière, où le Conseil d'État avait finalement annulé l'arrêté.
Avant ces villes, les arrêtés anti-burkini avaient été popularisés par Villeneuve-Loubet et Cannes (Alpes-Maritimes) en 2016, entrainant dans leur sillage une trentaine de communes. Ils évoquaient les risques de troubles à l'ordre public, se référant notamment à l'attentat de Nice, survenu le mois précédent. Le conseil d'État avait finalement rejeté l'arrêté de Villeneuve-Loubet, estimant notamment que "l’émotion et les inquiétudes résultant des attentats terroristes, et notamment de celui commis à Nice le 14 juillet dernier, ne sauraient suffire à justifier légalement la mesure d’interdiction contestée". Une décision qui avait fait jurisprudence pour les communes qui avaient pris un arrêté similaire.
Le maire doit "concilier l’accomplissement de sa mission avec le respect des libertés garanties par les lois"
Pour le Conseil d'État, l'interdiction sur les plages d'une commune par le maire "d'une tenue vestimentaire manifestant de manière ostentatoire une appartenance religieuse" ne peut reposer que sur des considérations d'ordre public. De plus, pour être légale, l'interdiction doit être adaptée à la situation locale, nécessaire au maintien de l'ordre public, et proportionnée, compte tenu de l'atteinte qu'elle porte aux libertés publiques.
La loi donne aux maires la charge du maintien de l'ordre dans leur commune, et leur permet également de prendre des mesures concernant l’accès à la plage, la sécurité de la baignade, l’hygiène et la décence, rappelle le Dalloz. Sauf que, saisi de certains arrêtés, le Conseil d'État estime que "si le maire est chargé (…) du maintien de l’ordre dans la commune, il doit concilier l’accomplissement de sa mission avec le respect des libertés garanties par les lois".
Une atteinte "grave à la liberté d’aller et venir, la liberté de conscience et la liberté personnelle"
Or, selon l'institution, ces arrêts anti-burkini ont "porté une atteinte grave et manifestement illégale aux libertés fondamentales que sont la liberté d’aller et venir, la liberté de conscience et la liberté personnelle", selon une décision du Conseil d'État de 2023 concernant l'arrêté pris cette année-là par le maire de Mandelieu-la-Napoule.
Mais les arrêtés anti-burkini pris par les communes ne sont pas systématiquement censurés par le Conseil d'État. En 2016, le maire de la commune de Sisco (Haute-Corse) avait pris un arrêté anti-burkini pour les plages de la commune sous prétexte de risques de troubles à l'ordre public.
L'arrêté anti-burkini de Sisco, validé par la justice
Un recours a été déposé puis rejeté par la justice, cet arrêté ayant été pris suite à une rixe survenue sur la plage du village le 13 août 2016 qui avait fait cinq blessés et entraîné plusieurs jours de vives tensions dans la région, sur fond de communautarisme et d'insultes racistes. La cour administrative avait "estimé que la décision du maire était adaptée aux risques avérés de troubles à l'ordre public".
Le cas des piscines municipales
Comme le rappelle sur France Inter Patrick Spinosi, avocat au Conseil d'État, depuis 2016 et la décision de l'institution, le burkini ne peut pas être interdit au seul motif de son aspect religieux dans les piscines municipales. En revanche, le maire peut tout à fait l’interdire pour raisons d’hygiène, en excluant le port de vêtements couvrants, combinaison ou burkini, dans le cadre d’un règlement intérieur.
Le burkini "implicitement autorisé" dans la plupart des piscines municipales
C'est par exemple le cas à Lille où la métropole interdit "le port de caleçons, shorts, bermudas, linges de corps, pantalons et assimilés" et ainsi, de fait, le port du burkini. "Dans la grande majorité des piscines municipales en France, il n’y a pas d’interdiction en tant que tel du port de vêtements comme des combinaisons de nage. Dans ces conditions, on doit penser que le burkini est implicitement autorisé", poursuit le spécialiste.
À l'inverse, dans certaines bases de loisirs, le port du burkini est autorisé mais interdit à la baignade, pour des raisons d'hygiène et de sécurité, les bases de loisirs avançant auprès de 20 Minutes les difficultés à nager avec des vêtements plein d'eau.
En 2022, la ville de Grenoble a voulu autoriser dans son règlement intérieur le port du burkini. Une modification du règlement intérieur rejetée par le Conseil d'État, qui a estimé dans le cadre d'un déféré laïcité que "contrairement à l’objectif affiché par la ville de Grenoble, l’adaptation du règlement intérieur de ses piscines municipales ne visait qu’à autoriser le port du 'burkini' afin de satisfaire une revendication de nature religieuse et, pour ce faire, dérogeait, pour une catégorie d’usagers, à la règle commune, édictée pour des raisons d’hygiène et de sécurité, de port de tenues de bain près du corps".