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Pompon Girl : on a rencontré Adriana Soreil, une réalisatrice de son temps "drôlement" féministe

Diplômée de la Fémis, Adriana Soreil a travaillé sur la saison 2 de Kaboul Kitchen en tant que scénariste, avant de rencontrer le réalisateur Nicolas Rendu, avec qui elle a écrit Pigeons et Dragons, un "format court totalement déjanté en stop motion" et de nombreux épisodes de Tout est vrai (ou presque), tous deux destinés à Arte. Ensemble, ils présenteront bientôt Margot et le robot, une aventure en 2D de 26 minutes, qui vient d'être annoncée par France Télévisions au festival d'Annecy et sera cette fois-ci destinée aux enfants. La scénariste a également rejoint l'équipe d'écriture de la saison 2 de Lastman, adaptée de la BD de Bastien Vivès, Balak et Michaël Sanlaville. C'est parallèlement à ces activités-là qu'elle a mené ses projets personnels de cinéma, trois scénarii réalisés par des étudiants de la Fémis et diffusés sur Arte et Pompon Girl, sa première réalisation sélectionnée au Festival de Cabourg 2019 après être passée par le Festival du court métrage de Brest, celui de Thessalonique en Grèce ou celui du Cinéma Francophone en Acadie.

AlloCiné : Comment est née votre envie de raconter l'histoire de cette "Pompon Girl" ?

Adriana Soreil : Ce projet-là est né de ma propre expérience de grossesse. J'avais envie de parler de ce ressenti de violence du point de vue d'une femme enceinte dont la vision sur le monde change au moment où elle se dit qu'elle va devenir maman. Le harcèlement de rue dans mon film n'est pas une question centrale, il est plutôt le symptôme de cette violence plus globale que mon personnage va ressentir. On suit son évolution intérieure autour de ce questionnement qui porte sur l'envie de mettre au monde cet enfant aujourd'hui.

Vous travaillez sur des projets (cités ci-dessus) pour la télévision. Combien de temps avez-vous mis pour mettre en scène, entre temps, ce court métrage plus personnel ?

C'est presque aussi long de financer un court métrage qu'un long. Je l'ai fait lire à mon producteur au printemps 2016. On l'a envoyé en commissions à partir de septembre et on a tourné un an plus tard, fin août, début septembre 2017. On est beaucoup à travailler sur des courts métrages en parallèle d'autres projets, ce qui fait que la post production a pris du temps. Le film a été fini en avril 2018.

J'ai écrit mon film bien avant Mee too et l'affaire Weinstein

Un mot sur votre rencontre et le choix de votre actrice Pénélope-Rose Levêque...

Cela a été un peu chaotique parce qu'au départ, j'avais rencontré pas mal de comédiennes et j'avais fait un choix. Mais l'actrice s'est désistée parce qu'elle était réalisatrice et allait tourner elle-même un court métrage et ne se sentait pas le courage de tout mener de front. Elle s'est désistée un peu tard. Une de mes amies, Sarah Heitz de Chabaneix avec qui je co-écris plusieurs projets, m'a parlé de Pénélope-Rose Levèque. J'ai vu ce qu'elle avait fait, je l'ai trouvée très impressionnante, je l'ai appelée. Elle était en vacances mais est rentrée car elle adorait le projet. Elle s'est jetée à fond dans la préparation et une semaine après on tournait. On s'est vraiment bien entendue, je suis ravie d'avoir travaillé avec elle. Elle a depuis une vraie actualité, vu qu'elle a joué le premier rôle d'Un avion sans elle, diffusé sur M6. La trouver au dernier moment a été un petit miracle, car non seulement elle avait un grand spectre de jeu, pouvant passer du drame à la comédie comme je le souhaitais, mais en plus son rôle était physique. Elle avait des notions de clown, de danse, et s'est vite adaptée à la boxe. Le film lui doit beaucoup !

Votre film est très connecté à l'actualité et aux problématiques du moment, entre harcèlement et violence faite aux femmes. Or, vous avez écrit bien avant le mouvement Me Too. Ce timing a t-il été favorable ou au contraire a-t-il freiné d'une manière ou d'une autre le projet?

J'ai écrit en effet en 2016, avant Me Too et l'affaire Weinstein. Quand j'étais en montage, c'est sorti. Les gens à qui j'avais commencé à montrer mon film me disaient que "c'était génial ce timing de folie", et que cela sortait pile au bon moment. Et en même temps, ce qui est bizarre c'est que parfois les gens trouvent que le film peut paraître opportuniste, à ce moment-là. Quand on me pose la question, je précise qu'il est lancé depuis deux ans. Ce qui est intéressant c'est que Me too est arrivé très vite mais il y a eu des prémices. Si j'écris là-dessus à l'époque c'est parce que tout le monde autour de moi a des histoires et anecdotes de harcèlement à raconter. J'ai des amies qui se sont fait agresser à Paris. Au moment où j'écrivais, une amie m'a envoyé un post facebook d'une femme qui s'était fait attaquer, était à l'hôpital et elle avait posté sa photo sur facebook en disant qu'elle avait répondu à un mec dans la rue. Elle avait reçu des réponses très haineuses de filles qui lui disaient "A quoi t'attendais-tu si tu réponds". Cela m'intéressait énormément et c'est pour cela que dans le film je fais toujours en sorte qu'elle soit celle qu'on va mettre en cause dans l'agression. J'essaie de le traiter avec humour, avec cette idée que parfois les femmes sont plus dures même que les hommes sur ce genre de sujet.

Votre figure masculine a ainsi un réel poids dans le film dans sa manière de réagir, d'accompagner votre héroïne...

Là aussi, le casting a été compliqué. Julien Personnaz, le frère de Raphaël, devait jouer mon personnage mais il a été pris sur un long métrage juste avant mon court. J'ai vu les essais de Julien Drion qui avait fait Emergence l'année d'avant. Je l'avais trouvé très très bon. Quand je l'ai appelé, il tournait La Trêve, série belge sur Netflix. Ses jours de pause sur la série correspondaient exactement à mes jours de tournage, il a accepté ! Avec lui toute la discussion a été de créer un personnage qui ne soit pas antipathique. Le fait que le personnage féminin soit très fort et lui soit maladroit pouvait créer une ambiguité.

Mon héros fait écho à la situation des hommes aujourd'hui face à la question du féminisme...

Ce que je voulais et trouvais intéressant, c'était de montrer quelqu'un qui soutient l'héroine en permanence, est très doux avec elle mais ne sait absolument pas quels mots trouver pour l'aider. Il fait écho à la situation des hommes aujourd'hui face à la question du féminisme. Ils ne savent pas comment se situer et ont parfois des mots très maladroits qui sont en fait des réflexes de protection envers les femmes qu'ils aiment. Dans Pompon Girl, les héros s'éloignent l'un de l'autre car ils ne se comprennent pas : lui voudrait la protéger, elle veut en fait être forte et se protéger toute seule.


Après ce court métrage, envisagez-vous le long? Ou pas encore?

Je suis très contente de ma collaboration avec Saïd Hamich qui est le producteur de ", une maison qui fait du court et du long. Ils ont produit notamment Much Loved, qui avait fait sensation à Cannes. On a envie de continuer à travailler ensemble donc on s'est dit qu'on produirait d'abord un deuxième court métrage en réfléchissant à un long. Le long n'est pas encore écrit mais on est en discussion sur nos envies respectives. Le court en revanche l'est, on essaie de le financer en ce moment.

Le positionnement de la femme dans la société par rapport au rôle qu'on lui a souvent attribué m'intéresse beaucoup

Quels sont les thèmes que vous avez envie d'aborder justement par la suite, qui vous tiennent à coeur ?

J'essaie de développer des personnages principaux féminins plus que masculins parce que pendant des années, on a vu des personnages masculins un peu partout. Comme il y a de plus en plus de femmes qui écrivent et réalisent, on commence à voir émerger des personnages féminins qui sont un peu différents de ce qu'on a l'habitude de voir. J'ai envie de creuser cette veine-là. La maternité m'intéresse beaucoup parce que je trouve que dans ces questions de féminisme, c'est quelque chose qui pose problème aux femmes. Il y a des féministes qui vont renier la maternité pour pouvoir être des femmes libres, fortes. Moi je serai plutôt à dire qu'il faut donner le droit aux femmes de s'épanouir dans la maternité sans que cela pénalise leur carrière, leurs ambitions, leurs objectifs dans la vie. On commence enfin à parler plus précisément du congé paternité et selon moi, l'égalité homme/femme sera accomplie vraiment au moment où les hommes et femmes seront au même niveau sur la gestion des enfants et de la famille. Tant que cela n'est pas accompli, tant que ce poids ne sera pas réparti, rien ne sert de chercher la parité, l'égalité salariale, et le reste. Un congé paternité égal au congé maternité changerait aussi en matière de discrimination à l'emploi. Ce sont des sujets qui m'intéressent. Le positionnement de la femme dans la société par rapport au rôle qu'on lui a souvent attribué.

Vous avez fait des études de scénario, vous êtes maintenant aussi réalisatrice. Avez-vous un penchant particulier pour l'un ou l'autre, une facilité? Les deux sont-ils devenus indissociables?

Je me sens davantage scénariste que réalistrice, puisque c'était ma vocation première. Je n'ai d'ailleurs pas vocation à réaliser des choses que je n'ai pas écrites. L'envie de réaliser est vraiment venue avec mes projets et avec le fait qu'en France, si on veut développer du cinéma d'auteur, il faut réaliser soi-même son propre scénario. Il n'y a que dans la comédie grand public ou le film de genre qu'un réalisateur peut accepter un scénario existant. On a l'opportunité en première année à la Fémis de réaliser, j'avais donc testé et cela m'avait énormément plu, cela m'avait même étonné. J'ai mis du temps à y revenir car j'avais envie de me consacrer à l'écriture en sortant de l'école mais j'ai envie de poursuivre oui. C'est un travail totalement différent de ce que je fais pour la télévision, qui me plait aussi énormément. Tout est très complémentaires. Sur le court ou un futur long, le travail est solitaire, personnel. Et j'ai besoin de la compensation du travail d'équipe, de la télévision, et de pouvoir déléguer à d'autres personnes la réalisation de ces projets.

Evidemment on parle plus de parité ou non pour les réalisatrices car la mise en scène est beaucoup plus un poste de pouvoir que celui de scénariste

L'émergence grandissante des séries est-elle d'ailleurs un vrai atout pour les scénaristes ?

Oui c'est un boulevard pour nous. On donne aux scénaristes une place qu'on ne leur donne pas au cinéma en fait. C'est très intéressant aussi si on a envie de développer des histoires avec plus d'ampleur car la série est un format très impressionnant.

La parité homme/ femme est une problématique dont on parle souvent dans votre métier de réalisatrice peut être plus que de scénariste. Quel est votre vécu ou votre point de vue à ce sujet?

Evidemment on en parle plus pour les réalisatrices car la mise en scène est beaucoup plus un poste de pouvoir que celui de scénariste. Tout le problème des femmes dans ce milieu est de faire leurs preuves et de gagner la confiance pour qu’on leur confie un plateau et qu’on finance leurs films. Je pense que c’est en train de changer doucement. Maintenant les journalistes et le public remarquent quand il n’y a que des hommes sélectionnés à des festivals ou des remises de prix.  Sur mon tournage, les postes de chef électro, chef machino et assistants caméra étaient occupés par des femmes, ce qui est plutôt rare ! Et à Cabourg cette année, dans la sélection court-métrage il y avait plus de réalisatrices que de réalisateurs. Et le programmateur m’a confié que ce n’était pas fait exprès mais qu’il en était très satisfait ! Personnellement je suis plutôt entourée d’hommes féministes ou du moins sensibles au problème. Par exemple, l’équipe d’écriture de Lastman que je viens d’intégrer est maintenant paritaire. C’était une volonté du producteur Didier Creste et des auteurs originaux, d’autant plus que le héros Richard Aldana est du genre plutôt viril !

Un extrait de Pompon Girl :