En Pologne, la "loi sur l’ingérence russe" fait craindre pour l’indépendance des prochaines élections

Les Occidentaux se disent "particulièrement préoccupés". Le commissaire européen à la Justice, Didier Reynders, a ainsi dénoncé ce mardi "l'adoption d'une nouvelle loi en Pologne sur un comité spécial qui permettrait (...) de priver de leur droit d'être titulaire d'une fonction élective des citoyens sans qu'il n'y ait de recours en justice possible".

Une déclaration qui intervient au lendemain de l'adoption par Varsovie d'une loi signant la création d'une commission sur l'influence russe. De quoi inquiéter la communauté internationale.

Condamnation sans contrôle de la justice

Composée de neuf membres choisis par une chambre basse dominée par le camp nationaliste populiste au pouvoir, la commission pourra décider si les responsables politiques du pays, ou toute autre personne, ont succombé ou non à l'influence russe dans les années 2007-2022. Si c'est le cas, ils pourront les condamner, sans contrôle effectif de la justice, alertent les observateurs.

La personne jugée coupable pourra être interdite d'occuper des postes publics liés à l'accès aux finances publiques et aux informations classifiées, et ce pendant dix ans.

"On peut se poser la question de savoir si on respecte encore les règles d'accès à la justice, les règles d'accès à un juge indépendant lorsqu'on fait l'objet d'une décision administrative", a déclaré le commissaire Didier Reynders.

Il a souligné que la Commission européenne "n'hésitera pas à prendre des initiatives si la loi est effectivement en vigueur et pose ce type de problème".

Les États-Unis se disent "préoccupés" par une loi "qui pourrait être utilisée de manière abusive pour interférer avec les élections libres et équitables en Pologne" à l’automne, selon un communiqué du département d'État lundi soir. Washington partage "les préoccupations exprimées par de nombreux observateurs, selon lesquelles cette loi (...) pourrait être utilisée pour bloquer les candidatures des hommes politiques de l'opposition sans procédure régulière". Varsovie a rejeté ces accusations.

Loi anticonstitutionnelle

Les critiques ne viennent pas que des pays occidentaux. En effet, l'entité a été qualifiée d'"anticonstitutionnelle" et "stalinienne" par l'opposition et nombre de juristes, à quelques mois des élections législatives de l'automne.

Selon le pouvoir populiste polonais, une telle Commission est indispensable pour éliminer l'influence russe en Pologne, allié fidèle de l'Ukraine attaquée par Moscou.

Dans un communiqué publié mardi, le ministère polonais des Affaires étrangères a souligné "avec force que l'élaboration de ces dispositions relève de la compétence souveraine du Parlement polonais", tout en se disant prêt a expliquer aux alliés de la Pologne "des surinterprétations et des doutes" concernant la loi. Il a assuré que la commission procédera "selon le principe de la vérité objective, en analysant toutes les preuves disponibles".

Selon le ministère, les travaux de la commission ne limiteraient pas "la capacité des électeurs à voter pour leurs candidats lors des élections", alors que la loi prévoit "un recours devant un tribunal administratif dans le cadre d'une procédure à deux instances", mesure purement symbolique selon l'opposition et les juristes.

Ciblée contre la principale figure de l’opposition ?

L'opposition qualifie le texte de "lex Tusk" (loi Tusk) du nom du chef de la principale formation de l'opposition centriste Plateforme civique (PO), Donald Tusk, ancien Premier ministre polonais dans les années 2007-2014 puis président du Conseil européen, bête noire du pouvoir en place.

Selon elle, la loi est destinée à compromettre les adversaires du pouvoir en place et empêcher Donald Tusk de remporter le scrutin d'automne.

"C’est un jour noir dans l’histoire politique de la Pologne depuis 1989. Il aurait pu être évité si le président [Andrzej Duda] avait mis son veto au projet de loi", écrivait l’hebdomadaire libéral Polityka lundi.

Dans son communiqué, le département d'Etat a également appelé "le gouvernement polonais à garantir que cette loi n'empêche pas les électeurs de voter pour le candidat de leur choix et qu'elle ne soit pas invoquée ou utilisée de manière abusive de manière à affecter la légitimité perçue des élections".

La Commission européenne reproche depuis longtemps à la Pologne et au parti conservateur nationaliste au pouvoir, le parti Droit et Justice (PiS), de mener des réformes qui ébranlent l’indépendance de son système judiciaire.

Pour ces griefs, la Pologne est toujours condamnée à verser 500.000 euros d'astreinte journalière - qui s’élevait à l’origine à un million d’euros depuis sa condamnation par la Cour de justice de l'UE novembre 2021. Par ailleurs à la mi-mai, Bruxelles aurait été sur le point de débloquer les fonds du plan de relance européen qui devaient revenir à la Pologne, gelés en raison du refus du pays de réformer sa justice.

Article original publié sur BFMTV.com