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Techniques d'interpellation : pourquoi le pistolet à impulsion électrique n'est pas une solution miracle

Le pistolet à impulsion électrique, qui devrait se généraliser, n'est pas une solution miracle pour régler le problème des interpellations parfois violentes.
Le pistolet à impulsion électrique, qui devrait se généraliser, n'est pas une solution miracle pour régler le problème des interpellations parfois violentes.

Christophe Castaner pourrait doter tous les policiers de pistolets à impulsion électrique, après avoir annoncé la fin de la “prise par le cou”. Une solution qui ne sera pas miraculeuse, puisque le problème est bien plus profond que telle ou telle technique d’interpellation.

C’est une annonce qui a étonné les syndicats policiers. Le ministre de l’Intérieur, Christophe Castaner, a annoncé ce lundi 8 juin la fin d’une technique d’interpellation controversée : la prise par le cou.

Le locataire de la place Beauvau avait été sommé de s’exprimer sur les accusations de violence et de racisme à l’encontre des forces de l’ordre. Deux actualités ont rendu le sujet urgent. D’une part, la mort de George Floyd aux États-Unis, qui a relancé la question du racisme dans la police mais aussi des interpellations violentes jusque dans l’Hexagone. L’affaire américaine faisant écho à la mort d’Adama Traoré, survenue en 2016 après son arrestation.

Coïncidence, l’AFP a pris connaissance du rapport annuel de l’IGPN, ce lundi 8 juin. La police des polices s’est vu confier, l’an dernier, près de 870 enquêtes pour “violences volontaires”, soit une hausse de 41% par rapport à l’année précédente. La directrice de l’IPGN a rappelé que l’ouverture d’une enquête n’était pas toujours synonyme de faute. Il n’empêche, la situation est suffisamment tendue pour que le gouvernement se soit saisi du sujet.

Une méthode toute aussi dangereuse ?

C’est dans ce cadre que Christophe Castaner a annoncé que “la prise par le cou, dite de l’étranglement, sera[it] abandonnée” et qu’elle ne serait donc plus “enseignée dans les écoles de police et de gendarmerie”. “Si un policier ou un gendarme doit maintenir quelqu’un au sol lors de son interpellation, il sera désormais interdit de s’appuyer sur sa nuque ou son cou”, a encore précisé le ministre de l’Intérieur.

À la place, il devrait annoncer aux syndicats, en fin de semaine, la généralisation de l’utilisation du pistolet à impulsion électrique, selon les informations du Parisien. Son maniement n’étant pas enseigné en école de police, cette mesure devra s’accompagner de formation.

Pour Frédéric Lagache, délégué général du syndicat Alliance Police nationale, c’est effectivement l’une des seules alternatives à la prise par le cou face à un individu récalcitrant “dont le poids et la puissance sont supérieurs”. Avec la “bagarre de rue”. Si cette dernière méthode causerait évidemment bien des problèmes, l’utilisation du taser n’est pas si évidente à mettre en place. Elle implique déjà que chaque agent en soit équipé, nous précise Frédéric Lagache. Ce qui est pour l’instant loin d’être le cas.

Driss Aït Youssef, docteur en droit public spécialiste des questions de sécurité, nous rappelle que le pistolet à impulsion électrique n’est pas non plus un remède miracle. Il fait partie, avec le Lanceur de balle de défense (LBD), des “techniques d’interpellation en distanciel”, “toutes aussi dangereuses que les modalités d’interpellation physique que sont la prise par le cou et le plaquage ventral”, nous précise-t-il. Et, pour le pistolet à impulsion électrique comme pour les autres méthodes, “il faut que le policier qui l’utilise s’arrête dès que l’individu est menotté”, poursuit-il. Sans compter qu’il faut éviter le taser sur une personne cardiaque... ce qui ajoute une difficulté supplémentaire lors de l’interpellation.

La formation au coeur du problème

Difficile, quoi qu’il en soit, de trouver une solution miraculeuse, même en s’inspirant de l’étranger. “Certains pays parviennent à mettre en avant le dialogue”, décrit Driss Aït Youssef, “mais il n’y a pas de technique miracle, elles sont toujours inspirées des sports de combat et sont faites pour faire mal afin de permettre l’immobilisation. Dès qu’il y a une contrainte physique, il y a un risque”, poursuit-il.

Le problème ne relève pas de telle ou telle technique d’interpellation, il est bien plus profond. “C’est le reflet d’une société ultra-violente”, avance le spécialiste. Mais il ne faut pas négliger non plus les “problèmes d’encadrement et de formation” dans la police.

“Il y a eu une évolution des masses salariales, avec des recrutements importants”, constate Driss Aït Youssef, mais en parallèle, “une diminution des dépenses d’investissement et de fonctionnement”. Résultat, la formation des policiers s’est considérablement réduite ces dernières années. Or, une technique d’interpellation mal enseignée et pas suffisamment pratiquée peut mener à une mauvaise utilisation... et donc à des drames.

L’encadrement également en cause

Un avis partagé par Frédéric Lagache, pour qui le véritable fond du problème ne réside pas dans les techniques d’interpellation, mais dans le gros manque de remise à niveau tout au long de la carrière. “On les apprend à l’école, mais la formation en continue telle qu’on a pu la connaître par le passé n’existe quasiment plus dans les services”, précise-t-il. Surtout par manque de moyen. “On avait demandé à ce que ça fasse partie intégrante d’une mission de police, mais ça nous a été refusé”, poursuit le délégué général du syndicat Alliance. Pour lui, c’est sûr, “il faut que les policiers, dans leur vie professionnelle, continuent à être formés au-delà des stages prévus ici ou là où tout le monde ne peut pas aller”.

Christophe Castaner a, en partie, répondu à cette problématique en annonçant, que “la formation continue sera[it] aussi renforcée : policiers et gendarmes devront obligatoirement suivre une formation annuelle.”.

Driss Aït Youssef met également en avant un problème d’encadrement, dû à des “inconséquences politiques”. Les suppressions de postes dans la police et la gendarmerie sous le quinquennat de Nicolas Sarkozy ont été rattrapées, par François Hollande puis Emmanuel Macron, par des “redéploiement”. C’est-à-dire qu’il y a “de moins en moins de corps d’encadrement, mais plus de gardiens de la paix moins formés”, décrit le docteur en droit public spécialiste des questions de sécurité. Résultat, “on a des policiers très jeunes sur le terrain, avec un encadrement qui dysfonctionne”. Or, “quelqu’un d’expérimenté va savoir que dès que l’individu est menotté, on peut l’asseoir. Mais s’il n’y a pas de recul nécessaire, ça peut conduire à des drames”, décrit le spécialiste.

Difficile d’imaginer, dans ces conditions, que le problème se règle avec la seule utilisation du pistolet à impulsion électrique.

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