Publicité

Quel est le poids exact de la France dans la « déforestation importée » qui touche l’Amazonie ?

Chaque année, les feux de forêt en Amazonie brésilienne rappellent que la protection des forêts tropicales reste insuffisante pour endiguer les changements d’occupation des sols contribuant au changement climatique et à la réduction de la biodiversité.

Dans ce contexte, les importations de soja en Europe sont depuis longtemps pointées du doigt et l’Union européenne a récemment proposé un projet de règlement contre la « déforestation importée ».

Alors que la France a décidé d’en faire une priorité de sa présidence de l’UE, qui a démarré en janvier 2022, que savons-nous précisément du rôle de notre pays dans la déforestation en Amazonie ?

Qu’est-ce que la déforestation importée ?

Chaque année au Brésil, l’activité agricole – principalement l’élevage bovin extensif et la culture du soja – gagne du terrain sur les forêts d’Amazonie et sur les savanes de son biome voisin, le Cerrado.

Cette expansion est stimulée par la demande croissante de viande (bovine, porcine, de volaille) et de produits dérivés (œufs, produits laitiers) au niveau mondial. Le Brésil est le premier exportateur mondial de viande bovine et de soja, ce dernier étant principalement destiné à l’alimentation animale.

La déforestation importée en question correspond à la quantité de végétation naturelle (forêts ou savanes) détruite, directement ou indirectement, afin de produire dans le pays exportateur un bien demandé par le pays importateur.

Presque toutes les chaînes d’approvisionnement de matières premières ou de produits transformés provenant de pays tropicaux sont concernées (bois, huile de palme, cacao, etc.) mais, dans le cas de la France, le soja est celle dont l’« empreinte forêt » est la plus grande.

Près de 60 % du soja que nous importons provient en effet du Brésil. Par contraste, la part des importations de viande bovine provenant du Brésil est bien inférieure (1 %), mais la possibilité qu’elles augmentent considérablement dans le cadre de l’accord de libre-échange UE/Mercosur suscite de vives inquiétudes. La France reste, pour l’instant, opposée à sa signature.

Pointer les responsabilités : le défi de la traçabilité

Contrairement à ce que certains reportages (comme celui-ci présenté sur France 5) sur le terrain laissent penser, démontrer de manière précise le lien entre une quantité de soja ou de bœuf importée et la destruction de forêts est bien plus complexe que de pointer une poignée d’acteurs responsables de la déforestation en lien avec des entreprises françaises.

Il faut en effet considérer l’ensemble des flux d’importation en jeu.

Depuis 2015, le projet Trase s’attache à identifier les flux de soja et de bœuf exportés par chaque municipalité du Brésil et de faire le lien avec la présence éventuelle de déforestation. Cela permet d’estimer le risque que les produits importés en soient responsables. On parle bien ici de « risques », car dans les faits, la production peut aussi bien venir d’une ferme n’ayant pas pratiqué de déforestation depuis des décennies que d’une parcelle récemment défrichée…

Ainsi, tant que le traçage direct du bœuf ou des grains de soja depuis la parcelle où ils ont été produits ne sera pas possible au travers d’un système fiable et à l’abri des fraudes, il sera difficile de pointer les responsabilités avec certitude.

Le soja vecteur de déforestation ? Pas si simple…

Les mécanismes de la déforestation au Brésil sont complexes même si l’analyse des images satellites permet de localiser de mieux en mieux les parcelles défrichées et de préciser l’utilisation des terres qui est faite suite aux déboisements.

Dans le tableau ci-dessous, le soja n’est pas forcément un vecteur de déforestation directe, depuis que les agroindustriels ont signé un « moratoire sur le soja » qui vise à interdire la production sur des parcelles défrichées après 2008.

Valant pour l’Amazonie, cette règle laisse néanmoins le champ libre dans le Cerrado, où se réalise la plus grande partie de la production et où la pression sur les milieux naturels est la plus forte. On peut aussi souligner qu’un tiers de la production de soja du Brésil se réalise dans le Sud du pays, loin des fronts de déforestation. Par ailleurs, en Amazonie,les fermiers peuvent défricher de nouvelles terres pour d’autres cultures (coton, maïs) et réserver les terres anciennement déboisées pour le soja.

Mais si le soja brésilien n’est pas toujours associé à de la déforestation récente, au contraire, l’élevage bovin est (très) majoritairement responsable de la déforestation en Amazonie. Cependant, sa production approvisionne très peu le marché français.

Peut-on changer la donne en sanctionnant la déforestation importée ?

La Stratégie nationale de lutte contre la déforestation importée (SNDI), lancée par le gouvernement français en 2018, vise à éliminer la participation « complice » (intentionnelle ou non) des importations à la déforestation dès 2030.

Pour cela, le gouvernement a proposé toute une série de mesures visant à financer des projets de gestion durable des forêts, influencer les accords commerciaux européens pour y intégrer des exigences environnementales et, enfin, sensibiliser les acteurs privés.

Les importations de viande brésilienne en France étant faibles, le levier potentiel réside dans celles de soja. Toutefois, le poids décroissant de l’Europe dans les exportations de soja brésilien et le rôle limité de celui-ci dans la déforestation font que même un boycott éventuel n’aurait sans doute pas grand effet pour l’Amazonie : la France pèse à peine 2 % des exportations de soja du Brésil.

Ce type de solution pourrait même amener le Brésil jouer sur deux tableaux : du soja non durable produit en Amazonie pourrait aller soit vers la Chine (qui représente 60 % de ses exportations de soja), soit rester dans le pays, tandis qu’une production durable et certifiée « zéro déforestation » irait vers l’Europe (16,7 % des exportations).

Les Européens face à leurs contradictions

La solution de n’importer que du soja durable, traçable à 100 % et garanti sans déforestation (avec une certification de type RTRS ou Proterra) est souvent mise en avant.

Mais outre les questions de localisation évoquées ci-dessus, cette solution implique qu’il y ait des acheteurs prêts à payer plus cher que la production classique.

Or il existe déjà du soja certifié « sans déforestation », mais sa part dans les importations européennes n’était que de 25 % en 2019 (contre 19 % en 2018), reflétant une faible demande de la part des consommateurs européens.

Les situations diffèrent certes d’un pays à l’autre : la Norvège a importé 100 % de soja durable (mais à peine 244 000 tonnes au total) en 2019, la France 16 % (sur un total de 3,8 millions de tonnes) et l’Espagne 1 % (sur un total de 4,1 millions de tonnes).

Cet état de fait indique une chose : arrêter la déforestation a un prix et globalement les consommateurs européens ne semblent pas prêts à le payer tant la préférence pour les produits très bon marché est forte (on constate évidemment le même phénomène vis-à-vis du textile ou de l’électronique, produits dans des pays à bas coûts, avec des conséquences sociales et environnementales sévères, et pourtant achetés en masse en Europe).

Il serait toutefois injuste de n’attribuer la faute qu’au « consommateur » : l’étude des chaînes d’approvisionnement montre qu’il faut mobiliser un grand nombre d’acteurs – incluant fermiers, industriels, négociants, éleveurs et grande distribution – pour parvenir à un changement.

Lutter contre la déforestation importée est néanmoins important, car il en va de l’exemplarité écologique des pays européens.

Toutefois, plutôt qu’un contrôle de la déforestation à distance, la solution se trouve certainement beaucoup plus dans une politique que mettrait en place le Brésil lui-même, ce qu’il a fait avec succès entre 2004 et 2014. De nombreuses ONG ont dénoncé le relâchement actuel, le pays ayant connu en 2021, son plus haut taux de déforestation depuis quinze ans.

Une alternative à l’interdiction de déforestation importée serait donc de collaborer avec le gouvernement brésilien et leurs organisations professionnelles locales afin de définir un objectif commun de préservation et un partage des coûts liés au changement de modèle de production.

Vaste programme, autrement plus complexe à mettre en œuvre qu’un boycott !

La version originale de cet article a été publiée sur La Conversation, un site d'actualités à but non lucratif dédié au partage d'idées entre experts universitaires et grand public.

Lire la suite:

François-Michel Le Tourneau a reçu des financements de l’ANR.

Martin Delaroche a reçu des financements de l’Université d’Indiana–Bloomington et du Réseau français d’études brésiliennes (REFEB).