Planification écologique de Macron : les mesures essentielles pour que la transition soit réussie (et juste)
ENVIRONNEMENT - Un plan Marshall de l’écologie scruté à la loupe par les scientifiques. Emmanuel Macron présente, ce lundi 25 septembre, les grandes mesures de sa planification écologique, fruit d’une année de collaboration entre les différents ministères. L’objectif est de réduire de 55 % les émissions de gaz à effet à serre d’ici 2030 par rapport aux niveaux de 1990.
Plus de 10 milliards d’euros supplémentaires seront engagés dans la transition écologique, dont 7 qui seront dépensés en 2024, a annoncé en grande pompe le gouvernement la semaine dernière. Une grosse enveloppe qui servira à entamer la transformation des secteurs les plus émetteurs en gaz à de serre, dont l’industrie, l’énergie, l’agriculture, le bâtiment, et les transports.
Mais comment relever le défi d’une transition à la fois efficace et juste, tenant compte des conclusions du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec) comme du pouvoir d’achat des Français ? En présentant les grands axes de ce plan mardi 19 septembre, la Première ministre Élisabeth Borne a tenté de rassurer en expliquant que « protéger le pouvoir d’achat, cela passe par la sortie des énergies fossiles, la rénovation des logements, les relocalisations. Cela passe par la maîtrise des coûts de l’électricité (...) En un mot, cela passe par la planification écologique ».
Cibler les riches
Première évidence, pour les spécialistes : cibler les riches. Selon Xavier Arnauld De Sartre, chercheur au CNRS, le gouvernement a souvent misé à tort sur « le signal prix » pour inciter les Français à moins consommer ou à moins prendre leur voiture. « Augmenter les prix de l’énergie n’est en tout cas pas la solution, car cela affecte les plus pauvres, pas les riches. Et réduire la consommation des pauvres est peu utile, puisque ce sont ceux qui consomment le moins », regrette le géographe auprès du HuffPost.
Pour le maître de conférences à l’université de Pau, pour une transition énergétique juste, ce sont les « 7 % des Français les plus riches » qu’il faut cibler. « En les visant eux, on touche des personnes qui consomment beaucoup et qui font figure d’exemple pour les ménages. Les Français ne calent en effet pas leurs normes de confort par rapport aux ultra-riches, comme Bernard Arnault, mais sur les riches qu’ils côtoient », estime-t-il. Pour Xavier Arnauld De Sartre, il est techniquement envisageable de facturer « l’énergie, l’électricité ou le pétrole » dès lors que le seuil des besoins est dépassé.
« La crise de l’énergie cet hiver a montré que le bouclier tarifaire pour tous les Français n’était pas une mesure efficace. Selon leurs revenus, certains ménages n’ont pas la même capacité pour faire face à une crise. Il faut donc proposer des mesures d’accompagnement calculées en fonction de leur vulnérabilité », abonde Andreas Rüdinger, chercheur en transition énergétique à l’Institut du développement durable et des relations internationales (Iddri). Joint par Le HuffPost, il dénonce surtout le fait que le gouvernement mise tout sur « l’aide d’urgence » face à la hausse des prix, au lieu d’investir dans la transition pour faire face aux crises futures.
Moins de kilomètres parcourus en avion
Deuxième évidence, estiment les spécialistes : une transition écologique juste doit aussi s’attaquer à la question des transports. En novembre 2020, une étude de l’université de Linnaeus a révélé qu’en 2018, seulement 1 % de la population mondiale était responsable de la moitié des émissions de gaz à effet de serre liées à l’aviation. Tandis que 80 % de l’humanité n’avait jamais pris l’avion.
Le Giec indique qu’arrêter de prendre l’avion est l’une des mesures les plus efficaces pour réduire considérablement son empreinte carbone. Et pour cause : un aller-retour Paris-New York équivaut en termes d’émissions de gaz à effet de serre à la limite de ce que devrait émettre un Français à l’année, soit 2 tonnes de CO2 par an.
Pourtant, dans les premiers éléments présentés par Elisabeth Borne, le gouvernement ne semble pas miser sur l’avion pour réduire les émissions de gaz à effet de serre, jugeant difficile « les efforts » sur ce mode de transport, rapporte l’AFP.
Diviser par deux le nombre de voitures
« Il faut réduire le nombre de kilomètres parcourus par personne, ensuite remplacer le véhicule individuel par les transports en commun et l’avion par le train », plaide Xavier Arnauld De Sartre. Pour lui, les déplacements du quotidien sont par ailleurs un axe majeur sur lequel la planification écologique doit se pencher en priorité.
« Il faut miser sur des réseaux de bus dans les zones rurales », propose-t-il avant d’argumenter : « Actuellement, le bus, en dehors des métropoles, est considéré comme une alternative pour les jeunes, les vieux et les pauvres. C’est-à-dire ceux qui ne peuvent pas conduire et ceux qui n’ont pas suffisamment d’argent pour avoir une voiture. Dès lors que vous avez de l’argent, vous ne prenez plus le bus car l’offre actuelle est insuffisante et peu attractive ». Les investissements dans les pistes cyclables en ville sont aussi, selon lui, essentiels.
Alors que l’exécutif prévoit que 66 % des voitures neuves vendues en 2030 soient électriques, contre 15 % aujourd’hui, le chercheur du CNRS met en garde : « Il ne faut pas tout miser sur l’éléctrification du parc automobile. Il faut qu’une voiture sur deux disparaisse en 2050 ».
L’argumentaire de Xavier Arnauld De Sartre va dans le sens du rapport de 2021 du gestionnaire RTE (Réseau de transport d’électricité) qui concluait : « On ne pourra pas atteindre la neutralité carbone en 2050 sans une électrification de la mobilité, mais aussi et avant tout sans effort pour réduire le nombre de véhicules et de déplacements ».
Plus de sobriété et d’interdictions
Autre composante majeure : la « sobriété », qui est sur toutes les lèvres des scientifiques que nous avons interrogés. « Il existe quatre leviers pour réduire les émissions, qui sont la sobriété, l’efficacité, la substitution et la compensation. La sobriété est le plus efficace, elle permet une réduction de 40 % des émissions de gaz à effet de serre », explicite Xavier Arnauld De Sartre.
« Notre consommation d’électricité et de gaz a baissé de 12 % entre le 1er août 2022 et le 31 juillet dernier. C’est une des plus belles performances européennes », s’est félicitée début septembre Agnès Pannier-Runacher, la ministre de la Transition énergétique. Et pourtant, cet effort est encore largement insuffisant pour atteindre l’objectif de 2030, souligne le scientifique : « L’effort a déjà été douloureux pour certains ménages cet hiver, alors que les 10 premiers pour cent sont les plus faciles à atteindre. »
Dans cet effort de réduction de la consommation demandé aux Français, l’« incitation » seule ne suffira pas, juge Andreas Rüdinger, de l’Iddri. Il regrette le recul du gouvernement sur la fin des chaudières à gaz : après avoir un temps évoqué leur interdiction à l’horizon 2026, le gouvernement a finalement décidé de faire machine arrière.
Lever le tabou sur la viande
Autre débat tendu posé lors de l’élaboration de cette planification écologique, celui de la viande. Mais là encore, les premiers signaux ne sont pas bons. « Lors de son discours devant le Conseil national de la refondation, Élisabeth Borne a contourné sciemment le sujet. La Première ministre ne dit jamais qu’il faut réduire le cheptel, ni qu’il faut manger moins de viande », s’agace Andreas Rüdinger. « Elle explique que la transition dans l’agriculture se fera en jouant à la marge sur l’alimentation du bétail et sur quelques processus innovants pour réduire les émissions de gaz à effet de serre. »
Dans leur rapport de 2019, les scientifiques du Giec sont pourtant clairs : les régimes végétalien, végétarien et flexitarien sont ceux qui ont le moins d’effets négatifs sur le climat et sur la pression des terres.
« Réduire l’élevage, surtout de ruminants, mais aussi de porcs et de poules » doit faire partie des objectifs phares de la planification écologique, selon Michel Duru, directeur de recherche à l’Inrae. « Les bonnes pratiques agricoles (moins d’engrais, mieux nourrir les animaux...) permettent une réduction de 15 % des gaz à effet de serre, mais ce ne sera pas suffisant », poursuit-il. Le scientifique rappelle que les vaches représentent « 45 % des émissions de gaz à effet de serre de toute l’agriculture », et que la surface nécessaire pour produire de la viande est dix fois supérieure à celle nécessaire pour cultiver des protéines végétales (légumineuses, fruits à coques...).
Mais pourquoi les questions sur la consommation de viande, l’avion, ou encore la sobriété sont-elles aussi taboues en France ? Andreas Rüdinger voit « l’absence de mesures suffisamment fortes » dans la planification écologique par « la crainte de l’exécutif d’une montée des extrêmes ». « Élisabeth Borne justifie cette peur en donnant l’exemple de la montée du parti des agriculteurs proche de l’extrême droite aux Pays-Bas, ou de l’envolée du parti d’extrême droite allemand, l’AFD, après le débat sur les chaudières à gaz », rapporte le chercheur de l’Iddri. Le chercheur estime cependant qu’« une discussion est possible avec les citoyens sur des mesures fortes, comme nous l’a montré la Convention citoyenne pour le climat ».
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