Plagiaire, esthète et assassin: le portrait du copycat killer

Notre série d'été Copycat Killer - BFMTV
Notre série d'été Copycat Killer - BFMTV

La criminologie les appelle les copycat killers, expression communément abrégée en "copycat" et qui passe difficilement en français. Disons simplement que le copycat est un copieur. C'est d'ailleurs en ce sens qu'il apparaît initialement, à travers la littérature américaine de la seconde moitié du XIXe siècle. En 1887, l'écrivaine Constance Cary Harrison remarque dans son livre Bar Harbor Days: "Chez nous, les garçons disent qu'on est un copycat quand on écrit quelque chose qui a déjà été écrit".

Au siècle suivant, le terme prend une épaisseur différente et c'est celle-ci qui intéressera BFMTV.com tout au long de cette série d'été que nous vous proposons. Le copycat désigne le criminel cherchant à en imiter un autre. Comprenons-nous bien: le copycat tue explicitement à "la manière de". Le sanguinolent pastiche peut d'ailleurs porter sur la carrière d'un assassin de chair et d'os comme sur une fiction. La nature et les motivations de cette imitation dans l'homicide constituent, paradoxalement, un cas atypique dans le monde du crime et une énigme pour les spécialistes. Leurs réflexions permettent pourtant d'y voir plus clair.

Un comportement criminel forcément "appris"

Le copycat killer a une date de naissance. Médiatiquement, s'entend. En 1961, il s'invite pour la première fois dans la rubrique fait-divers. Le Daily Telegraph évoque d'abord un "meurtre de copycat" au moment de chroniquer l'assassinat de George Stobbs et de le comparer à un crime commis l'année précédente. Les affaires sont similaires et les deux victimes sont homosexuelles. Surtout, le 10 décembre, David Dressler, ancien chef de la division des conditionnelles de l'Etat de New York devenu sociologue, publie dans le New York Times un article titré Case of the copycat criminal (Le dossier du criminel copycat, en français). Il y inaugure la théorie sur le sujet. "La force de suggestion est le pilier des crimes épidémiques", écrit-il notamment.

Mais "suggestion" et imitation se retrouvent dans toutes les activités humaines, depuis les techniques jusqu'à la vie quotidienne. Pas de raison au fond que le crime fasse exception. Jacqueline B. Helfgott, directrice du centre de recherches sur la justice et le crime de l'Université de Seattle, aux Etats-Unis, le souligne d'ailleurs auprès de BFMTV.com: "En soi, tout comportement criminel est acquis, appris". L'experte en criminologie, dont le prochain ouvrage Copycat crime doit paraître en juillet 2022, nous livre cependant une première clé: "Imiter permet d’obtenir une validation de son propre comportement."

Sous presse

Pour valider, encore faut-il connaître. C'est ici qu'intervient la presse. Celle-ci en rapportant "l'épidémie de crimes", elle nourrit et inspire le copycat.

"Certains crimes épidémiques sont sans nul doute à mettre sur le compte de l'influence des médias de masse", appuie David Dressler dans son papier pour le New York Times. "Je suis sûr qu'aucun gosse ne lit un comic-book montrant le meurtre d'un policier avant de se précipiter pour en abattre un, à moins qu'il soit déjà perverti", concède-t-il pourtant... "Mais les délinquants déséquilibrés sont déjà pervertis et vulnérables".

"C’est ce que décrivait le criminologue Henry Rhodes dans Le Génie et le Crime, en 1936 : l’individu considéré comme normal, soumis aux règles de la société, est un 'rebelle hypocrite' qui admire en secret le criminel de génie et rêve de l’imiter. Quelquefois, il passe à l’acte, mais c’est rare", note encore Bruno Fuligni.

"Tu seras un homme, mon vice"

Les conditions de cette bascule sont posées. Reste maintenant à serrer d'un peu plus près le portrait du copycat pour en établir le profil. Tout en regrettant que les "données empiriques manquent" pour trancher définitivement la question, Jacqueline B. Helfgott nous y aide. "Les principaux traits du copycat est d’être un homme, de souffrir de troubles de la personnalité, voire d'en manquer, ce qui le rend vulnérable à une identification à une personnalité médiatique. La surconsommation des médias l'expose aussi fortement à la violence qui y est présentée", brosse-t-elle.

Les affaires que nous déroulerons dans le cadre de cette série ont toutes été commises par une main masculine. Si rien n'empêche une femme de s'égarer sur le chemin d'un mimétisme coupable, la loi des grands nombres est sans appel. "Les données qu’on a indiquent une association d'une forte consommation des médias avec une masculinisation, voire une hypermasculinité", ajoute ainsi la chercheuse.

De cette vulnérabilité aux représentations ou récits de la violence au caractère influençable du copycat, il n'y a qu'un pas. La jeunesse, âge des expériences et des apprentissages, est-elle alors un prérequis? Jacqueline B. Helfgott répond prudemment: "Les jeunes hommes se trouvent à l’intersection de plusieurs facteurs potentiellement criminogènes. Ils sont plus susceptibles d’être exposés à la violence médiatique, de regarder des œuvres violentes, de jouer à des jeux vidéos violents".

Les vastes domaines du copycat

Il ne s'agit pas, de toute façon, d'adopter une approche trop schématique. Le copycat est une figure complexe, diverse. Tout d'abord, une pluralité de scénarios criminels l'aimantent.

David Dressler rapporte le témoignage d'un pompier new-yorkais qui avait débusqué l'auteur de l'incendie qu'il venait d'éteindre, parmi la foule rassemblée autour de ses hommes à l'issue de l'intervention. Celui-ci lui avait confié qu'il avait allumé ce brasier 'parce que ça lui faisait quelque chose', et qu'il s'était décidé après 'avoir lu des articles au sujet des autres incendies'". D'autres copycats reprennent le modus operandi d'un viol. On a aussi pointé un "effet Werther" dans une vague de suicides apparemment provoquée en Allemagne par la découverte du roman de Goethe Les souffrances du jeune Werther dans la foulée de sa parution en 1774.

Des visages qui s'éclairent

Même en se restreignant au cadre homicide des copycats killers, les profils divergent. Et donc les motivations. "Dans le cas des copycats des fusillades de masse, c’est plutôt la culture de la célébrité, la recherche d’attention qui priment", affirme ainsi Jacqueline B. Helfgott, s'attaquant à un problème endémique aux Etats-Unis, où chaque boucherie semble en susciter une autre.

"La recherche de la gloire est plutôt la marque des 'érostratiques', c’est-à-dire des criminels qui, comme Érostrate qui incendia le temple de Diane à Éphèse, agissent dans le seul but de laisser une trace dans l’Histoire", resitue pour nous Bruno Fuligni. L'historien ouvre alors: "Pour cela, il faut soit imaginer un crime sans précédent, ce qui n’est pas donné à tout le monde, soit égaler ou surpasser un grand criminel dans l’horreur, dans une logique d’imitation ou de surenchère".

Même changeant, le visage tourmenté du copycat s'éclaire peu à peu. C'est généralement celui d'un homme, souffrant d'une personnalité lacunaire ou défaillante, s'abreuvant à des médias dont il subit l'influence de plein fouet et absorbe la violence sans parvenir à la contrebalancer. Embarqué dans sa fascination mauvaise, facilitée par un penchant à une identification sans grand recul, le copycat killer peut agir par quête d'une dérangeante gloriole ou s'enfermer dans une fuite en avant.

(Auto)portrait de l'assassin en artiste

Il convient ici de se débarrasser d'un dernier poncif. Non, le copycat, malgré sa consonance labelisée outre-Atlantique, n'est pas nécessairement Américain et ses avatars surgissent partout sur le globe. "Les ressorts du crime sont partout les mêmes, dans toute l’Humanité ; c’est leur étude qui est plus ancienne chez les Anglo-Saxons", explique l'auteur des Souvenirs de police, avant d'illustrer: "Dans De l’assassinat considéré comme un des beaux-arts, Thomas de Quincey imagine dès 1827 une confrérie d’esthètes misanthropes en quête de beaux crimes, prêts à les célébrer voire à les imiter".

En effet, le copycat n'est pas seulement un plagiaire. Il se pique d'être un esthète. Aussi, le copycat killer n'est pas uniquement susceptible de copier Jack l'éventreur, Ted Bundy, Ed Gein, Guy Georges ou un quelconque tueur en série à la carrière cruellement réelle, il peut préférer un exemple tiré d'un film ou d'un livre.

Depuis sa sortie en 1971, l'adaptation d'Orange mécanique par Stanley Kubrick est ainsi régulièrement accusée d'accompagner les débordements de délinquants. Le Travis Bickle, planté par Robert De Niro, de Taxi Driver a tellement impressionné le dénommé John Hinckley Jr. (par ailleurs obsédé par Jodie Foster, qui intégrait elle aussi la distribution du film de Martin Scorsese) que celui-ci a tenté d'assassiner Ronald Reagan en 1981. L'année précédente, Mark Chapman, déjà, avait abattu John Lennon sous l'impulsion d'une lecture très personnelle de L'Attrape-coeurs de J.D. Salinger.

Aux frontières du réel

C'est d'ailleurs une fiction qui a poussé Jacqueline B. Helfgott vers son sujet d'étude: "Je me suis d’abord intéressée aux copycats parce que l’un de mes films préférés est Tueurs nés d’Oliver Stone". L'œuvre, sortie en 1994, est en elle-même inspirée de la cavalcade meurtrière d'un couple en rupture de ban. Mais elle a de surcroît connu une vaste postérité criminelle. En France, l'analogie avec l'effroyable équipée de Florence Rey et Amaury Maupin, en octobre de la même année, a souvent été dressée.

Un peu comme si sous le coup d'une mauvaise réception de l'intrigue, la frontière entre l'imaginaire et la vie se brouillait. "Certains ont complètement perdu de vue la différence entre réalité et fiction mais ce n'est pas systématique. Enfin, il y a au moins un flou", porte l'universitaire de Seattle. Mais à penser une causalité si littérale de la violence d'une œuvre à un passage à l'acte, on risque soi-même de succomber à un faux-semblant. C'est en tout cas l'avis de notre interlocutrice:

"Si on prend les exemples du roman L’Attrape-cœurs ou de Taxi Driver, le sujet n’est pas la violence. Et d’ailleurs, ce n’est pas leur violence qui a attiré les copycats. Ce qui leur a parlé c’est le loner narrative (qu'on pourrait traduire par la "mystique du solitaire", NDLR), l’idée de sauver le personnage de Jodie Foster comme dans le film, ou de sauver tous les enfants dans le livre, bref l’idée d’incarner le sauveur masculin".

Dernier avertissement

Les dossiers que nous avons retenus dans le cadre de notre série reproduisent ces différents cas de figure. L'un a voulu emprunté le sillon d'un assassin dont la réputation et le mystère sont tels qu'il apparaît comme un personnage semi-mythique: Jack l'éventreur ; un autre a témoigné d'un goût plus moderne, en essayant de reprendre le parcours du célèbre Zodiac de Californie là où celui-ci l'avait abandonné ; un troisième a poussé le vice jusqu'à aller à Los Angeles sous le prétexte d'un reportage sur le crime local, logeant dans le même hôtel que le Night Stalker, Richard Ramirez ; enfin le Belge Thierry Jaradin a tenté de se glisser dans le costume grotesque du tueur de la saga Scream. À chaque épisode, nous retracerons l'original puis sa copie, démontrant les liens unissant le seconde au premier.

Bien sûr, ces copycats ont en commun d'avoir été identifiés, et l'affaire dont ils sont le centre résolue, sous scellés. De l'histoire ancienne, alors? Pas vraiment, à en croire l'ultime avertissement de Jacqueline B. Helfgott: "Le crime évolue très vite, car la violence n’a pas besoin de sous-titres. Et aujourd’hui, avec les réseaux sociaux, il y a une augmentation car tout le monde y a accès. Les crimes copycat sont exacerbés par la culture numérique".

Article original publié sur BFMTV.com