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Picasso mis à nu par Enki Bilal

Un choc : son front heurte le bronze de La Femme au vase, au bras démesuré. Allongé sur un lit de camp, l'artiste reprend ses esprits, se souvient d'une main invisible l'ayant saisi au col pour le propulser à l'intérieur du musée, déserté par les visiteurs du jour. La rumeur du dehors laisse place au silence du dedans. Attiré par l'odeur de la mine de plomb, l'artiste se lève et déambule sous le regard de La Femme qui pleure, qui l'avertit : "Attention au meurtre", avant de se répandre en larmes sur le sol.

Au détour d'un couloir, le maître apparaît, entièrement nu. Picasso effectue les dernières retouches au Meurtre, ce dessin en noir et blanc figurant l'assassinat de Marat dans sa baignoire, quand soudain une "face assez molle entourée de cheveux bouclés gras" apparaît : "C'est Goya… Il vient de temps en temps", indique Picasso à son hôte. Tous sont nus, bientôt rejoints par Dora Maar, nue elle aussi, immortalisant le geste créatif de son amant avec son appareil photo, tandis que Goya joue au vaniteux : "Je l'ai inspiré pour son grand truc, là, il n'y a pas de doute." Ce "grand truc, là", c'est Guernica, dont le fracas couvre bientôt les voix des spectres dénudés, remplacées par les cris, le hennissement des innocents massacrés par les bombardements de l'Allemagne nazie. La "violence historique du dehors" engendre la "violence hystérique du dedans" dont le musée devient le réceptacle et ses visiteurs-lecteurs les témoins.

Le sublime allié au grotesque, l'absurde à la solen...


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