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"Sur les photos du 17 octobre 1961, j’ai toujours cherché le visage de mon père”

HISTOIRE - “J’ai toujours cherché, sur les photos du 17 octobre 1961, le visage de mon père”, raconte Nadia Henni-Moulaï. La journaliste et autrice, vient de publier Un rêve, deux rives (éditions Slatkine et Cie), un récit autobiographique bâti autour de la figure de son père, ouvrier algérien immigré en France en 1948.

Les mots d’Emmanuel Macron, elle les attendait avec attention. À l’issue d’une cérémonie officielle pour les 60 ans du massacre des Algériens commis lors du 17 octobre 1961, le chef de l’État a reconnu des “crimes inexcusables pour la République”.

Pour Nadia Henni-Moulaï, cette date a une résonance particulière. Son père Ahmed, né en Kabylie en 1925, orphelin à l’âge de 9 ans, a immigré en France en 1948. S’il n’a jamais parlé de la guerre ou de son implication de son vivant, les connexions ont été faites par sa fille.

“C’était le bon voisin, père de famille”

“J’avais cette idée qu’il avait fait partie du FLN, raconte-t-elle. Mais je n’étais pas allée plus loin. Ce n’était peut-être pas le moment. Ça n’avait peut-être pas mûri.” Récemment, l’envie d’écrire sur son père et d’entamer des recherches sur son passé sont devenus évidents.

Car son père, à son arrivée en France -où il restera trente ans sans retourner en Algérie-, a eu plusieurs vies. Nadia est l’une des dernières d’une fratrie de douze enfants, issus du même père, avec ses compagnes successives -trois mariages et deux veuvages.

À ce stade de sa vie, il est alors plus âgé, c’est “le bon voisin, le bon père de famille”, respecté dans la cité HLM de la banlieue parisienne, où vit la famille recomposée. Mais sa fille perçoit ses failles, interprète sa violence et sa dureté, s’interroge sur les regrets qu’elle lit dans ses yeux. Malgré tous les non-dits.

“Il m’explique qu’il a dû éliminer quelqu’un”

Jusqu’à ce soir-là, où, adolescente, son père lui fait une confidence lourde à porter. “Un soir, il ouvre une boîte en bois, comme ça, je ne sais pas pourquoi, se souvient-elle. Il sort un revolver, il m’explique qu’il a dû éliminer quelqu’un. Et puis il repart comme ça, dans sa chambre, et moi je prends ça... Je mets ça dans un coin de ma tête et puis voilà.”

Ce souvenir, mêlé aux légendes de la famille et aux bribes de conversation des “grands” que Nadia intercepte, se muera en réelle curiosité de comprendre et percer les mystères de ce père hors du commun, mort en 2001. Près de vingt ans plus tard, elle décide de lui consacrer un livre et contacte les archives de la Préfecture de police de Paris.

Elle y découvre que son père a été condamné plusieurs fois, dont une fois en 1960 pour “atteinte à la sûreté de l’État”. Ses doutes sont confirmés. “Il a fait partie de ce qu’on appelle les “troupes de choc” du FLN, explique-t-elle, qui étaient l’organisation secrète du FLN chargée d’éliminer les personnes considérées comme des obstacles à l’indépendance de l’Algérie.”

“Voir mon père comme un objet historique”

Un passé que son père - même s’il a tout de même laissé des lettres et des photos, tels des indices, à ses enfants- n’aura jamais évoqué de son vivant. Pour Nadia Henni-Moulaï, l’écriture de ce livre a été “thérapeutique”. “Il m’a permis de voir mon père comme un objet historique, souligne-t-elle. Certes, nous n’avons pas connu la colonisation, mais nous avons dû faire face à ses conséquences indirectes.”

Pour ce qui est du 17 octobre 1961, elle a trouvé également des réponses. “Mon père n’était certainement pas à Paris, estime-t-elle. Jugé et condamné à 3 ans de prison en juillet 1961, il s’était évadé. Il a ensuite emprunté ensuite les réseaux d’évasion du FLN, qui passaient par la Suisse et qui remontaient jusqu’en Allemagne.”

Aujourd’hui, elle ne cherche plus son visage dans les images de cette nuit-là, celle du massacre de ceux que l’on appelait alors les “Français musulmans d’Algérie”. “La France a tout à y gagner à assumer, affirme-t-elle. C’est dur, ça fait mal. Mais on ne peut pas avancer de manière bancale, ou on est rattrapé par de vieux fantômes.”

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Cet article a été initialement publié sur Le HuffPost et a été actualisé.

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