25 ans de séries sur M6 : le bilan
Au moment même où M6 va célébrer ses 25 ans d'existence et qu'un magazine (Télé Câble Satellite Hebdo) fait sa couverture sur les grandes séries qu'elle a diffusées en France (en reprenant le slogan qu'elle a fait sienne depuis quelques années : « Expert en séries »), Nicolas de Tavernost, président du directoire de la chaîne, donne une interview au magazine Les Échos et répond aux journalistes en affirmant que « Nous devons nous affranchir davantage des séries américaines. (…) On a trois soirées de séries américaines, on devra en retirer une dans les prochaines années et mettre une fiction française ou du divertissement à la place. Ces séries américaines seront transférées de M6 à notre chaîne W9. »
Paradoxal ? Certainement. À y regarder de plus près, ce discours ressemble à celui de Rodolphe Belmer, responsable de Canal+, qui évoquait il y a un an le besoin pour une chaîne payante comme la sienne de se reposer sur des séries-événements conçues par la chaîne plutôt que sur des séries américaines. Les séries US sont déjà présentes sur toutes les chaînes. Canal+ ne pouvant en garder la totale exclusivité, cela banalise donc son antenne.
Mais là où le discours du patron de M6 est surprenant, c'est qu'à la différence de Canal+, le sillon de la fiction française n'a jamais été réellement labouré par la petite chaîne qui monte ! Le site web Le Village, spécialisé et très respecté dans le domaine des fictions européennes, n'y va d'ailleurs pas de main morte sur le sujet : « Le problème, c'est que M6 elle-même l'a oublié, et qu'elle l'a abandonné au bord de la route. ». Et de citer Police District, la série de Hugues Pagan portée par Olivier Marchal dans le rôle principal, ou Les Bleus, flinguée à raison de 5 épisodes par soirée. Sans oublier Kaamelott : l'ancienne shortcom à succès de la chaîne a terminé sa carrière avec ses derniers épisodes diffusés en rafale… Et Sullivan Le Postec, du Village, de renchérir : « Les Bleus et Kamelott, deux succès que la chaîne n'a absolument jamais compris, ce qui l'a empêché de les soutenir. Une série que les dirigeants de M6 arrivent à appréhender, c'est Scènes de ménages, qui réussit à être à la fois un décalque d'Un gars, une fille plus de dix ans plus tard, et le remake d'une série espagnole qu'on aura préalablement vidée de toute dramaturgie pour ne garder que le gag. C'est dire à quel point on plafonne au niveau zéro de la création à M6 ! »
La chose est entendue : « M6 » et « fiction originale » sont deux expressions, pour l'instant, assez opposées. On ne peut donc que recommander à la chaîne de rester sur un terrain qui a fait son bonheur : les séries américaines… et de ne pas les renier ! Après tout, c'est avec une série, et non des moindre, que M6 a ouvert son antenne le dimanche 1er mars 1987. Il s'agissait de Clair de lune ! Le dimanche après-midi a, non seulement, permis aux téléspectateurs français de découvrir une nouvelle chaîne (qui prenait ainsi la place de TV6), mais également de faire connaissance avec un certain Bruce Willis !
Si on regarde le palmarès de la chaîne en termes de séries américaine, il faut bien reconnaitre qu'elles ont été légion et qu'elles ont marqué l'antenne de façon importante. Les séries de catalogue, tout d'abord, qu'il s'agisse des classiques britanniques, du Prisonnier à Amicalement Vôtre, ou de récupérations de TF1, comme Starsky & Hutch, dont M6 diffusait la première saison alors que TF1 programmait les suivantes dans sa sacro-sainte case du dimanche. Et bien sûr La Petite maison dans la prairie, qu'elle s'est véritablement appropriée et diffuse encore à outrance.
Quand le moment arrive de prendre un peu plus de risque, M6 tente la sitcom, un genre alors rejeté en bloc par les chaînes françaises (« l'humour est intraduisible », disait-on) M6 impose alors le Cosby Show, Mariés, deux enfants, Une nounou d'enfer et Madame est servie face au 20 heures. Ensuite, c'est Code Quantum, qui mêle aventure, humour et science-fiction, qui commence d'abord timidement à la rentrée 1993 pour ensuite devenir un succès éclatant, que la chaîne pressera comme un citron. Un an plus tard, c'est le lancement d'abord extrêmement prudent, en plein été et en fin d'après-midi, de la série qui allait devenir le symbole de toute la chaîne : Aux frontières du réel (très vite rebaptisée de son titre d'origine : The X-Files). Après une rediffusion de la saison 2, c'est à partir de la saison 3 que la série de Chris Carter se voit directement propulsée en prime time, accompagnée d'une couverture médiatique et presse rarement vue à l'époque. Ironie du sort, quelques années plus tard, The X-Files allait finir sa trajectoire aussi pitoyablement que Kaamelott, son dernier épisode étant diffusé très tardivement et dans l'indifférence générale.
Murder One, Buffy contre les vampires, John Doe, Les 4400, Le Caméléon, Profiler, et plus récemment Prison Break, NCIS, Médium ou Bones, sont autant de titres qui marqueront la chaîne, faisant oublier des « casseroles » comme Cashmere Mafia, Central Park West, Poltergeist, LAX, Threshold : Premier contact, ou celles qui n'ont pas été assez mises en valeur, comme la référence The Practice ou, plus récemment, Glee, cédée en dernière minute à la filiale W9.
Depuis quelques années, dénicher de bonnes séries n'est plus autant une histoire de flair qu'une question d'accord préalable entre studio de production et chaîne de télévision, pour avoir un « premier regard » sur chaque nouveauté. Le savoir-faire vient donc du choix dans ces propositions, du pari qui va être tenté et de la programmation qui va être décidée.
En cela, je ne peux terminer ce panorama qu'en saluant la volonté de M6 d'imposer, coûte que coûte, des productions aussi intelligentes que The Good Wife ou Sons of Anarchy. Au téléspectateur ensuite d'avoir la bonne idée de les porter en triomphe.
Alain Carrazé, directeur de 8 Art City
Crédit photo : © 20th Century Fox