Peines planchers : comment fonctionnait ce dispositif supprimé en 2014 et que le RN veut réinstaurer
Mesure phare du président Nicolas Sarkozy, les peines planchers ont été mises en place en 2007, avant d'être abrogées en 2014 sous la présidence de François Hollande.
Le projet figure depuis des années dans le programme du Rassemblement national et d'une partie des Républicains. Lors de sa niche parlementaire le 31 octobre, le RN présentera plusieurs textes dont un pour rétablir les peines planchers, supprimées en 2014. Situé en deuxième position, le texte a donc de bonnes chances d'être examiné voire soumis au vote, si le débat autour de l'abrogation de la réforme des retraites ne s'éternise pas.
La proposition de loi RN propose d'instaurer pour les crimes et pour les délits "commis en état de récidive légale, relevant du trafic de drogue et commis contre une personne dépositaire de l’autorité publique ou assimilée, des seuils minimums d'emprisonnement, de réclusion ou de détention, fixés en fonction de la durée de la peine encourue". Un retour des peines planchers qui ne concernerait donc que certains délits.
Les peines planchers étaient un marqueur de la politique sécuritaire de Nicolas Sarkozy, qui les avait instaurées à son arrivée à l'Élysée en 2007. Ces peines s'appliquaient dès la première récidive, donc à partir de la deuxième condamnation, aux délits punis d'au moins trois ans d'emprisonnement. Les mineurs de plus de 13 ans étaient également concernés mais, jusqu'à leurs 16 ans, leur peine était réduite de moitié.
Des peines évolutives selon la gravité des faits
Les peines planchers étaient graduelles en fonction de la nature et de la gravité des faits : un an pour les délits punis de trois ans d'emprisonnement (vol, violences volontaires sans ITT...), deux ans pour les délits punis de cinq ans (recel, violences aggravées), trois ans pour les délits punis de sept ans ; quatre ans pour les délits punis de dix ans.
Pour les crimes commis en état de récidive légale, récidive proche ou similaire au premier méfait, la peine ne pouvait être inférieure à cinq ans si le crime était puni de 15 ans de prison, sept ans pour un crime puni de 20 ans ; 10 ans pour un crime puni de 30 ans ; 15 ans pour un crime puni de la réclusion ou de la détention à perpétuité.
Les magistrats ont largement dérogé au principe
Dès leur instauration, des magistrats s'insurgeaient contre le principe, qu'ils estimaient contraire au principe d'"individualisation de la peine", propre au droit français, selon lequel la sanction doit s'attacher à la personnalité du condamné", expliquait Marianne en février 2023.
Le juge avait toutefois la possibilité d’y déroger au motif des "circonstances de l'infraction", de la "personnalité de l'auteur" ou sur la base des "garanties d'insertion ou de réinsertion". Et dans 6 cas sur 10, ils y ont dérogé, peut-on lire dans un bulletin statistique de 2012 du le ministère de la Justice. Le document soulignait que sur les 64 592 condamnations en récidive légale prononcées en 2010, 26 335, soit 41%, étaient éligibles au prononcé d’une peine minimale". Mais "sur ce nombre, 10 122 peines minimales (ou "peines planchers") ont été prononcées, soit un taux de 38 %.
La crainte d'une saturation du système pénitentiaire
Parmi les arguments avancés pour expliquer cette faible application, le manque de places de prison, qui menaçait dès 2007 de faire "imploser" le système, expliquait Sarah Massoud, ancienne secrétaire générale du syndicat de la magistrature, à Franceinfo.
Des peines planchers qui sont abrogées avec la réforme pénale menée par Christiane Taubira en 2014. Mais à l'heure du bilan, peu d'engouement. Une étude de l'Institut des politiques publiques s'est intéressée à l'efficacité du dispositif, initialement prévu pour empêcher ceux qui avaient commis un premier délit d’en commettre un deuxième.
Un "effet dissuasif d'assez faible ampleur" selon une étude
Et le résultat n'est pas au rendez-vous. Seuls ceux qui avaient déjà commis deux délits, et qui ont été sévèrement punis pour le deuxième du fait de la nouvelle loi, ont vu leur probabilité d’en commettre un troisième baisser de l’ordre de 12%. Or, les "deuxièmes ou troisièmes récidives" ne représentaient environ que 1,75% des condamnations avant la réforme, ce qui explique "l’effet dissuasif d’assez faible ampleur" de cette loi, notent les auteurs de l'étude.
L'étude précise que les peines planchers se sont traduites par des peines en moyenne quasiment deux fois plus sévères pour les auteurs de délit en situation de récidive, entrainant une hausse importante de la population carcérale : 4 000 personnes supplémentaire, soit un cout annuel d'au moins 146 millions d'euros, selon les chiffres du ministère de la Justice et du Projet de loi de finances 2015.
L’effet limité de la mesure tient aussi au fait que ces peines ne s’appliquaient qu’en cas de délit similaire, comme un vol suivi d’un vol, et non en cas de délit différent. "Il y a eu un apprentissage de la réforme : les personnes concernées ont diminué leur probabilité de recommencer le même délit, pas d’en commettre un autre", a détaillé l'un des auteurs de l'étude auprès de l’Agence France-Presse.
Un texte qui pourrait faire imploser le gouvernement
Le texte du RN proposant un retour des peines planchers pourrait semer la zizanie au sein du gouvernement. En effet, alors que 10 des 39 membres du gouvernement sont issus des Républicains, dont le ministre de l'Intérieur Bruno Retailleau, le rétablissement des peines planchers figure dans le "pacte législatif" dévoilé en juillet par Laurent Wauquiez et Bruno Retailleau, avant la nomination de ce dernier à Beauvau.
En février 2023, la députée Horizons Naïma Moutchou déposait une proposition de loi, visant à la mise en place de "peines minimales" en cas de récidive, mais uniquement dans le cas de violences contre des agents des forces de l'ordre et des travailleurs d'utilité publique, un des cas pour lesquels le RN propose également le retour des peines planchers. Le texte n’avait pas été adopté malgré le soutien du RN et des Républicains. Les parlementaires macronistes et MoDem avaient voté contre, suscitant la colère des troupes d’Édouard Philippe. Voyant une de ses propositions reprises par le RN, Horizons la votera-t-il alors que les autres partis membres de la coalition présidentielle y sont opposés ?