Publicité

"Les Peanuts" ont 70 ans: pourquoi Snoopy est intemporel

La célèbre BD de Charles Schulz fête ce mois-ci son soixante-dixième anniversaire. L’occasion de raconter son histoire, pour mieux comprendre pourquoi Snoopy est éternel.

Apparu pour la première fois, le 2 octobre 1950, Snoopy est plus qu’un personnage de BD: une icône de la culture populaire. Au fil des 17.897 strips dessinés par Charles Schulz entre le 2 octobre 1950 et le 12 février 2000, ce faux cousin de Droopy a été le témoin et le réceptacle des angoisses de la société américaine.

"En lisant Snoopy & Les Peanuts, on apprend que le fameux rêve américain n’existe pas et que les Etats-Unis sont un pays dépressif. Snoopy, c’est la chronique de la dépression américaine", analyse Thomas Ragon, éditeur chez Dargaud de l’intégrale en vingt-six volumes de Snoopy & Les Peanuts. "Evidemment, c’est drôle, c’est tendre, on adore les personnages, mais il n’empêche qu’en le lisant les enfants très vite se rendent compte qu’il y a de la cruauté et de la méchanceté dans le monde."

La constante double lecture de Snoopy a assuré son succès sur la durée, complète l’éditeur: "Il y a une finesse d’écriture et de dessin absolument merveilleuse qui arrive à donner une ampleur à la fois tragique et drôle aux strips." Acclamée soixante-dix ans après la création de Snoopy, cette densité narrative dans des histoires aussi courtes n’a pas toujours été acceptée.

"Le maître incontesté du running gag"

A ses débuts, Snoopy a surpris par son caractère novateur et était même jugé trop intellectuel. Dans Snoopy, les enfants sont seuls. Schulz se refuse à dessiner les adultes et situe son action sur un territoire nouveau, que la fiction abordait alors peu au début des années 1950: la banlieue. Schulz suscite l’incompréhension de certains lecteurs, habitués à lire des comics bon enfant ou des récits d’aventures exotiques: "C’était une vraie rupture dans le comic strip américain. Ce n’était pas que du gag", souligne Thomas Ragon.

Snoopy est dès ses débuts entouré d’une foule de personnages, les Peanuts, qui donnent à l’œuvre son titre: "C’est son éditeur qui a trouvé le nom", précise Thomas Ragon. "Schulz ne l’a jamais aimé. 'Peanuts', ça veut surtout dire les riens du tout [en anglais]. C’est pas mal trouvé, même s'il y a un côté péjoratif quand même."

Au départ "enfantin et surjoué", le style graphique de Schulz devient plus "spontané, jeté, aérien, libre et vivant". Snoopy, c’est un style inimitable, indissociable de la personnalité de Schulz: "Tous les dessinateurs de BD le disent: il est quasiment impossible de dessiner Snoopy et les Peanuts. Il n’y a que Schulz qui peut dessiner Charlie Brown. On ne peut pas le copier. C’est assez unique. Dans le strip, il y a lui et Bill Watterson qui ont développé un style unique et incopiable."

Schulz dessine 17.897 strips en cinquante ans de carrière. Il parvient à se renouveler en instaurant un système narratif redoutablement efficace: "C’est le maître incontesté du running gag", explique Thomas Ragon. "On peut retrouver les mêmes sujets, traités de manière différente ou alors complètement identiques. Il y a ce célèbre gag de Charlie Brown qui s’élance pour taper dans un ballon et il n’y arrive pas parce que les filles le lui enlèvent au dernier moment. Ça dure cinquante ans. Pendant cinquante ans, il tombe par terre et tout le monde rigole. Ça dure cinquante ans et c’est pour cette raison que Snoopy, c’est génial."

Une légende, adulée par Barack Obama

Au fil des années, Schulz ajoute, avec parcimonie, de nouveaux personnages comme Lucy et son frère Linus, l’oiseau stupide et maladroit Woodstock ou encore Patty Pastille-de-menthe et Franklin, petit garçon noir qui fait son entrée dans la série en 1968, l’année de la mort de Martin Luther King.

Reflet de l'évolution du monde, Snoopy marche sur la Lune en mai 1969, deux mois avant Neil Armstrong et Buzz Aldrin, et devient dans la foulée l'emblème du programme spatial américain. La série arrive cependant souvent après les grandes évolutions de la société américaine. Schulz faisait bien attention de ne pas heurter les sensibilités de ses lecteurs:

"Ce n’est pas un éditorialiste, mais il parle des sujets importants avec l’air de ne pas y toucher", acquiesce Thomas Ragon. "Il commente l’évolution de la société, mais évite les débats à chaud. On voit notamment dans Snoopy que l’éducation change. Les enfants commencent à répondre à leur professeur. Schulz est rivé sur sa table à dessin, mais il sort et voit ce qui se passe et il en parle."

Depuis sa mort en 2000, Schulz est devenu une légende. Le court-métrage Joyeux Noël, Charlie Brown!, réalisé par Bill Meléndez et rythmé par l'inoubliable musique de Vince Guaraldi, est considéré comme un classique. Régulièrement programmé lors des fêtes de fin d'année aux Etats-Unis, ce film a aussi intégré en 2012 le prestigieux National Film Registry de la Bibliothèque du Congrès, qui conserve les œuvres du patrimoine américain qui ont une "importance culturelle, historique ou esthétique".

La légende de Snoopy se mesure aussi à la liste des prestigieux préfaciers des intégrales de ses strips. On compte parmi eux le journaliste Walter Cronkite, l’actrice Whoopi Goldberg, la sportive Billie Jean King ou encore le réalisateur John Waters. Barack Obama a signé la préface du dernier tome pendant son mandat de président des Etats-Unis. En France Joann Sfar, Lewis Trondheim ou encore Alexis Dormal, l’auteur de Pico Bogue comptent parmi les fans de Schulz.

La publication française de l’intégralité des strips, débutée en 2005, se terminera début 2022. "Il faut absolument saluer le travail exceptionnel de la traductrice, Fanny Soubiran", note Thomas Ragon. "Je suis fier qu’on ait pu mener à bien ce projet un peu fou. C’est le summum pour un éditeur." Les aventures de Snoopy ne s’arrêteront pas là: une série sera diffusée sur AppleTV+ à partir du 5 février 2021. Et il reste à publier, en français, les pages dominicales, en couleur, de Snoopy & Les Peanuts.

Article original publié sur BFMTV.com

Ce contenu peut également vous intéresser :