Patinage: Didier Gailhaguet, "le président" omnipotent qui a tenté de faire obstacle à la médaille d’or de Papadakis/Cizeron

Patinage: Didier Gailhaguet, "le président" omnipotent qui a tenté de faire obstacle à la médaille d’or de Papadakis/Cizeron

Manteau trois quart noir, costume foncé, mallette de travail dans la main gauche, téléphone à l’oreille droite, Didier Gailhaguet déambule dans les espaces réservés aux délégations et aux accrédités pendant la finale du Grand Prix de Turin, en novembre 2022. Comme si de rien n’était. Comme si, pour lui, rien n’avait changé dans le patinage. La scène a de quoi surprendre car l'homme n’apparaît plus dans aucun organe de la Fédération française des sports de glace depuis qu’il a été poussé à la démission en février 2020, par l’ancienne ministre des Sports Roxana Maracineanu, après des scandales sexuels dans le patinage.

Comme un symbole fort des dysfonctionnements qui ont semblé se multiplier depuis le début de la mandature de Gwenaëlle Noury. D’après les nombreux témoignages recueillis par RMC Sport, Didier Gailhaguet a fait son grand retour dans l’ombre des arcanes fédérales et cristallise les tensions qui ont provoqué les derniers remous de la Fédération. Le dirigeant historique est redevenu "le patron du patinage du français, à décider de tout, il valide tout avec la présidente. Pour lui la fédération lui appartient, c’est maladif", nous relate un cadre fédéral. Enquête sur un come-back et ses dérives exacerbées jusqu’aux Jeux olympiques 2022.

Un président de l’ombre omnipotent qui ment sur sa date de naissance

D’après plusieurs sources fédérales, malgré tous les efforts de la présidente Nathalie Péchalat et ses équipes, des piqûres de rappel émergeaient. Il y a par exemple ces lettres anonymes reçues par des salariés de la Fédération: plus ou moins longues, le plus souvent assez agressives, critiquant la politique fédérale du moment ou les actions des destinataires du courrier, remplies de leçon de morale envers les personnalités de la discipline... sauf Didier Gailhaguet. Comme par exemple ce texte de trois pages et demi envoyé à Nathalie Péchalat, dont voici un extrait: "Tu le sais, il faut de l’expérience et une poigne pour faire fonctionner une telle fédération… Hélas! Tu n’en as pas 'l’envergure ou la carrure', ne t’en déplaise…"

Et puis, après avoir sillonné la France avec sa voiture, fait campagne dans les clubs et les Ligues, tenté de recruter et constitué une nouvelle équipe réunie autour de la présidente Gwenaëlle Noury, en disant à ses interlocuteurs "on va l’emporter", Didier Gailhaguet participe même à la rédaction de la profession de foi de l’actuelle présidente. Le document, révélé par Le Parisien et dont RMC Sport s’est procuré une copie, provenant directement de son propre ordinateur.

Sans mandat électif au sein de la Fédération, il est pourtant omniprésent depuis l’été 2022, bénéficiant très souvent d’accréditations sur les événements sportifs internationaux comme lors de la finale du Grand Prix à Turin début décembre 2022 (accréditation de Team Member dont RMC Sport s’est aussi procuré une copie). Alors même que la Fédération française bénéficie d’un quota limité de personnes accréditées sur ces événements et que cette fonction de représentation doit relever, en principe, du champ de compétence de l’actuelle présidente qui valide les accréditations…

Son influence est également prégnante sur les sujets du quotidien de la Fédération. éSur les sujets difficiles la présidente prend son téléphone pour le sonder. Dès qu’il y a un problème à régler, c’est lui qui appelle les entraineurs, les cadres techniques, les salariésé, nous confie un cadre fédéral. Contacté, Didier Gailhaguet n’a pas répondu à nos sollicitations.

Autre anecdote qui démontre l’obsession de come-back de Gailhaguet et aussi que le temps n’a pas d’emprise sur lui: sa licence. Sur ce document fédéral, sa date de naissance est le 22 août 1953. Or son état civil affiche une autre date, le 22 août 1952. Il a donc menti sur sa date de naissance pour une raison simple: être encore autorisé à occuper un mandat au sein de la Fédération internationale, la limite étant fixée à 70 ans.

Pressions sur des juges pour empêcher l’or du duo Papadakis/Cizeron

Mais le paroxysme de son omnipotence intervient lors des Jeux olympiques d’hiver 2022 à Pékin. Sur cette compétition, le couple français, composé de Gabriella Papadakis et Guillaume Cizeron, fait partie des favoris au titre en danse sur glace. Absent des Jeux, Didier Gailhaguet prend alors son téléphone et tente de faire pression sur plusieurs juges de manière indirecte, dont l’Italie ou la France d’après nos informations. Or le règlement de la Fédération internationale interdit tout contact direct pendant les compétitions.

Ces juges, fidèles a une déontologie extrême et très contrôlés dans l’exercice de leur travail, n’ont d’ailleurs pas démenti ces pressions. Le discours était simple: "Attention, si vous êtes les seuls à placer les Français à la première place, vous serez accusés de favoritisme!", nous relate un cadre de la Fédération. L’objectif: que les juges visés ne donnent pas une note qui offrira in fine le titre olympique au couple français. Des manœuvres vaines puisque Gabriella Papadakis et Guillaume Cizeron seront sacrés champions olympiques.

Didier Gailhaguet n’en était d’ailleurs pas à sa première tentative. Au cœur du scandale de Salt Lake City en 2002: "Il a perdu le fil, il l’a perdu... Le système a évolué. Cela existait de son temps, au moment de Salt Lake City. Maintenant cela ne marche plus comme ça. C’est limite risible", déplore une source habituée des compétitions internationales de patinage. Un cadre fédéral ajoute que "Didier Gaillaguet ne supportait pas qu’une médaille d’or française puisse être décrochée en dehors de son règne, alors qu’ils avaient eu l’argent lors de sa présidence. Il voulait à tout prix être le président de l’or olympique".

"S’il tient tout le monde à la Fédération et notamment les clubs qui lui permettraient d’éjecter quand bon lui semble la présidente", les voix opposantes s’élèvent de plus en plus dans le monde du patinage. En témoigne le vote défavorable de certains membres du bureau exécutif quant à son déplacement lors des Mondiaux au Japon. D'après nos informations, il se pourrait que le rapport de l’Inspection générale de l’éducation, du sport et de la recherche sur la gouvernance de la Fédération française des Sports de glace ait fait bouger les choses. Plusieurs élus ont d’ailleurs été démis de leurs fonctions il y a quelques jours. Des manoeuvres qui visent à mettre fin définitivement à l’ère Gailhaguet…

Article original publié sur RMC Sport