Pas de répit en Syrie, rupture russo-américaine quasi consommée

Après des frappes aériennes à Idlib, en Syrie. La Russie, qui soutient militairement le régime de Bachar al Assad depuis un an, a annoncé jeudi qu'il n'y aurait pas de répit dans sa participation à l'offensive d'Alep, dénoncée par les Etats-Unis et l'Union européenne. /Photo prise le 29 septembre 2016/REUTERS/Ammar Abdullah

par Tom Perry et Dmitry Solovyov BEYROUTH/MOSCOU (Reuters) - La Russie, qui soutient militairement le régime de Bachar al Assad depuis un an, a annoncé jeudi qu'il n'y aurait pas de répit dans sa participation à l'offensive d'Alep, dénoncée par les Etats-Unis et l'Union européenne. L'assaut contre la principale ville du nord de la Syrie, dernier grand centre urbain tenu par les rebelles, a débuté la semaine dernière, après l'échec du cessez-le-feu qui découlait de l'accord conclu le 9 septembre par les Etats-Unis et la Russie. Pour Washington, Moscou, en s'alliant aux forces pro-Assad dans leur entreprise de reconquête d'Alep-Est, a torpillé la recherche d'une solution diplomatique à la guerre civile syrienne. Entérinant l'échec de la laborieuse coopération avec la partie russe, le secrétaire d'Etat américain, John Kerry, a déclaré jeudi que les Etats-Unis étaient sur le point de suspendre toute discussion avec la Russie sur la Syrie. "Nous sommes en passe de suspendre les discussions, car il est absurde, tandis qu'ont lieu de tels bombardements, de continuer à négocier pour aborder les choses sérieusement", a-t-il dit à Washington. "Nous en sommes arrivés à un moment où nous allons devoir chercher d'autres voies." MOSCOU S'INDIGNE DES DÉCLARATIONS DU DÉPARTEMENT D'ETAT De son côté, la France, qui insiste depuis des jours pour sortir du face-à-face russo-américain et prône une approche plus collective, a réaffirmé la nécessité d'"obtenir le plus vite possible une résolution au Conseil de Sécurité pour arrêter le massacre d'Alep". Ainsi qu'il l'avait déjà dit la semaine dernière lors de l'Assemblée générale annuelle des Nations unies à New York, Jean-Marc Ayrault, qui rencontrait à Londres son homologue britannique Boris Johnson, a expliqué qu'il faudrait ensuite "un mécanisme de surveillance collective" d'une nouvelle trêve éventuelle puis "créer les conditions pour repartir sur de nouvelles bases qui sont celles de la négociation de paix". Mais, face à l'assaut brutal contre Alep et aux atermoiements de ses alliés occidentaux, la Coalition nationale syrienne (CNS) estime que la solution politique au conflit syrien ne peut plus être considérée comme une option viable. L'administration Obama avait déjà haussé le ton contre Moscou et estimé mercredi par la voix du porte-parole du département d'Etat, John Kirby, que la Russie avait intérêt à interrompre le cycle de la violence en Syrie car les extrémistes pourraient profiter de la situation pour lancer des attaques "contre les intérêts russes et peut-être même contre des villes russes". Cité jeudi matin par les agences de presse russes, Sergueï Riabkov, vice-ministre russe des Affaires étrangères, s'est dit indigné par des déclarations qui, a-t-il dit, s'apparentent à un soutien au terrorisme. "Ces appels à peine voilés à utiliser le terrorisme comme une arme contre la Russie montrent les bassesses politiques de l'actuelle administration américaine dans son approche du Proche-Orient, en particulier en Syrie", a-t-il dénoncé. WASHINGTON PRIS AU DÉPOURVU Le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov, a annoncé pour sa part que la Russie "continuerait la mission de son armée de l'air en soutien à la lutte antiterroriste que mènent les forces armées syriennes". Vendredi, cela fera très exactement un an que l'aviation russe a mené ses premiers raids en Syrie conformément à l'ordre donné par Vladimir Poutine. Peskov a ajouté que la responsabilité de la reprise des combats incombait aux Etats-Unis qui, a-t-il dit, n'ont pas su respecter leur engagement à distinguer les rebelles modérés des groupes djihadistes. Dans le cadre de l'accord russo-américain du 9 septembre qui a ouvert la voie au cessez-le-feu, aujourd'hui enterré, les rebelles nationalistes devaient s'éloigner des djihadistes. Les Etats-Unis se seraient alors alliés à la Russie pour bombarder des positions de l'ex-Front al Nosra et de l'Etat islamique (EI). A Washington, l'administration et l'armée tentent de définir des réponses plus dures face à l'offensive en cours à Alep, y compris des options militaires. Mais le président Barack Obama, qui aura quitté la Maison blanche dans quatre mois, a lui même déclaré qu'hormis l'envoi massif de troupes au sol, une option qu'il refuse, il n'avait pas encore entendu d'idées convaincantes. Deux responsables américains ont confié jeudi que la vitesse avec laquelle la piste diplomatique s'était effondrée et celle avec laquelle l'offensive a été lancée à Alep ont pris l'administration Obama au dépourvu. Sur le terrain, les rebelles, dépassés par la puissance de feu de l'aviation russe, s'estiment lâchés par leurs alliés étrangers et se disent contraints de travailler plus étroitement avec les djihadistes, soit l'exacte inverse de ce que la diplomatie américaine a tenté d'obtenir. En une semaine, les bombardements ont fait des centaines de morts dans les quartiers d'Alep sous contrôle de la rébellion. Coupés du monde extérieur, ses habitants, dont le nombre est estimé à 250.000, survivent dans des conditions extrêmes. Les quelque 30 médecins encore sur place sont débordés et les deux principaux hôpitaux du secteur, cibles de bombardements mercredi, ne fonctionnent plus. (avec Lisa Barrington à Beyrouth, Arshad Mohammad à Washington, Helen Reyd et Estelle Shirbon à Londres, Suleiman al Khalidi à Amman et Robin Emmot à Bruxelles; Nicolas Delame, Pierre Sérisier, Eric Faye et Henri-Pierre André pour le service français)