Pas de force frontalière américaine en Syrie, affirme Tillerson

Les Etats-Unis n'ont fixé aucun terme à leur présence militaire en Syrie, a prévenu mercredi le secrétaire d'Etat Rex Tillerson (photo) qui y voit une solution pour poursuivre la lutte contre le groupe Etat islamique et comme un moyen de pression contre le régime de Damas. /Photo prise le 16 janvier 2018/REUTERS/Ben Nelms

PALO ALTO, Californie (Reuters) - Les Etats-Unis n'ont fixé aucun terme à leur présence militaire en Syrie, a prévenu mercredi le secrétaire d'Etat Rex Tillerson qui y voit une solution pour poursuivre la lutte contre le groupe Etat islamique et comme un moyen de pression contre le régime de Damas.

Dans un discours prononcé à l'université de Stanford, Rex Tillerson a clairement dit que Washington oeuvrerait au départ de Bachar al Assad tout en appelant à la patience, reconnaissant à demi-mot que la position de Damas s'est récemment renforcée.

Plus tard dans la journée, il a démenti que Washington avait l'intention de travailler à la formation d'une nouvelle force de gardes-frontières dans la région du nord de la Syrie, ajoutant que l'annonce faite dimanche à ce sujet, qui a provoqué la colère de la Turquie, avait été "mal relayée".

La coalition sous commandement américain a fait état il y quelques jours de son projet de mettre sur pied cette force de 30.000 hommes, dont le noyau dur serait formé d'anciens combattants des Forces démocratiques syriennes (FDS), l'alliance majoritairement kurde qui a repris la ville de Rakka au groupe djihadiste Etat islamique (EI) avec le soutien des pays occidentaux.

Ankara n'hésitera pas à intervenir en Syrie, dans la poche d'Afrin et ailleurs le long de sa frontière, à moins que les Etats-Unis cessent de soutenir les milices kurdes qui opèrent dans la région, avait prévenu mercredi le gouvernement turc.

A Ankara, la mise au point de Tillerson a été qualifiée de "déclaration importante" par le ministre turc de la Justice Abdulhamit Gul.

"Cette déclaration est importante, mais la Turquie ne peut pas rester silencieuse face à toute formation qui menacera ses frontières", a-t-il dit sur la chaîne de télévision NTV.

A bord de l'avion gouvernemental américain le ramenant de Californie, Rex Tillerson a dit à des journalistes qu'il s'était entretenu mardi avec son homologue turc à Vancouver pour clarifier les choses.

"Tout ce dossier a été mal relayé, mal décrit. Certaines personnes se sont trompées. Nous ne sommes pas du tout en train de constituer une force de gardes-frontières. Il est malheureux que les commentaires faits par certains aient laissé cette impression. Ce n'est pas ce que nous faisons", a-t-il dit.

Lors de son discours prononcé à Stanford, il avait auparavant salué le rôle de la Turquie dans la lutte contre l'Etat islamique, tâchant ainsi d'apaiser les tensions entre Washington et Ankara liées au soutien que les Etats-Unis accordent aux Forces démocratiques syriennes.

L'OPPOSITION SYRIENNE RÉCLAME PLUS DE DÉTAILS

La présence militaire des Etats-Unis en Syrie s'inscrit dans le cadre d'une nouvelle stratégie américaine dont les contours sont longtemps restés flous. Selon Rex Tillerson, un retrait des forces américaines, actuellement évaluées à 2.000, offrirait à l'Iran, allié de la Syrie, le champ libre pour y étendre sa présence et son influence.

Même si cette stratégie sera surtout centrée sur des efforts diplomatiques, Rex Tillerson a souligné son volet militaire.

"Que je sois bien clair: les Etats-Unis maintiendront une présence militaire en Syrie dont le principal objectif sera de faire en sorte que l'EIIL (Etat islamique en Irak et au Levant, ancien acronyme désignant l'EI) ne puisse renaître de ses cendres", a-t-il dit.

Cette stratégie n'est toutefois pas sans risques pour les Etats-Unis dont les soldats pourraient se retrouver exposés aux brusques changements d'allégeances fréquemment observés en Syrie depuis près de sept ans.

Rex Tillerson a appelé les partenaires des Etats-Unis à maintenir la pression sur le régime de Damas tout en apportant leur aide aux régions libérées de l'emprise de l'EI.

"Selon nous, la volonté de renouer avec une vie normale et la pression permettront de réunir le peuple syrien et ceux qui appartiennent au régime afin de convaincre Assad de se mettre de côté", a-t-il dit.

Washington va conduire des "initiatives de stabilisation" (nettoyage de champs de mine, restauration de services de base dans les régions libérées, par exemple), a-t-il ajouté avant d'inviter le président russe Vladimir Poutine à intensifier la pression sur le gouvernement syrien.

Selon Rex Tillerson, des élections libres, auxquelles pourra participer la diaspora syrienne, "se traduiront par un départ définitif d'Assad et de sa famille du pouvoir. Ce processus prendra du temps et nous appelons à la patience (...)".

"Ce changement responsable n'interviendra pas aussi vite que certains l'espèrent mais plutôt via un processus progressif de réformes constitutionnelles et d'élections organisées sous la supervision des Nations unies. Mais le changement interviendra."

Hadi al-Bahra, membre de l'opposition syrienne, a salué ses déclarations tout en exigeant davantage de détails.

"C'est la première fois que Washington a clairement dit avoir des intérêts américains en Syrie qu'il faut défendre", a-t-il dit à Reuters.

Il faut maintenant plus de clarté sur la manière dont les Etats-Unis vont mettre en oeuvre le processus politique devant mener au départ de Bachar al Assad, a-t-il poursuivi.

A Damas, le ministère syrien des Affaires étrangères a estimé pour sa part que la présence militaire américaine en Syrie était "illégitime" et constituait une "agression" contre la souveraineté nationale.

(David Brunnstrom et David Alexander avec Gulsen Solaker à Ankara et Dahlia Nehme à Beyrouth; Nicolas Delame, Benoît Van Overstraeten et Henri-Pierre André pour le service français)