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Partir ou rester à Calais? Les migrants partagés

Les migrants de Calais sont partagés entre l’envie tenace de rejoindre la Grande-Bretagne et la tentation d’accepter les procédures d’éloignement proposées par la France avec un accompagnement social et un départ de l'épouvantable "jungle". /Photo prise le 14 octobre 2015/REUTERS/Philippe Wojazer

par Pierre Savary CALAIS (Reuters) - Les migrants de Calais sont partagés entre l’envie tenace de rejoindre la Grande-Bretagne et la tentation d’accepter les procédures d’éloignement proposées par la France avec un accompagnement social et un départ de l'épouvantable "jungle". "Je suis venu ici pour aller ensuite à Londres, on m’a dit au départ que c’était le meilleur endroit, je sais que des Syriens y travaillent, ont refait leur vie", dit Nadim, 30 ans, qui se dit Syrien et venir d’Alep, ville martyre. "Mais je ne savais pas que c’était si difficile de passer. Là, franchement, ce n’est pas possible de rester ici dans ces conditions", ajoute ce candidat à l'asile arrivé dans le bidonville de "la lande" à la sortie de la ville. Réfugié sous une bâche que l’on devine incapable de résister à de fortes pluies, Nadim se dit attristé par les attentats de Paris, "des meurtres d’innocents qui vivaient en paix causés par des faux musulmans qui se servent de l’islam". "En plus, les gens nous regardent encore plus mal, comme si nous étions responsables, mais les gens qui sont ici n’ont rien à voir avec cela. Nous fuyons justement cela. Il y a tous les jours des morts aussi nombreux en Syrie, vous comprenez ce que l’on vit ?" insiste-t-il. Plusieurs centaines de migrants ont d'ailleurs participé vendredi dans le bidonville à une minute de silence en hommage aux victimes du 13 novembre. Il est difficile de savoir avec précision combien de migrants sont réunis dans "la lande". La préfecture du Pas-de-Calais évoque une baisse de 6.000 à 4.500 de leur nombre en raison de la politique d’éloignement de migrants volontaires pour aller dans d’autres centres en "dur", et bénéficier d’un accompagnement social. FRONTIÈRE DE PLUS EN PLUS ÉTANCHE Plus d’un millier de migrants qui étaient présents à Calais ont accepté cette mesure. Depuis plusieurs semaines, les travailleurs sociaux sillonnent le camp en proposant l’éloignement et de meilleures conditions de vie ailleurs. Chaque opération a concerné plusieurs centaines de migrants à chaque fois et s'est déroulée dans le calme. "Mais c’est très difficile de savoir combien ils sont. Et ils continuent à arriver régulièrement, il y en a de nouveaux tous les jours", explique Christian Salomé, membre de l’association "l’auberge des migrants". Natacha Bouchart, la sénatrice-maire de Calais, se félicite des opérations menées ces dernières semaines. "C'est une grande partie de la solution", dit-elle. "Je souhaite que ce dispositif puisse perdurer et que les partenaires associatifs accompagnent cette politique. Les humanitaires qui suggèrent de rester à Calais pour tenter de passer au Royaume-Uni n’ont rien à faire ici." La maire de Calais pense que les incidents de ces dernières semaines entre migrants et forces de l’ordre, les premiers bloquant la circulation pour tenter de monter à bord de camions en transit vers la Grande-Bretagne, s’expliquent par l’étanchéité de plus en plus forte de la frontière. "Quand ils ne peuvent plus passer, ils sont plus agressifs et s’en prennent aux forces de l’ordre", dit-elle en référence aux grilles qui sécurisent les accès au tunnel sous la Manche et au port de Calais ainsi qu'aux renforts de police. Christian Salomé reconnaît que l'éloignement peut constituer une partie de la solution, mais met en garde contre un optimisme démesuré sur la portée de cette politique. "C’est vrai, d’autres migrants disent qu’il peuvent être intéressés par l’éloignement", explique-t-il. "Oui, il va y avoir encore des volontaires, et cela peut faire retomber la pression, mais pour ceux qui ont déjà de la famille en Angleterre, leur dire de renoncer est inutile, ils vont continuer à essayer de passer." La maire de Calais demande des dispositions législatives avec un dispositif de prise d'empreintes obligatoire pour ceux qui ne relèvent pas du droit d’asile. Nadim ne se sent pas concerné et la balance penche malgré tout pour lui en faveur d'une traversée de la Manche. "Bientôt, je ne serai plus là, je serai à Londres", lâche-t-il dans un sourire forcé, comme pour se convaincre d’un avenir meilleur. (Edité par Yves Clarisse)