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Participer à une manifestation non déclarée est-il un délit, comme l'affirme Gérald Darmanin ?

Le ministre de l'Intérieur Gérald Darmanin à la sortie du Conseil des ministres à l'Elysée, le 8 février 2023 à Paris - Geoffroy VAN DER HASSELT © 2019 AFP
Le ministre de l'Intérieur Gérald Darmanin à la sortie du Conseil des ministres à l'Elysée, le 8 février 2023 à Paris - Geoffroy VAN DER HASSELT © 2019 AFP

Gérald Darmanin a affirmé mardi que la participation à une manifestation non déclarée était un délit, qui "mérite une interpellation". Une telle infraction n'existe toutefois pas, comme l'a rappelé en 2022 la Cour de cassation.

Depuis plusieurs jours, la contestation de la réforme des retraites se poursuit sous une nouvelle forme: des mouvements spontanés réunissent des centaines, voire des milliers de gens dans plusieurs villes de France. De nombreux syndicats, associations et personnalités publiques dénoncent des interpellations non justifiées en marge de ces rassemblements.

Ainsi à Paris, selon le dernier bilan consolidé du parquet, 425 personnes ont été placées en garde à vue lors des trois premières soirées de manifestations spontanées, de jeudi à samedi. Seules 52 d'entre elles ont fait l'objet de poursuites au final.

Mardi, le ministre de l'Intérieur, Gérald Darmanin, défendait l'action des forces de l'ordre au micro de BFMTV: "tant que ces manifestations ne sont pas déclarées, le préfet de police ne laissera pas faire le désordre"

"Il faut savoir qu'être dans une manifestation non déclarée est un délit, [qui] mérite une interpellation", disait-il aussi.

Un délit qui n'existe pas

Un tel délit n'existe toutefois pas. "Ce qui peut être répréhensible, c'est, pour un organisateur, de ne pas avoir déclaré la manifestation. Mais les participants n'encourent rien", explique à BFMTV.com Samra Lambert, secrétaire permanente du syndicat de la magistrature.

Sont également punies "la participation à un attroupement en étant porteur d'une arme, ou la participation à un attroupement malgré les sommations des forces de l'ordre", détaille la magistrate.

Les personnes qui participent à une manifestation interdite sont par ailleurs passibles d'une contravention. À Paris par exemple, des interdictions de manifester ont été "renouvelées" pour les abords de l'Assemblée nationale et la place de la Concorde, a annoncé Darmanin mardi. Mais toutes les manifestations non déclarées ne sont pas interdites.

Il n'est pas non plus légal d'être interpellé pour une simple participation à une manifestation interdite: une contravention ne peut pas donner lieu à une privation de liberté et donc à une garde à vue.

Un arrêt de la Cour de cassation confirme l'absence d'infraction

Le délit de participer à une manifestation non déclarée n'a donc pas de fondement juridique, comme l'a souligné une décision rendue en juin 2022 par la Cour de cassation, la plus haute juridiction judiciaire en France.

Un membre du collectif de la chorale révolutionnaire de Metz avait formé un pourvoi contre le jugement du tribunal de police de Metz qui l'avait condamné à 135 euros d'amende pour sa participation à une manifestation non déclarée, la jugeant de facto interdite.

Selon l'arrêt rendu par la Cour de cassation, "aucune autre disposition légale ou réglementaire n'incrimine le seul fait de participer à une manifestation non déclarée".

"On ne peut pas poursuivre quelqu'un pour un délit qui n'a pas été créé", explique à BFMTV.com l'avocat qui a défendu la chorale devant la Cour de cassation, Xavier Sauvignet. "C'est une grossière erreur de la part de Gérald Darmanin".

L'avocat défend actuellement des manifestants ayant été arrêtés lors des mouvements spontanés qui ont émergé depuis jeudi dernier. Il explique qu'ils sont en majorité interpellés pour "participation à un groupement en vue de commettre des violences" ou "participation à un attroupement malgré les sommations des forces de l'ordre". Viennent ensuite les dégradations, la dissimulation du visage et le fait de commettre des violences contre une personne dépositaire de l'ordre public.

Plusieurs organisations dénoncent les gardes à vue "préventives"

Maître Sauvignet dénonce également des gardes à vue "préventives", utilisées par le préfet de police "pour faire du maintien de l'ordre, empêcher les gens de manifester". Il juge ce phénomène "très préoccupant" et affirme qu'il est de plus en plus courant depuis 2016.

Ses inquiétudes sont partagées par l'ONG Amnesty International France, le Défenseur des droits, une autorité administrative indépendante et le Syndicat de la magistrature.

Même le rapporteur spécial de l'ONU dédié à la liberté d'association, Clément Voule, a déclaré lundi suivre "de très près les manifestations en cours" et rappelé que "les manifestations pacifiques sont un droit fondamental que les autorités doivent garantir et protéger".

Article original publié sur BFMTV.com

VIDÉO - Gérald Darmanin: "Tant que les manifestations ne sont pas déclarées, le préfet de police ne laissera pas faire le désordre"