"Je suis parti dans un délire": comment Patrick Timsit a dynamité Victor Hugo avec "Quasimodo d'El Paris"
"Ce film a une histoire incroyable." 25 ans après le succès de Quasimodo d’El Paris, sa première réalisation, Patrick Timsit aime toujours autant parler de cette comédie délirante, adaptation iconoclaste de Victor Hugo à l'humour noir, très noir, pleine de gags absurdes, proches des cartoons américains. L'humoriste nous accueille dans sa loge du théâtre Edouard VII, à Paris, où il joue La Famille. Et replonge dans ses souvenirs.
Tout commence en 1997. Patrick Timsit est au sommet. Depuis La Crise (2,3 millions d'entrées), il enchaîne les triomphes avec Un Indien dans la ville (7,8 millions d'entrées) puis Pédale douce (4,1 millions) et les nominations aux César (meilleur acteur et meilleur scénario original pour Pédale douce, meilleur acteur pour Le Cousin). Il ne lui manque qu'une corde à son arc: réaliser son propre film.
Un producteur l'appelle, un beau matin. "J'ai lu que vous passeriez volontiers derrière la caméra", lui lance-t-il. "Un jour de faiblesse", l'humoriste en avait effectivement formulé le souhait en interview. Pressé, le producteur lui fait envoyer sur le champ un scénario. "Vous me répondez le plus vite possible."
Patrick Timsit lit "à toute berzingue" mais le texte lui tombe des mains. "Beaucoup de réalisateurs mal réveillés feraient mieux que moi ce film", répond-il. "Vous avez pensé à un sujet?", enchaîne le producteur. L'humoriste botte en touche. "Je ne m'en dépêtre pas! Je lui dis oui alors que ce n'est pas vrai." Un rendez-vous est fixé quelques jours plus tard, pour en discuter de visu. "Le délai était très court. Très, très court." D'autant qu'il n'a pas d'idée en tête.
Un délire
Le jour dit, Patrick Timsit arrive sur le lieu de rendez-vous avec 15 minutes d'avance. Le temps de trouver une place de parking et une idée. Alors qu'il réfléchit à voix haute, l'idée lui vient: jouer un monstre. "Pour un acteur, c'est payant. On a les lauriers." Mais que raconter? "Je me dis qu'il faut faire une adaptation d'un sujet, d'un film qui existe déjà. Comment veux-tu que j'invente quelque chose en un quart d'heure? Et là, je me dis Notre Dame de Paris."
Patrick Timsit venait de voir l'adaptation animée de Disney. Et il connaissait la version des années 1950 avec Anthony Quinn. "Mais je n'avais pas lu le bouquin", concède-t-il. Face au producteur, l'humoriste improvise. "Je pars dans un délire. Je dis que ça se passe à notre époque. Il y a le nuage de Tchernobyl. Ceux qui ont été se réfugier dans le métro sont sains et saufs. Les autres, c'est la cour des miracles."
"Au générique, on fera rôtir la chèvre et Esmeralda dansera tout autour", poursuit-il. "Et puis il y aura des musiciens qui surgiront de partout. Pendant 1h30, je parle et je le vois froncer les sourcils." Le producteur fulmine: "Ça ne me fait pas sourire. Je n'y comprends rien." Avant même d'avoir existé, le projet capote. C'était sans compter un coup de fil providentiel, quelques heures après ce rendez-vous raté: René Cleitman, producteur de Tenue de soirée et Cyrano de Bergerac, souhaite le rencontrer.
Rendez-vous est pris au très chic restaurant La Maison Blanche, avenue Montaigne, à Paris. "Vous devez vous demander pourquoi je vous ai fait venir", lance René Cleitman. "Eh bien, c'était pour vous dire que j'étais gravement malade. Qu'est-ce que vous pouvez pour moi, docteur?" Patrick Timit lui détaille son idée. Surprise, René Cleitman est conquis. Non seulement il connaît bien Notre-Dame de Paris, mais une adaptation qu'il prévoyait avec Harvey Weinstein et Gérard Depardieu, vient de capoter.
Soutenu par Luc Plamondon
Le décalage comique que Patrick Timsit souhaite prescrire à l'œuvre de Victor Hugo n'effraie pas le producteur. Au contraire. "J'essaie de le décourager, pour qu'il dise non", s'amuse l'humoriste. "Je lui dis que ce sera musical, très musical. Il me dit 'c'est très bien', qu'il a produit Starmania et que je dois me mettre au travail! Et je me suis mis à écrire." Il écrit le scénario avec Jean-François Halin, le futur scénariste d'OSS 117, et Raffy Shart, l'auteur de la pièce à succès Ma femme s’appelle Maurice.
Le parolier Luc Plamondon, qui cartonne à la même époque avec une comédie musicale, elle aussi, inspirée de Notre-Dame de Paris, encourage Patrick Timsit. "J'espère que ce projet t'apportera tout ce qu'il nous a apporté comme bonheur." Tout au long de l'écriture, le projet lui semble irréel. "Ça va se voir que c'est une escroquerie", se répète-t-il en imprimant les pages de son scénario.
Beaucoup d'idées folles improvisées au début du projet disparaissent du script final. "C'était un délire qui n'était pas nécessaire", reconnaît Patrick Timsit. Le film contient néanmoins beaucoup de gags burlesques souvent cruels, notamment lors de l'enfance de Quasimodo. "C'est un peu comme dans mes spectacles. Je n'ai jamais cherché à être méchant ni être cruel", se défend-il. "C'est ma façon de m'exprimer."
Les dialogues et le scénario témoignent d'une volonté de susciter l'empathie du public pour Quasimodo. Et de ne jamais en faire le dindon de la farce. "Ce qu'on veut dire, c'est que finalement, ce monstre, il n'est monstrueux que dans le regard de l'autre. C'est le mépris, le regard de l'autre qui est le plus terrible."
Attaquer avec une vulgarité
Pour cette relecture de Notre Dame de Paris, qu'il rebaptise Quasimodo d'El Paris, Timsit déplace l'intrigue dans un pays latino-américain fictif. Les gitans de la cour des miracles deviennent les "Cubains". Quasimodo est fan de basket. Frollo (Richard Berry) a des allures de rockeur. Esmeralda (Mélanie Thierry) est une blonde insupportable. "Je voulais sortir du côté latino, de la brune avec des yeux noirs", précise Patrick Timsit.
Il rêve aussi pour son film d'une apparition d'Anthony Quinn, dont l'interprétation de Quasimodo en 1956 est entrée dans la légende.
"Je me dis que ça serait super si, au moment où Quasimodo se fait bastonner, Anthony Quinn sort de la foule et fait 'Arrêtez de le frapper. Il n'y est pour rien ce pauvre Quasimodo.' Anthony Quinn était d'accord, mais ça revenait une fortune." "Même sans être payé", l'acteur exige qu'on le fasse venir "avec toute sa famille" sur le tournage à Batalha, au Portugal. Le réalisateur pense à un plan B: l'actrice italienne Gina Lollobrigida, qui a joué Esmeralda face à Anthony Quinn.
Avec Lolo Ferrari
Gina Lollobrigida ne recevra jamais sa proposition. Car l'humoriste, à la faveur d'un jeu d'association d'idées, va penser à Lolo Ferrari. Il a le rôle parfait pour elle, celui de la fée de Quasimodo. Personnalité hors norme, connue pour sa poitrine surdimensionnée et ses multiples opérations de chirurgie esthétique, elle symbolise selon lui l'esprit de son film. "Elle est un monstre dans le regard des autres." Comme Quasimodo. "C'est elle qui m'a fait le mieux travailler mon personnage", insiste Patrick Timsit.
Contre l'avis de son mari, qui tente d'imposer à la production des tenues qu'il a imaginées pour sa femme, Patrick Timsit la voit vêtue en Courrèges, marque emblématique des années 1960. Mais l'enseigne refuse catégoriquement d'habiller Lolo Ferrari. "Ce n'est pas notre image", lui fait-on savoir. Fou de rage, le réalisateur se rend alors chez Courrèges, dont la boutique est située face à la société de production de Quasimodo d'El Paris.
En traversant la rue avec Lolo Ferrari, Patrick Timsit voit "tous les gens qui se moquent d'elle" et "la montrent du doigt". Une cruauté qui va le hanter et nourrir son interprétation de Quasimodo. Dans le magasin, le réalisateur s'oppose à la responsable et achète à Lolo Ferrari tout ce qu'elle désire. En sortant, la jeune femme fond en larmes. "Elle me dit 'Cette femme était si méchante. Quand elle m'a serré la main pour me dire au revoir, elle m'a cassé un ongle'".
Record du monde
Le projet suscite quelques réticences. Les financiers "ont peur". "Ils voyaient le scénario encore plus terrible que ce qu'il était réellement", se souvient Patrick Timsit. Le projet est aussi coûteux: plus de 80 millions de francs. René Cleitman parvient à réunir 65 millions de francs. Certaines scènes sont modifiées en conséquence. "L'attaque de la cathédrale s'est transformée en maquette toute pourrie où on voit des pétards. Et c'est une des scènes les plus drôles, un des plus gros éclats de rire."
Sur le tournage, Lolo Ferrari bute sur ses répliques. "Elle était très flippée. C'était un texte d'une précision terrible. À chaque fois qu'elle demandait à Quasimodo son vœu, ça ne sortait pas comme je voulais." Le réalisateur lui souffle la réplique - ce qui se remarque sur certains plans. Ce travail l'épuise. Quand vient son tour de jouer, il perd ses moyens. "Je ne savais plus jouer. J'ai été très embêté et quand j'ai vu les rushes, j’étais accablé. C'était terrible." Il retrouve confiance en lui grâce à Richard Berry.
Le costume de Quasimodo nécessite près de 3 heures de maquillage chaque jour. Patrick Timsit est donc contraint de mettre en scène l'essentiel des scènes grimé. "C'était assez drôle parce que quand vous devez diriger tout un plateau en Quasimodo. Il faut être crédible dans ce qu'on dit parce qu'on n'a pas tout à fait le look de quelqu'un qui sait ce qu'il dit." En tout, l'acteur-réalisateur tourne 73 jours le visage recouvert de sa prothèse. "Je crois que je dois avoir un des records (du monde)."
Film inclassable
Le montage est une épreuve pour Patrick Timsit. Il est dans presque toutes les scènes et doit regarder chaque rush pour sélectionner le bon. "J'ai souffert, quand je me suis vu en image". Il est aidé par Catherine Renaud, la monteuse de Coline Serreau. "Elle m'a sorti de la salle de montage au bout d'une demi-heure. Elle m'a dit: 'Si tu dois sauter partout comme ça tout le temps, je ne vais pas pouvoir.' Elle a eu raison. Quand je suis revenu, c'était très bien." Elle sauve aussi les scènes de Lolo Ferrari, qu'il croyait "complètement foutues".
Difficile d’imaginer la promotion d’un film aussi inclassable. Le producteur refuse une bande-annonce où le cadavre de Victor Hugo, apprenant la sortie de Quasimodo d'El Paris, se retourne dans sa tombe. "Tout le monde se marrait. Puis finalement on ne l'a pas fait. René m’a dit 'Ah non, là, ça va trop loin'." Le distributeur suggère une affiche signée Vuillemin, dessinateur à l'humour trash. Cette fois, c'est Patrick Timsit qui refuse.
"Il m'a fait une Esméralda avec des pustules, les bas qui tombent sur les genoux. Phœbus avait un bout de chemise qui sortait de la braguette. C'était horrible. J'étais horrifié", se remémore-t-il. "Ça a beaucoup amusé les gens, mais ce n'était pas le film. Les gens qui y seraient allés pour l'affiche auraient détesté le film et les gens qui pouvaient aimer le film n'y seraient pas allés à cause de l’affiche. Vuillemin, ses dessins me touchent peu. Il y a peu d'humanité et dans le film, il y en avait beaucoup d'humanité."
Timsit en Cosette
Quasimodo d'El Paris sort le 24 mars 1999. Les critiques sont mitigées. Télérama déplore "des facilités d'écriture" et des "gags qui ne marchent pas" mais salue "une vraie liberté de ton, voire une certaine folie." Même son de cloche dans Le Monde qui juge le film "assez réussi" malgré "une Esmeralda trop lisse" et "des effets spéciaux pas toujours au point". "Entre nonsens gratuit et puérilité à la Dumb and Dumber, le film peine à trouver une identité", regrette encore Libération.
Il ne laisse personne indifférent. "C'est un film, on aime ou on n'aime pas. C'est tranché", reconnaît Patrick Timsit. Le mercredi soir, le réalisateur craint le flop. "Le film démarre sur les chapeaux de roue et à 20 heures, les avions de l'OTAN décollent pour bombarder la Serbie. Donc on fait zéro et là je me dis 'je suis cuit'. René Cleitman me rassure. Il a eu une très belle phrase. 'Le film fera toujours le chiffre qu'il doit faire.' Et on a fait pas loin de 2 millions d'entrées." 1.707.386 entrées pour être précis.
Quasimodo d'El Paris est resté dans les mémoires. "Au Japon, quand on a présenté le film dans un festival, un Japonais m'a dit que c'était la version la plus proche du roman", assure Patrick Timsit. "Il y a des gens qui m'arrêtent dans la rue encore aujourd'hui pour me dire qu'ils se font des soirées Quasimodo d'El Paris et qu'ils récitent les dialogues avec les scènes." S'il n'a jamais envisagé de suite, Patrick Timsit aurait aimé faire, à l'époque, une parodie des Misérables où il aurait joué… Cosette.