Parler des violences policières à leurs enfants est « épuisant, mais indispensable », pour ces parents noirs ou arabes

« C’était un enfant en train de jouer au foot avec ses amis au pied de son immeuble, ce n’est pas normal qu’il soit confronté à des contrôles d’identité.  » raconte Goundo Diawara, parlant de son petit frère.
« C’était un enfant en train de jouer au foot avec ses amis au pied de son immeuble, ce n’est pas normal qu’il soit confronté à des contrôles d’identité. » raconte Goundo Diawara, parlant de son petit frère.

DISCRIMINATIONS - « La première fois que mon fils a été contrôlé par la police, il avait 13 ans. » Audrey a deux enfants, un fils de 19 ans et une fille de 9 ans et pour elle, aborder les contrôles au faciès, les violences policières ou le racisme avec eux a toujours été une évidence.

« J’ai été témoin de ce à quoi peuvent ressembler les interactions avec les forces de l’ordre quand on est un homme noir. Quand j’ai su que j’allais avoir un garçon, je savais très bien qu’il serait confronté à ce traitement et qu’il faudrait en parler. Mais je pensais que ça arriverait plus tard, vers 17 ans, à l’âge où on commence à sortir avec des amis. À 13 ans, c’était un enfant. »

Le contrôle a eu lieu sur le chemin du collège, et son fils était très choqué. « Pendant plusieurs semaines, il a eu peur de recroiser des policiers. Il avait le sentiment qu’il ne pouvait pas jouer dans l’espace public avec ses copains parce que sinon, la police allait arriver. » Voir son fils en proie à ces questions la met en colère. « On ne peut pas y échapper, quoi qu’on fasse, même en habitant dans un endroit calme. C’est une constante pour les enfants noirs et arabes, alors que je n’ai jamais entendu parler d’enfants blancs qui se faisaient contrôler à 13 ans sur la route de l’école. »

« Ces contrôles, c’est considéré comme banal »

C’est à peu près au même âge que le petit frère de Goundo Diawara a été contrôlé pour la première fois. Dans le quartier des Poètes de Pierrefitte-sur-Seine (93) où il réside, c’est si fréquent qu’il n’en parle pas tout de suite à sa famille. « C’est considéré comme tellement banal qu’il n’a pas été choqué que ça lui arrive. Il l’a mentionné quelques mois plus tard. Ça a fait naître une certaine colère : c’était un enfant en train de jouer au foot avec ses amis au pied de son immeuble, ce n’est pas normal qu’il soit confronté à ça. Mais le sentiment qui domine, c’est l’inquiétude. »

Goundo avait 17 ans à la mort de Zyed et Bouna, deux adolescents décédés d’une électrocution en fuyant la police, en 2005. « J’ai pris conscience de cette problématique bien avant que mon petit frère n’y soit confronté. Je sais qu’en cas de contrôle, il peut être en danger sans avoir commis le moindre méfait. D’ailleurs, il a pris sa première gifle par un policier quelques mois plus tard, à 13 ou 14 ans - ma mère l’avait envoyé acheter du pain et, au retour, la police avait quadrillé un endroit et a voulu l’empêcher de passer. Il a dit qu’il devait rentrer chez lui et la réponse a été une gifle. »

« Si la police te contrôle, ne fais pas de geste brusque »

Parce que ces expériences arrivent très tôt, les parents, grands frères et grandes sœurs et autres adultes de référence sont forcés d’anticiper des conversations douloureuses, avec des enfants qui n’ont pas encore toutes les clés de compréhension. C’est le cas d’Anissa, mère de deux enfants de 11 et 9 ans, qui explique : « On leur donne des consignes, comme un spectacle à répéter. De toute façon, les contrôles, ils en sont témoins depuis leur plus jeune âge y compris quand ils nous arrivent à nous, leurs parents. »

En cas d’interaction avec la police, Anissa et son mari ont inculqué à leurs enfants ce qu’elle appelle un « mode d’emploi ». « Montrez votre carte d’identité. Dites oui monsieur’, oui madame’ sans contredire, n’ayez pas d’intonations irrespectueuses, ne faites pas de geste brusque et s’ils vous posent des questions, dites-leur d’appeler vos parents. On veut qu’ils aient un bon comportement en toutes circonstances mais quand la police les interpelle, il faut aussi qu’ils soient prudents. »

« À dix ans, on lui a dit qu’il ne devait plus courir dans la rue ».

Quand le fils d’Aouicha Traoré a eu dix ans et qu’il a été en âge de rentrer seul de l’école, une conversation avec ses parents s’est imposée. « On lui a expliqué que ça s’accompagnait de responsabilités, raconte Aouicha. On lui a dit qu’il ne devait jamais chahuter dans la rue même si ses amis blancs le faisaient, qu’il ne devait pas courir dans la rue quelles que soient ses raisons et qu’il fallait qu’il ait toujours une photocopie de sa carte d’identité sur lui. » Des consignes qu’elle estime nécessaire pour le protéger au maximum dans l’espace public, mais qui ont généré beaucoup d’incompréhension pour son fils. « En tant que parent, il y a un avant et un après ces conversations », conclut-elle.

Pour Goundo Diawara, la situation oblige à tenir une position difficile. « On veut qu’ils puissent revendiquer leurs droits mais comme on a peur qu’ils soient violentés, on leur dit de faire profil bas », explique-t-elle. Audrey, quant à elle, refuse de donner une ligne de conduite à son fils. « Quoi qu’il fasse, il risque d’être stigmatisé. Mon fils n’est pas en maîtrise, c’est la police qui donne le tempo, surtout si ça tourne mal. Je ne veux pas lui en faire porter la responsabilité. »

Cependant, après ce premier contrôle d’identité à 13 ans, elle a dû lui parler de ce qu’il représentait, aux yeux de la société, dans l’espace public. « Je lui ai dit ‘Tu es un garçon noir, tu seras un homme noir. Cela veut dire que tu peux être sujet à des discriminations, sujet à du paternalisme des institutions, à du rejet, à des suspicions ou à des violences.C’est très lourd à porter. »

Parler des violences policières, c’est aussi parler de racisme

Comme tous les autres parents interrogés, Audrey témoigne de la ligne de crête sur laquelle elle tient ces propos. « Je voulais le prévenir mais aussi lui expliquer qu’il a le droit de faire des erreurs, qu’il n’a pas à être parfait en permanence dans l’espoir d’éviter ces violences. Des enfants qui se trompent, qui font des conneries ou qui ne sont pas excellents, il y en a plein et on ne les traite pas tous de sauvages pour ça, on ne les met pas tous dans des cases. C’est complètement injuste. »

Goundo Diawara le rappelle, c’est bien de racisme qu’il s’agit. « Les chiffres du Défenseur des droits sont limpides : quand on est un jeune homme perçu comme noir ou arabe, on a 20 fois plus de chances de se faire contrôler par la police que le reste de la population. » Alors, elle doit aborder le sujet avec son frère de 13 ans de manière transparente. « Ce n’est pas moi qui lui ai appris l’existence du racisme et des contrôles : les jeunes sont témoins de ce qui se passe, ils le vivent et ils comprennent vite que ce n’est pas lié à ce qu’ils font, mais à qui ils sont. »

Ces conversations, « on préférerait s’en passer », soupire Goundo Diawara. « Il ne s’agit pas d’endoctriner les jeunes. Ce qu’on essaie de leur dire, c’est qu’on entend ce qu’ils vivent, qu’ils ne sont pas fous, et qu’il y a des données qui attestent de cette réalité. La société répète à ces jeunes que s’ils subissent des violences et des contrôles au faciès, c’est parce qu’ils ont fait quelque chose. Dire je te crois’, c’est arrêter de faire porter la charge de l’injustice à la personne qui la subit. »

Prévenir et garder confiance, un équilibre précaire

Le tout, en essayant de garder un équilibre qui leur permette de s’épanouir. « Ce qui était important pour moi, c’était de ne pas transmettre le message qu’il faut tout le temps avoir peur de la police. À 10 ans, c’est une nuance très difficile à transmettre : certains policiers peuvent nous faire du mal, mais on est aussi censés se fier à eux et les appeler quand on a un problème », explique Aouicha Traoré. Anissa témoigne elle aussi de ce dosage fragile et nécessaire : « On n’est pas dans le monde des bisounours. Il y a du racisme, et il faut leur dire. Mais c’est important qu’ils comprennent que tout le monde n’est pas raciste. C’est éprouvant, frustrant, épuisant mais indispensable. »

Un travail qui ne se limite pas aux conversations avec les enfants : au sein des quartiers populaires, de nombreux parents s’organisent pour lutter contre ces violences qui touchent leurs enfants. Goundo Diawara, qui est aussi secrétaire nationale du syndicat de parents Front de mères, le pointe : « On parle toujours de l’inquiétude des parents, et pas assez de leur engagement. Nous sommes nombreux à nous organiser, et à agir pour que les choses changent. »

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