Paris mise sur Berlin et Varsovie pour la défense européenne

par Marine Pennetier PARIS(Reuters) - Désormais pragmatique pour bâtir une Europe de la défense toujours chimérique, Paris mise sur Berlin et Varsovie pour inciter les Vingt-Huit à s'engager plus avant dans les conflits actuels, où ils brillent le plus souvent par leur absence. La réactivation cette semaine à Berlin du triangle dit "de Weimar", qui réunit ces trois capitales, s'inscrit dans la politique des "petits pas" de la France, qui consiste à "faire l'Europe de la Défense avec ceux qui le souhaitent" et à constituer un noyau dur susceptible de jouer un rôle moteur. "L'Allemagne, la Pologne et la France peuvent jouer un rôle de force d'entraînement dans cette dynamique", a déclaré Jean-Yves Le Drian lundi. "Nous partageons en effet un même constat sur les défis et les menaces qui pèsent sur notre continent." Depuis l'abandon du projet de communauté européenne de défense en 1954, l'Europe de la Défense, évoquée dans le traité de Lisbonne, reste balbutiante faute de véritable volonté. L'idée d'un état-major permanent à Bruxelles, voulu par la France, a vécu. La création d'une armée européenne fait sourire, tant cette perspective semble éloignée des préoccupations des Etats membres qui voient encore dans l'Europe de la Défense un danger potentiel pour leur souveraineté et leurs industries. Dans leur grande majorité, les pays européens membres de l'Otan continuent de privilégier l'Alliance atlantique pour assurer leur défense plutôt que l'Union européenne. POLITIQUE DES PETITS PAS "On a laissé de côté les grandes idées du début, ces idées-là se sont fracassées sur des blocages", dit un diplomate, à deux mois du Conseil européen de juin où le sujet sera évoqué. "L'approche française consiste désormais à construire une Europe de la Défense à petits pas, avec des initiatives concrètes." A l'image des deux missions européennes (une de gestion de crise, une de formation) dépêchées en Centrafrique, un scénario "impensable il y a encore deux ans" se félicite-t-on à Paris. Au niveau industriel, l'Allemagne et la France ont récemment conclu un accord sur la réalisation du troisième satellite d'observation militaire du programme français CSO. Paris, Berlin et Rome portent, eux, le projet de futur drone européen d'observation MALE. "Il y a un phénomène qui est en train de se passer au niveau européen, c'est la réémergence du bilatéralisme et de l'unilatéralisme qui créé un paysage assez éclaté, assez fragmenté de la défense européenne", souligne Vivien Pertusot, spécialiste des questions de défense à l'Ifri à Bruxelles. "Ce n'est pas parce que tout le monde a abandonné l'idée d'une Europe de la défense mais parce que, vu l'état des systèmes de défense européens et vu l'urgence de la situation et la lenteur des institutions, il y a un pragmatisme qui s'est installé dans les capitales, à commencer par Paris". La crise économique ayant fait fondre les budgets défense en Europe, Paris doit aujourd'hui composer avec la réduction de la marge de manoeuvre de son allié traditionnel britannique. Sur les quatre dernières années, le gouvernement britannique a ainsi baissé d'environ 8% les dépenses de défense d'un pays par ailleurs de plus en plus rétif à l'intégration européenne. La "phase de déclin" de l'outil de défense britannique "nous a conduit à nous dire qu'il valait mieux pour le Conseil européen de juin essayer de travailler avec deux partenaires qui peuvent former le noyau dur de l'Europe de la défense, à savoir l'Allemagne et la Pologne", explique un diplomate français. LA FRANCE MISE BEAUCOUP SUR LA POLOGNE Une mesure d'anticipation, souligne-t-on à Paris, qui ne remet pas en question le traité de coopération militaire de Lancaster House conclu avec Londres en 2010. "On maintient tous nos engagements mais on a de très fortes interrogations sur la soutenabilité de l'effort britannique en matière de défense dans les années à venir". Face à cette incertitude, la Pologne, engagée dans un vaste programme de modernisation de sa défense, apparaît comme un partenaire de choix pour Paris, en concurrence avec Washington pour remporter une série d'appels d'offre polonais. "Les Français voient de plus en plus la pertinence de collaborer avec les Polonais qui ont véritablement revu à la hausse leurs ambitions en matière de défense", dit Vivien Pertusot. "Ils investissent, ils achètent beaucoup." Mieux, une coopération avec la Pologne pourrait permettre à Paris d'accentuer la pression sur l'Allemagne, à l'heure où les lignes semblent bouger à Berlin dans le dossier de la défense. La première brigade franco-allemande a ainsi pu être pour la première fois déployée en Afrique où elle participe à la formation de l'armée malienne au sein de la mission européenne. Mais le format de Weimar pourrait "rester sous-performant" en terme de capacité et de position communes, estime Vivien Pertusot, qui cite l'attitude "assez particulière" de l'Allemagne vis-à-vis des outils de défense et le peu d'intérêt de la Pologne pour la "défense expéditionnaire". Sur le plan de la coopération opérationnelle, qui reste une priorité pour Paris, la route à parcourir est encore longue. Créés en 2004, les groupements tactiques de l'Union européenne (GTUE), destinés à intervenir partout dans le monde, n'ont pour l'heure pas été utilisés, au grand dam de Paris qui a réitéré un appel en leur faveur lundi avec Berlin et Varsovie. La constitution de la mission européenne en Centrafrique, qui s'est achevée le 15 mars, s'est elle révélée être un casse-tête en raison du peu d'enthousiasme des Etats membres. Au final, un tiers des 700 militaires engagés dans cette mission ont été fournis par la France, le reste par l'Italie, la Pologne, l'Espagne ou encore l'Estonie. Et par la Géorgie, un pays non membre de l'Union européenne. (Edité par Yves Clarisse)