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Paris, de la fermeté à la souplesse face au nucléaire iranien

Le ministre français des Affaires étrangères, Laurent Fabius, s'adresse à la presse à Vienne en marge des discussions entre pays occidentaux et l'Iran sur le programme nucléaire de Téhéran. /Photo prise le 21 novembre 2014/ REUTERS/Heinz-Peter Bader

par John Irish PARIS (Reuters) - Un an après le "non" français à un accord sur le programme nucléaire iranien, Paris, rassurée par des Etats-Unis plus coopératifs et consciente des conséquences potentielles d'un nouvel échec à l'échelle régionale, a adopté un ton plus conciliant dans le cadre des négociations en cours. L'Iran et les pays membres du P5+1 (Chine, Etats-Unis, France, Grande-Bretagne, Russie et l'Allemagne), ou E3+3 dans la terminologie européenne, sont réunis depuis mardi à Vienne pour tenter de parvenir à un accord définitif d'ici lundi, mais ce délai ne sera probablement pas tenu et les négociations se poursuivront. Le gouvernement français a longtemps été partisan de la fermeté dans ces discussions censées amener la République islamique à démontrer, comme elle le dit, que ce programme ne sert aucune ambition militaire, en échange d'une levée des sanctions internationales. La découverte, l'an dernier, de l'existence de négociations secrètes entre Washington et Téhéran n'était pas étrangère au rejet de l'accord qui se dessinait à Genève. Ce "non" a en outre permis à la France, membre permanent du Conseil de sécurité de l'Onu, de faire valoir son rang sur la scène internationale et d'exprimer son mécontentement après la volte-face américaine en Syrie, où le recours aux armes chimiques n'a finalement donné lieu à aucune réponse militaire malgré la "ligne rouge" tracée par Barack Obama. Enfin, il a ouvert de nouvelles perspectives commerciales pour les entreprises françaises dans les monarchies sunnites du Golfe, inquiètes de l'influence croissante de l'Iran chiite. Aujourd'hui, un nouvel échec serait autrement plus lourd de conséquences, compte tenu du rôle-clé de l'Iran dans la lutte contre les djihadistes de l'Etat islamique et de son importance pour la stabilité du Moyen-Orient dans son ensemble. Dorénavant, il est donc hors de question pour la diplomatie française d'assumer à nouveau cette responsabilité. TIRER LES LEÇONS "Il n'y a pas lieu de s'affirmer sur la scène internationale quand les enjeux sont si importants pour la région et les relations internationales. Je ne crois pas que cela se reproduira. Je pense que les Français ont à coeur de montrer qu'ils sont un peu plus ouverts que les Iraniens", résume Didier Billion, directeur adjoint de l'Institut des relations internationales et stratégiques (IRIS). A Washington aussi, l'attitude a changé depuis l'épisode de 2013 et John Kerry s'est ostensiblement attaché à tenir la France informée des discussions avec Téhéran. De passage à Paris jeudi, le secrétaire d'Etat américain a dit partager le point de vue du chef de la diplomatie française et a assuré que les grandes puissances avaient une approche commune du dossier. "Les Américains et les Français ont tiré les leçons de Genève. Les Américains doivent consulter tous les membres de l'E3+3 et les Français ont appris qu'il vaut mieux exprimer les objections à l'avance", explique un diplomate proche des discussions. "Je pense que les choses vont mieux en ce moment, même s'il y a toujours des nuances" entre les Six, poursuit-il. Pour justifier sa fermeté, Paris a fait savoir à plusieurs reprises que la non-prolifération était une question de principe. Cette attitude, adoptée sous la présidence de Nicolas Sarkozy et reprise par François Hollande, lui a permis de se rapprocher du Qatar et, plus récemment, de l'Arabie saoudite sur le plan commercial. "ILS VEULENT LA BOMBE" Certains diplomates évoquent également l'influence de Laurent Fabius, qui était Premier ministre dans les années 1980, quand l'Iran était soupçonné d'être impliqué dans une série d'attentats. "C'est vrai qu'on a pris des positions très fortes sur le dossier nucléaire (...) Je pense que cela correspond à une orientation personnelle très forte du ministre. Je crois qu'il y a chez lui une vraie détestation du régime iranien", explique un diplomate français ayant requis l'anonymat. Les contingences économiques ont toutefois contraint Laurent Fabius à composer. Avec une croissance en berne et face à une Allemagne qui prend peu à peu les commandes de l'Union européenne, Paris cherche à relancer son commerce extérieur. Si les perspectives dans le Golfe sont jugées prometteuses, le gouvernement français sait qu'en cas d'accord avec l'Iran, ses partenaires américains et européens auront une longueur d'avance sur le plan commercial. "Fabius, qui est partisan d'une nouvelle diplomatie économique, sait que nous perdons potentiellement un très gros marché qui va s'ouvrir au monde", souligne Didier Billion. Au Quai d'Orsay, on ne voit pas tout à fait les choses de la même manière. "Sur le fond, on a raison", estime un diplomate. "Fondamentalement, ils veulent la bombe nucléaire. Ils trichent, ils ne respectent pas leur parole, ils ont signé des accords qu'ils ne respectent pas mais, en même temps, nos capacités d'actions sont très réduites. Qu'est-ce qu'on veut ? La guerre ?" (Avec Louis Charbonneau à Vienne, édité par Jean-Philippe Lefief et Tangi Salaün)