L'orage qui menace la zone euro prend de court Paris et Berlin

par Yves Clarisse PARIS (Reuters) - Répétition titre. Une nouvelle tempête menace la zone euro, prenant de court un couple franco-allemand dont ce n'était pas la priorité, concentré qu'il est sur le risque de sortie du Royaume-Uni de l'UE et la crise des réfugiés, sur fond de menaces terroristes. Pendant tout le mois de janvier, les autorités françaises et européennes ont tiré le signal d'alarme : le risque de "dislocation" de l'Union européenne est grand, ont ainsi dit François Hollande et Manuel Valls, à l'approche du Conseil européen de jeudi et vendredi prochains. Ils faisaient référence à l'afflux de réfugiés qui a ouvert une énorme fracture entre l'est et l'ouest de l'Union européenne, ramenant le retour des frontières dans l'espace Schengen et dopant le camp eurosceptique, notamment dans un Royaume-Uni tenté par le "Brexit". "Si le résultat du référendum est un 'non', on part pour au moins deux ans pour négocier le contrat de divorce. Et si c’est 'oui', il y aura une série de textes à mettre au point avec la tentation d’un certain nombre de pays de bénéficier des mêmes 'opt outs' (dérogations) que le Royaume-Uni", déclare le député européen Alain Lamassoure, un proche d'Alain Juppé. "Ça veut dire aussi deux ans de négociations. Or, l’UE est incapable de traiter deux grands problèmes à la fois." Pourtant, d'autres risques se sont ajoutés à la liste. "On n'a pas vu une telle accumulation ces 50 dernières années", estime un conseiller du gouvernement. Les dirigeants européens, qui comptaient sur la reprise pour résoudre nombre de problèmes, n'avaient en effet pas anticipé le retour de tensions très fortes dans la zone euro. ACCUMULATION DE RISQUES Or, l'activité reste anémique et l'inflation faible, voire inexistante, même si la Banque centrale européenne mène une politique ultra-accommodante en termes de taux d'intérêt. Le mécanisme de sortie de l'endettement est donc rendu beaucoup plus difficile et l'on assiste à ce qui s'apparente à une réplique de la crise de la dette de 2011-2012, les craintes pour les banques, qui détiennent encore beaucoup de titres souverains, se propageant aux emprunts d'Etat, un mouvement qui touche plus fortement les pays vulnérables. Le secteur bancaire a lourdement chuté dans un mouvement entamé en Italie en raison des craintes persistantes de dégradation de la rentabilité des banques et de leur solvabilité face à la détérioration des perspectives de croissance. Les marchés risquent de dégrader la dette du Portugal, doté d'un nouveau gouvernement de gauche qui entend tourner quelque peu le dos à l'austérité, ce qui a fait s'envoler les taux que Lisbonne paye pour la financer. La Grèce est encore une préoccupation pour les dirigeants de la zone euro et l'Espagne, toujours fragile, se cherche une coalition depuis les élections législatives du 20 décembre. "On est clairement dans une situation qui est dangereuse et où les choses peuvent basculer dans un sens ou dans l'autre", dit un banquier central, citant aussi la Chine. "Il y a des investisseurs qui se réveillent et qui prennent conscience des risques. Certains paniquent", ajoute-t-il même s'il juge que le système est bien plus "robuste" qu'en 2012, notamment grâce au premier volet de l'union bancaire. TEMPORISER OU ACCÉLÉRER ? Mais à Paris comme à Berlin, on estime que la priorité doit être donnée à la crise des réfugiés, au sauvetage de Schengen, notamment en sécurisant les frontières extérieures de l'UE, et à la négociation d'une solution pour éviter un "Brexit". "Ce n'est pas la peine de lancer une initiative sur ce qui n'est pas le plus pressant", explique un diplomate français, reconnaissant que le calendrier, marqué en 2017 par les scrutins suprêmes en France et en Allemagne, empêche d'avancer à marche forcée vers une consolidation de la zone euro. François Hollande a souligné le 21 janvier, dans ses voeux au corps diplomatique, que les deux pays entendaient présenter avant la fin 2016 des propositions qui aborderont "le cadre politique et démocratique, les institutions et les instruments de stabilité qui seront nécessaires pour assurer la stabilité et la croissance dans la zone euro." Mais Joachim Poß, un social-démocrate allemand membre de la commission des Affaires européennes du Bundestag, estime que l'on ne peut pas attendre jusque-là. "Hollande et Merkel ont ajourné les décisions les plus importantes jusqu'à après les élections", a-t-il dit la semaine dernière à quelques journalistes à Paris, où il était venu rencontrer des responsables français. "Nous pensons qu'il ne faut pas attendre (...) et avancer de façon concrète avant la fin de l'année", a-t-il dit en annonçant qu'il cherchait à créer un groupe de travail parlementaire franco-allemand pour développer la réflexion. Un diplomate français n'exclut pas que les gouvernements français et allemand sortent du bois plus tôt qu'annoncé. "Si le référendum britannique est négatif, il faudra montrer que la détermination est intacte. Si c'est positif aussi, il faudra enchaîner dessus", souligne-t-il. Le nouveau ministre français des Affaires étrangères, Jean-Marc Ayrault, européen convaincu et germanophone, pourrait pousser en ce sens. "La France et l'Allemagne (...) doivent se retrouver rapidement sur une ambition renouvelée", a-t-il dit vendredi dernier, lors de la passation de pouvoirs avec son prédécesseur Laurent Fabius. "Ce sont non seulement la cohésion et la solidarité de l'Europe qui sont en jeu mais aussi la survie du projet européen." (Avec Gilbert Reilhac à Strasbourg, édité par Sophie Louet)