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Comment régler le problème des consommateurs de crack dans la rue ?

Depuis de nombreuses années, le quartier de Stalingrad à Paris (19e) est un véritable squat à ciel ouvert de consommateurs et vendeurs de crack.

Depuis quelques jours, le quartier de Stalingrad à Paris (19e) est au cœur d'une polémique. Le week-end dernier, des habitants du quartier ont visé avec des tirs de mortiers des consommateurs de crack qui nuisent à la tranquillité du quartier. Comment régler ces problèmes liés à la consommation de crack qui durent depuis des années ?

Les habitants de Stalingrad en ont ras-le-bol. Depuis plusieurs années, ce quartier du 19e arrondissement de Paris est squatté par des consommateurs de crack qui perturbent la vie des habitants. Dans la nuit du samedi 1er mai au dimanche 2 avril, certains ont fini par perdre patience et ont visé les toxicomanes avec des tirs de mortiers pour les chasser du bas de leur immeuble.

Face à la polémique de ces attaques dangereuses qui résultent de problèmes qui touchent les riverains au quotidien, une opération de police a eu lieu ce mardi 4 mai pour déloger les consommateurs de crack. Une intervention qui n'a pas servi à grand chose puisque les consommateurs ont repris possession du territoire très peu de temps après le départ des forces de l'ordre.

Excédés par la situation qui dure depuis plusieurs années, les riverains se plaignent de toxicomanes qui ne se cachent même plus pour consommer de la drogue dans des lieux comme des parcs où les familles se promènent. Depuis les années 1990, les habitants de la place Stalingrad doivent faire face à ce problème qui semble insoluble. Dès que des actions policières sont organisées pour déloger les usagers de crack, le problème n'est que repoussé. Ce fût le cas lors de l'été 2018 après le démantèlement de la "Colline du crack", située porte de la Chapelle (18e), ou dès le lendemain, le squat s'est reformé quelques centaines de mètres plus loin.

En mai 2019, un plan de mobilisation sur la problématique du crack à Paris dans le nord-est parisien a été adopté pour une meilleure régulation de l'espace public, mais il peine à se faire voir.

"La prise en charge de l'addiction n'est pas suffisante"

Marie Jauffret-Roustide, sociologue à l'Inserm (Institut national de la santé et de la recherche médicale) qui travaille sur les politiques des drogues, explique que des pistes d'amélioration peuvent être trouvées pour diminuer à la fois les problèmes des riverains mais également les difficultés des consommateurs. "Avec l'Inserm et l'OFDT (Observatoire français des drogues et des toxicomanies), on a produit un rapport il y a quelques semaines après avoir réalisé pendant 2 ans un long travail de terrain, basé sur des entretiens auprès des usagers de crack et des acteurs de la prise en charge".

Il en est ressorti que la prise en charge de l'addiction doit être accompagnée d'une prise en charge de la précarité sociale des consommateurs de crack : "Il est important de penser à la thématique de l'usage du crack de manière globale. Si on propose que des choses pour traiter l'addiction mais que vous laissez les usagers dans la rue, ils continueront à consommer puisqu'une grande partie d'entre eux consomment pour supporter la vie dans la rue", affirme la sociologue.

Un plan d'hébergement accompagné d'actions

Selon elle, l'important est de mettre en place un dispositif pluridisciplinaire qui prend en compte à la fois les questions d'action et les questions d'hébergement. "Début 2020, suite à la pandémie de Covid-19 et dans le cadre du 'plan crack', il y a 400 places d'hébergement qui ont été débloquées pour les usagers de crack. On a rencontrés certains dans le cadre de la recherche, et on a vu que leur mise à l'abris dans ces hébergements leur permet de limiter leur présence dehors, mais aussi de réguler leur consommation de crack". Un hébergement leur permet ainsi de limiter leur consommation lorsqu'ils sont hébergés parce qu'ils n'ont plus besoin de consommer pour supporter leur vie dans la rue et ils sont éloignés de l'atmosphère de la place de Stalingrad.

Vidéo - Paris peine à endiguer l'emprise du crack

Ces dispositifs d'hébergement sont donc bénéfiques pour les riverains mais également pour les consommateurs, explique la chercheuse à l'Inserm. "Pour les riverains car ils sont moins confrontés à la présence des usagers de crack dans leur quotidien, mais également pour les usagers parce qu'ils sont à l'abri et ça leur permet de commencer les démarches pour se réinsérer, réguler leur usage de crack et rentrer dans des parcours de soin".

À quoi ressemblent ces lieux d'hébergement ?

Ces dispositifs mis à disposition des toxicomanes sont des chambres d'hôtel ou des lieux communautaires avec des espaces de vie communs. Dans ces lieux, les usagers ne sont pas laissés seuls. Ils sont suivis par des assistants sociaux, des éducateurs, voire des psychiatres qui interviennent pour assurer un suivi et une prise en charge qui vont de paire avec leur mise à l'abris. "Ce sont les deux ensemble qui fonctionnent : la mise à l'abris par le biais de l'hébergement et la prise en charge des conduites addictives avec un suivi social psychologique ou psychiatrique", explique Marie Jauffret-Roustide. C'est pour cette raison que leur mise à l'abri, qui peut donner lieu à des régulations d'usage, est primordiale. L'arrêt de la consommation n'était pas envisageable à court terme pour tous les usagers, même si de nombreux usagers de crack font part de leur désir d'arrêter de consommer.

"Lors des entretiens que nous avons réalisés, on s'est rendu compte que c'est très important qu'ils aient un espace pour eux, où ils se sentent protégés et avec une prise en charge psychosociale et de l'addiction qui est mise en place en même temps", ajoute la sociologue.

30% des consommateurs sont en Île-de-France

L'autre point important quant à la gestion de ce problème est le dialogue entre les acteurs de la santé et de la réduction des risques et les forces de l'ordre. Marie Jauffret-Roustide s'est également entretenu dans plusieurs de ses recherches avec des acteurs de la police et a observé que les forces de l'ordre ont conscience que les évacuations à répétition ne sont pas une solution optimale pour la gestion des usagers dans l'espace public. "Les acteurs de la police peuvent pour une partie d'entre eux être sensibles à la dimension de prise en charge tout en restant dans leur rôle de gestion de l'ordre public, c'est pour cela que les deux doivent aller de pair."

Selon les chiffres de l'OFDT, il y a près de 43 000 consommateurs de crack en France, âgés entre 15 et 64 ans, dont 13 000 se trouvent en Île-de-France. La consommation de ce dérivé très addictif de la cocaïne entraine une centaine de morts chaque année dans le pays.

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