Paraguay: comique de stand-up pour détenues, ou quand l'école du rire "libère"
"Je suis pas pressée, j'ai pas d'évasion programmée aujourd'hui..." Le rire secoue les travées dans le patio de la prison pour femmes d'Asuncion. Pour une demi-douzaine d'entre elles, c'est le grand test de la scène, après des mois d'atelier de comédie stand-up, en guise d'aide à la réinsertion.
"Quand ma mère a rencontré mon fiancé, elle l'a scanné de haut en bas... Mon Dieu ! Je tremblais plus que quand la police m'a arrêtée !" On peut toujours discuter de la teneur comique, mais auprès du public de détenues de la prison du "Bon Pasteur", ça fait mouche, et ça s'esclaffe franchement. Que peut demander de mieux une apprentie humoriste ?
Depuis trois mois, à raison d'une séance tous les 15 jours, une dizaine de détenues explorent les outils et clefs d'écriture du stand-up : "la chute", "l'absurde", la "personnification", "le comique de répétition", etc...
Le fil rouge des ateliers est que l'expérience de plusieurs de ces femmes est de celles qui peuvent détruire une vie. Mais a aussi le potentiel de se transformer en combustible pour l'humour, analyse Carolina Romero, comédienne qui anime les ateliers.
- La tragédie nourrit l'humour -
"Ce qui alimente le succès du stand-up est d'une certaine façon la tragédie. Mais il faut une certaine habilité, et tout un processus, pour arriver à assumer certaines réalités, et en rire", explique-t-elle à l'AFP.
C'est le cas d'Adriana Torres, 33 ans, qui a laissé à la garde de son compagnon cinq enfants âgés de un à 15 ans, le temps qu'elle purge sa peine pour vol pour alimenter sa dépendance au crack.
"J'ai commencé à me droguer il y a cinq ans, et deux ans ont suffi à me détruire totalement", raconte-t-elle à l'AFP. "Quand il m'a su détenue, mon père est venu me voir et m'a dit, rassuré : +je préfère te voir là que dans la rue+".
Les yeux un peu embués, Adriana, bientôt libérable, dit sa gratitude envers les séances de stand-up "si belles, si positives, qui m'ont beaucoup aidé à desserrer mon esprit, et sentir que ces gens de l'extérieur (animateurs) venaient ici partager quelque chose avec nous".
"Ca m'a aidé un max ! Rien que d'autres viennent me dire: +bravo de l'avoir fait, tu étais super !+ Je suis sûre que ça va me servir au-dehors", déclare Brisa Leguizamon, 25 ans, condamnée pour trafic de drogue.
Brisa, qui un peu plus tôt sur scène avait elle aussi provoqué des fou-rires, en narrant sa famille nombreuse, aux enfants terribles, une maison "pire qu'après un raid de la police". Une famille "si unie qu'on se retrouve toujours tous aux moments forts : Un anniversaire, quelqu'un de malade, un enterrement... Enfin, là, tous moins un !"
De la dizaine qui ont suivi les ateliers, seule la moitié ont franchi le pas de se lancer sur scène lors du "show final", sous le regard d'une centaine de codétenues, de gardiens et de gardiennes.
- Une catharsis, et une bonne chute -
Ancien couvent converti en prison au début du 20e siècle, le Bon Pasteur est le principal centre de détention pour femmes du Paraguay. Et comme les autres, sous pression de surpopulation: 550 détenues pour une capacité de 200 places.
Aussi "on essaie de rendre les choses plus supportables à travers des activités" comme le stand-up, explique Yanny Delgado, la directrice. Précisant que l'atelier stand-up se fait avec ses détenues parmi celles considérées les plus aptes par leur conduite.
Pour Carolina Romero, il y a un réel coup à jouer en matière de réinsertion. "On n'y pense pas en général, mais le monde artistique, la scène, est aussi une option professionnelle à la sortie".
"Et ça me parait puissant, parce que si dans certains métiers il est probable qu'on ne te réemploie jamais si tu as des antécédents judiciaires. Avec le stand-up oui, il est même possible qu'on souhaite te faire signer un contrat précisément pour ça !". Une catharsis sincère, avec une bonne punchline, ça marche sur scène, assure-t-elle.
Mais en attendant pour les détenues, "l'humour, que tu le veuilles ou non, arrive à te connecter de manière merveilleuse, parce qu'au final tu es obligée de partager quelque-chose de ta vie", médite Romero. Et pour elles, "c'est un exercice libérateur".
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